25 avril 2015, énième réunion de l’EUROGROUP, à Riga, Lettonie, cette fois. En première de leurs éditions WEB, TA NEA et TO VIMA ont placé la photo de famille de tous ces ministres des finances groupés autour de leur président, le néerlandais Dijsselbloem. Il a l’air satisfait, dans son costume bleu pétrole un peu étriqué de bon élève de la classe. Du moins peut-on le supposer, car il n’est pas très attentif à l’objectif. Tourné vers ceux du second rang, il semble échanger avec trois d’entre eux un bon mot, car ils sont tout sourire. A ses côtés, Mario Draghi, gouverneur de la BCI, lèvres serrées et visage figé, n’apprécie pas, tant il parait…constipé dans son rôle de gardien du temple ou de père fouettard qu’il partage à parts égales avec Wolfgang Schäuble, coincé dans son fauteuil. Michel Sapin, lui, affiche un contentement de façade, et près de lui, Monsieur Juncker, président de la COMMISSION, arbore son éternel visage de bon père de famille. Enfin, à la droite de Dijsselbloem, une chaise …vide, sur laquelle il n’est pas difficile d’imaginer Madame Lagarde en personne, tirée à quatre épingles, jambes chastement croisées sous son tailleur « chanel », foulard « hermès » artistement noué, faisant bien attention à sourire juste ce qu’il faut pour ne déranger ni le masque auto-bronzant dont elle s’enduit les traits du visage, ni le vaporeusement subtil brushing « platine » couronnant sa tête pensante.
Ainsi se trouve réunie la « Sainte Trinité », encore nommée « TROÏKA », laquelle a consenti, amusée, que Tsipras et son gouvernement remplacent son nom par celui, plus anodin et moins lourd de menaces, d’ « INSTITUTIONS ».
Ainsi se trouve confirmée ‑et de quelle façon- l’incapacité de la zone euro à régler ses problèmes en interne, l’aveu de son peu de poids dans la globalisation, et celui de sa participation active aux méfaits de celle-ci, par-dessus les citoyens qui la composent et dont l’avis est superbement ignoré, sinon parfaitement méprisé.
Où se situe la légitimité démocratique ?
Au-dessus de la photo, une question en gros titre : « QUI a parlé de PLAN B, ou C, ou D ? QUI n’a rien dit ? ». En voyant ce beau monde on se prend à se demander quelles sont ses compétences pour imposer des décisions qui font fi du résultat des urnes, pour amener d’autres élus à renoncer si ouvertement aux promesses et envolées lyriques de leurs campagnes devant les citoyens dotés constitutionnellement du droit de vote, pour imposer sans relâche des politiques dont les résultats sont si évidemment négatifs pour le quotidien de la majorité de ces mêmes citoyens et si aveuglément bénéfiques à une minorité d’entre eux ?
On se demande également par quel effet du fatalisme, de la passivité, du repli sur soi, de l’espoir en des solutions étroitement populistes, les victimes ne réagissent pas d’avantage, même et y compris dans le pays le plus touché par cette cure forcée d’austérité, à savoir la Grèce.
Décrédibiliser le gouvernement grec
Guidés par leur idéologie et les lobbies qui vont avec, les tristes personnages de la photo de Riga ont donc réussi l’exploit de transformer une grande idée, celle de l’Union européenne, en un pitoyable et indigne marchandage, où l’on pinaille à longueur de séances, où l’on objecte sans fin sur ce qu’on attendait d’un interlocuteur accusé de ne pas baisser pavillon assez vite et assez complètement face au DOGME, au point d’en être arrivé à faire chuter son PNB, le niveau de vie, d’emploi et d’espérance de vie de ses habitants, et de pousser ses jeunes diplômés à l’exil. Et en prime, de détricoter là-bas et partout ailleurs dans l’ « UNION » une protection sociale à laquelle tout le monde devrait avoir accès. Et tout ça au nom de la « compétitivité », course à l’échalote du dumping social dans laquelle la vieille Europe sera de toutes les façons perdante tant que les inspirateurs de ces messieurs de Riga non seulement toléreront, mais en plus encourageront et pratiqueront la recherche effrénée du moindre coût du travail dans un monde globalisé. Il apparaissait évident dès le début que l’objectif n’était pas de faire payer à la Grèce ses dettes, mais de décrédibiliser son gouvernement issu des urnes, d’en faire, par son humiliation et sa reddition, un repoussoir à ceux qui seraient assez fous pour relever la tête, afin de continuer à imposer une Union européenne fondée sur le déni de contrôle démocratique, et de contrôle tout court sauf lorsqu’il s’agit de couper les ailes de ceux qui dérangent le jeu.
Du rêve à la réalité
On aimerait voir cette obstination têtue, étroite, compassée, satisfaite à persister dans la voie de l’erreur, s’appliquer à lutter contre la fraude et l’évasion fiscale massives. Mais là, on est carrément dans le rêve, puisqu’une partie importante de ces gens est activement impliquée dans la perpétuation de ces pratiques. Il devient alors anecdotique que M. Juncker, handicapé paraît-il par des problèmes de santé, aie fait aménager au Luxembourg pour 310.000 euros, des bureaux destinés à lui éviter la fatigue du déplacement à Bruxelles.
Anecdotique également, le fait de voir nos dirigeants balayer d’un geste nonchalant les gênantes images de pauvres fouillant les poubelles dans les rues d’Athènes, et se félicitant de l’extraordinaire effort par eux consentis pour endiguer le flux des immigrants qui tentent chaque jour d’aborder nos côtes, à savoir celles que gouverne en Italie l’anesthésié Renzi, et celles, éparpillées le long de l’Asie Mineure, qu’a en charge ce Tsipras pour la « duplicité », « l’incompétence », les atermoiements », la « fourberie » duquel, on n’a pas de mots assez durs au fil des déclarations officieuses, officielles, confidentielles, insinuantes, savamment distillées chaque jour. Beaucoup moins anecdotique, par contre, le versement par la Grèce de 450 millions d’euros au FMI au titre de l’échéance d’avril due à cette institution, qui, en quatre ans, a empoché sur le dos de ceux qui fouillent les poubelles d’Athènes pour plus de 2,5 milliards d’intérêts. En restant dans le rêve et en pensant à ces gens, on aurait pu consacrer ces sommes à un autre usage !
Mais bon. Tout ça ne mobilise guère. Fragmentée, désinformée, l’opinion publique pare au plus pressé de ce qui l’inquiète au quotidien. Et les corps constitués, syndicats, la quasi-totalité des partis, lui emboîtent le pas afin de conserver autant que possible électeurs, adhérents, et avantages qui vont avec.
Le Grexit, la solution ou l’inévitable issue ?
Nous sommes tous, en Europe, et dans le reste du monde, les victimes de cette politique sans souffle, sans prospective, sans humanité, fondée sur ce dogme suicidaire, pour tout dire, dont les distraits, les souriants, les coincés, mais surtout les bien-pensants de Riga, avec leurs airs de bureaucrates satisfaits à la « Bouvard et Pécuchet » se gardent d’évaluer la toxicité.
Alors que le vice-premier ministre, Dragasakis, vient d’annoncer que, face au problème des liquidités entretenu sciemment par les éminents personnages de la photo afin de garder serré autour du cou des autorités grecques le nœud coulant devant les amener à résipiscence, ce dernier pourrait être finalement forcé de prendre des décisions unilatérales, on est tenté de crier : allez‑y, Alexis, Iannis, prenez-les, ces décisions, claquez la porte, sortez de l’euro, mettez le feu à la maison, reprenez votre liberté !
Serait-ce irresponsable, catastrophique, imprévisible ? Oui, sans doute, mais pas plus que le poker menteur mortifère des « partenaires » et de la « troïka », pardon, des « INSTITUTIONS ». On comprend que Tsipras hésite, qu’il songe à la sanction de l’histoire, de ses électeurs, de tous ceux desquels il pouvait espérer un soutien et qui lui font…défaut.
Michel Servé, 26 avril 2015.