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La jus­tice amé­ri­caine a annon­cé que neuf diri­geants ou anciens diri­geants de la Fédé­ra­tion inter­na­tio­nale de foot­ball asso­cia­tion (FIFA), quatre pro­fes­sion­nels du mar­ke­ting spor­tif et une spé­cia­liste des droits télé sont pour­sui­vis pour faits de « racket, escro­que­rie par voie élec­tro­nique, blan­chi­ment d’argent ». Immé­dia­te­ment, les auto­ri­tés suisses ont arrê­té les per­sonnes visées : du beau monde mais étran­ge­ment que des per­son­na­li­tés du conti­nent amé­ri­cain. Les autres seraient-ils donc blancs comme neige ?

Toutes les attri­bu­tions de la coupe du Monde ont don­né lieu à des corruptions

Les enjeux finan­ciers autour de la coupe du monde, 2e évé­ne­ment mon­dial le plus dif­fu­sé sur notre pla­nète après les Jeux Olym­piques, sont évi­dem­ment consi­dé­rables et concernent peu ou prou toutes les acti­vi­tés éco­no­miques. Orga­ni­ser la coupe du Monde est une pro­mo­tion ines­pé­rée pour un pays qui peut faire éta­lage de ses atouts, de sa capa­ci­té d’organisation, de la fia­bi­li­té de ses infra­struc­tures, etc… De quoi atti­rer dans le futur des inves­tis­seurs, voi­là le but de l’organisation d’une coupe du monde de football.

L’attribution se fait par un cénacle tota­le­ment obs­cur : un « Comi­té exé­cu­tif » de 24 membres « déter­mine le site et les dates des com­pé­ti­tions finales de la FIFA ». Et donc des retom­bées finan­cières : le bud­get de la coupe du monde en France en 1998 était l’équivalent de 360 mil­lions d’euros ; en 2014, celui du Bré­sil était de 9 mil­liards d’euros et le Qatar pré­voit d’investir 200 mil­liards en 2022. On com­prend donc mieux le pou­voir de ses 24 membres et qu’ils sont cour­ti­sés pour voter pour tel ou tel prétendants.

La cor­rup­tion a été dénon­cée à qua­si­ment chaque attri­bu­tion, tou­jours sans suite. Mais il semble que cette fois-ci les choses sont plus sérieu­se­ment engagées.

Les Etats-Unis en pointe

Il faut savoir que les Etats-Unis étaient can­di­dat pour l’organisation de la coupe du monde en 2022… qui a été fina­le­ment attri­buée à cette grande nation du foot­ball qu’est le Qatar. La jus­tice amé­ri­caine a pu béné­fi­cier du repen­tir de Chuck Bla­zer, homme fort du foot­ball US, membre du comi­té exé­cu­tif de la FIFA de 1996 à 2013 et sur­tout res­pon­sable de la sec­tion mar­ke­ting et télé­vi­sion de l’instance à par­tir de novembre 2010. Poste essen­tiel puisque les droits de retrans­mis­sion télé­vi­suelle sont aujourd’hui la prin­ci­pale source de reve­nus de la Fédération.

La police amé­ri­caine avait de solides argu­ments pour le convaincre de coopé­rer à son enquête sur l’attribution de la coupe du monde : ce cher Bla­zer a de sérieux ennuis judi­ciaires aux Etats-Unis et est notam­ment pour­sui­vi pour défaut de paie­ment de l’impôt sur le reve­nu alors qu’il gagnait des mil­lions de dol­lars en gérant des stars du foot­ball aux USA.

L’enquête amé­ri­caine vise l’attribution de la coupe du monde à la Rus­sie en 2018 et au Qatar en 2022. Comme tou­jours, des membres du Comi­té exé­cu­tif ont été « récom­pen­sés » d’avance pour leur vote. Si la Rus­sie est bien un pays de foot­ball, déjà fina­liste de la coupe d’Europe, répon­dant ain­si aux cri­tères d’attribution de la coupe du monde, cela n’est abso­lu­ment pas le cas du Qatar.

Le scan­dale qata­rien est aus­si celui de Platini-Sarkozy

Dans les cri­tères d’attribution de grands évé­ne­ments spor­tifs, la Fifa a pour leit­mo­tiv la défense des valeurs du sport et la pro­mo­tion des valeurs huma­nistes, entre autres l’amélioration des condi­tions de vie des popu­la­tions. Elle consi­dère éga­le­ment que le pays choi­si doit offrir un inté­rêt pour le foot­ball dans sa jeu­nesse et d’avoir contri­bué à déve­lop­per ce sport.

Michel Pla­ti­ni, pré­sident de la branche euro­péenne de la Fifa, a ain­si jus­ti­fié son vote pour attri­buer la coupe du monde 2022 au Qatar : « Le Golfe est un bel endroit pour faire la Coupe du Monde et cela favo­ri­se­ra le déve­lop­pe­ment du football ».

On ne sait s’il faut en rire ou en pleu­rer : le Qatar, pays de 11.000 km², envi­ron 2 mil­lions d’habitants dont seule­ment 300.000 natio­naux, compte moins d’un mil­lier de licen­ciés en foot. Les équipes de la 1ère divi­sion font venir des anciennes stars des stades, leur offre la natio­na­li­té à l’occasion. S’il fal­lait don­ner la coupe du Monde à un pays du Moyen-Orient ou du monde arabe, des dizaines d’autres étaient bien plus oppor­tuns tout en répon­dant aux cri­tères de la Fifa. Il fau­dra même dépla­cer le dérou­le­ment de la com­pé­ti­tion en hiver car on ne peut jouer au foot­ball au Qatar en été (50°) : ce qui bou­le­verse tota­le­ment l’organisation du foot­ball dans le monde entier.

Le Qatar se paie donc le foot­ball. Nor­mal, 1er sport mon­dial, c’est une belle vitrine pour se faire connaître.

Il a inves­ti plu­sieurs cen­taines de mil­lions d’euros dans le rachat de clubs (Paris St-Ger­main entre autres) et en achat de joueurs pres­ti­gieux. Et il a pu béné­fi­cier de sou­tiens éton­nants. Ain­si, le Qatar s’est payé des  « ambas­sa­deurs » pour faire du lob­bying auprès de la Fifa : Chris­tian Karem­beu, Pepe Gar­dio­la et Zine­dine Zidane en font par­tie. Ce der­nier aurait été « indem­ni­sé », selon Le Matin d’Alger, 11 mil­lions d’euros. Assez per­sua­sif comme argument…

Mais le plus étrange fut ce déjeu­ner à l’Elysée le 23 novembre 2010 auquel Nico­las Sar­ko­zy a invi­té Michel Pla­ti­ni. A son arri­vée à la table pré­si­den­tielle, Pla­ti­ni dit avoir été sur­pris de voir le prince du Qatar Hamad ben Kha­li­fa Al Tha­ni invi­té éga­le­ment. Selon l’hebdomadaire France Foot­ball, géné­ra­le­ment bien infor­mé, le trio aurait déci­dé du rachat du club pari­sien par le Qatar, le lan­ce­ment d’une chaîne qata­rie pour concur­ren­cer Canal+ (BeIn Sport fut lan­cée en juin 2012) et la mon­tée en puis­sance de l’actionnariat qata­ri au sein du groupe Lagar­dère (chose faite en décembre 2011).

En échange, Michel Pla­ti­ni s’engage à don­ner sa voix au Qatar pour l’organisation de la coupe du monde en 2022 ! En fonc­tion de cri­tères spor­tifs, évidemment !*

Bien sûr, Michel Pla­ti­ni dément avec des argu­ments étranges : « Invi­té à un déjeu­ner en tête-à-tête avec le pré­sident de la Répu­blique, je me suis retrou­vé avec des Qata­riens, j’ai bien sen­ti qu’il y avait un mes­sage sub­li­mi­nal ». Et de rajou­ter : « Bon, c’est vrai que ce n’était pas très sub­li­mi­nal, il avait les gros yeux… »

D’autres infor­ma­tions, plus pré­cises, relatent que lors de ce déjeu­ner Nico­las Sar­ko­zy a bien deman­dé à Michel Pla­ti­ni de ne pas voter pour les Etats-Unis comme il l’avait envi­sa­gé, mais pour le Qatar.

Il est de noto­rié­té publique que Michel Pla­ti­ni vise le poste de Sepp Blat­ter mais qu’il a dû y renon­cer après les infor­ma­tions divul­guées par le Dai­ly Tele­graph et France Foot­ball… dont on ne connaît pas l’origine des sources. Du siège de la Fifa ? Les manœuvres pour contrô­ler le gros pac­tole que repré­sente la Fédé­ra­tion inter­na­tio­nale sont donc en cours : des péti­tions cir­culent visant Sepp Blat­ter (pas concer­né pour l’instant par les enquêtes amé­ri­caines, faut-il le rap­pe­ler) mais épar­gnant étran­ge­ment Michel Pla­ti­ni qui joue les vierges effa­rou­chées dans des confé­rences de presse sur­réa­listes car le pré­sident de l’UEFA vient tout juste de tout décou­vrir. Une ficelle qui paraît un peu grosse…

De juteux contrat dans un pays esclavagiste

Si on n’a pas de preuve de cor­rup­tion en la matière, il s’agit bel et bien de tra­fic d’influence et on sait que l’ancien pré­sident de la Répu­blique n’a pas de scru­pules en la matière. De toute évi­dence, le pré­sident de l’UEFA non plus, lui si prompt à cri­ti­quer l’actuel pré­sident de la Fifa, Sepp Blat­ter… dont il vise la place. Un poste qui rapporte…

Pour ser­vices ren­dus, des entre­prises du BTP fran­çais ont gagné des mar­chés dans la construc­tion des stades (cli­ma­ti­sés, svpl !) et des infra­struc­tures. Vin­ci entre autres.

La Confé­dé­ra­tion syn­di­cale Inter­na­tio­nale s’est inté­res­sée aux condi­tions de tra­vail des sala­riés au Qatar, pays dans lequel les syn­di­cats sont inter­dits et qui fait venir les ouvriers d’autres pays.

Le ver­dict du syn­di­cat est net et sans bavures : « La façon dont le Qatar pro­fite de la situa­tion des tra­vailleurs immi­grés est une honte pour le foot­ball ». Sa secré­taire géné­ral, Sha­ran Bur­row, avance le nombre de 191 décès d’ouvriers rien qu’en 2010 et estime que 4000 sala­riés pour­raient perdre leur vie d’ici 2022. ! Selon les esti­ma­tions réa­li­sées en 2014, entre 900 et 1200 per­sonnes seraient  mortes vic­times   du travail.

Les condi­tions de tra­vail sont inima­gi­nables : « le tra­vail se fait avec des tem­pé­ra­tures de 50° pen­dant l’été, beau­coup d’ouvriers risquent des crises car­diaques et la déshy­dra­ta­tion. Beau­coup meurent la nuit, de coups de chaud ».

L’ONG Sher­pa a por­té plainte contre la filiale de Vin­ci au Qatar, QDVC, plainte ins­truite depuis avril 2015, par le par­quet de Nanterre.

Par­mi les argu­ments solides de l’ONG, la durée de tra­vail heb­do­ma­daire impo­sée aux sala­riés serait de 66 h, 6 jours par semaine pour un salaire de 700 riyals (176,25 euros par mois). La direc­tion de Vin­ci dément, car la durée maxi­male du tra­vail au Qatar est de… 60 heures heb­do­ma­daires ! Et d’admettre un trai­te­ment dif­fé­ren­cié pour les cadres qui « ont droit à un same­di libre tous les quinze jours ». Magna­nime, Vinci…

Il n’y a pas de pro­blème de main‑d’œuvre au Qatar : ils sont plus d’un mil­lion à venir des Phi­lip­pines, d’Inde, du Népal ou du Ban­gla Desh sur la pro­messe d’un tra­vail allé­chant… et risque leur vie au quo­ti­den dans des chan­tiers d’infrastructures gigan­tesques pour un salaire de misère.

La Kafa­la

Selon l’encyclopédie en ligne Wiki­pe­dia, « la kafa­la est une pro­cé­dure d’a­dop­tion spé­ci­fique au droit musul­man, qui inter­dit l’a­dop­tion plé­nière, et s’op­pose en géné­ral à la pro­cé­dure d’a­dop­tion au nom de la famille, consi­dé­rée comme pilier de la socié­té. Un enfant, en par­ti­cu­lier natu­rel (né hors mariage, etc.), peut donc être recueilli par une famille adop­tive, mais n’au­ra jamais les mêmes droits d’hé­ri­tage qu’un enfant légi­time : il s’a­git d’une tutelle sans filia­tion, l’a­dop­té gar­dant son patro­nyme  d’origine ».

Adap­té au droit du tra­vail, la Kafa­la est un sys­tème qui n’existe plus que dans deux pays : l’Arabie Saou­dite et le Qatar ! Telle qu’elle est appli­quée au Qatar, il s’agit tout sim­ple­ment d’une forme moderne d’esclavage et est appli­quée sur les chan­tiers de la coupe du Monde.

Tout tra­vailleur étran­ger doit être par­rai­né par un spon­sor, qui peut être un indi­vi­du (sou­vent proche de la famille royale) ou une entre­prise. Le sala­rié est ain­si « sou­mis » à son spon­sor dont le pre­mier geste est la confis­ca­tion du pas­se­port. Seul lui peut ouvrir un compte ban­caire, louer une voi­ture ou signer un bail pour le « spon­so­ri­sé » ! Seul lui peut l’autoriser à quit­ter le pays. En d’autres termes, il détient les clés de la liber­té du travailleur.

La CSI exige la fin du sys­tème de kafa­la et le droit pour les tra­vailleurs à une repré­sen­ta­tion syn­di­cale, elle veut que cesse le recours à des agences de recru­te­ment eth­nique, reven­dique un salaire mini­mum non dis­cri­mi­na­toire et un dis­po­si­tif de véri­fi­ca­tion dili­gent et indé­pen­dant assor­ti d’un pou­voir de sanc­tions approprié.

« Si la Fifa demande au Qatar d’abolir la kafa­la et de res­pec­ter les droits fon­da­men­taux inter­na­tio­naux, ce sera chose faite » a décla­ré Sha­ran Burrow.

A condi­tion que les droits humains soient prio­ri­taires sur le busi­ness et l’argent : l’actuel congrès de la Fifa, le sys­tème de cor­rup­tion bien hui­lé, les diri­geants prêts à tous les arran­ge­ments au nom de fumeux inté­rêts… et sur­tout des leurs, sont des élé­ments qui peuvent faire dou­ter d’une amé­lio­ra­tion du sort des tra­vailleurs au Qatar.

A moins que l’offensive de la jus­tice amé­ri­caine soit relayée et ampli­fiée par les ONG pour faire pres­sion sur la Fifa : il est encore temps de trou­ver un autre pays pour orga­ni­ser la coupe du monde de 2022…

Michel Mul­ler

*Quelques semaines après le vote en décembre 2010 qui a attri­bué la coupe du Monde qu Qatar, Laurent Pla­ti­ni, le fils de Michel, a pris la tête de l’équipementier spor­tif qata­ri Burr­da Sport (indi­rec­te­ment via une socié­té basée en Suisse, puisque Burr­da appar­tient à QSI, le fonds sou­ve­rain qata­ri pro­prié­taire du PSG), qui a débar­qué avec fra­cas dans le monde du sport pro­fes­sion­nel (RC Tou­lon en rug­by, OGC Nice ou encore fédé­ra­tion belge en football).