dede2_001

Dédé, figure bien connue du monde asso­cia­tif mul­hou­sien depuis plus de 10 ans, délaisse un peu son arme favo­rite – le des­sin – pour adres­ser à l’Alterpresse68 un texte en forme de mani­feste où il explique ses constats, ses axes de réflexion, sa colère  mais aus­si sa las­si­tude devant la gra­vi­té des ques­tion sociales et l’im­puis­sance des bonnes volontés.

Vrais pour Mul­house où ces pro­blèmes sont par­ti­cu­liè­re­ment aigus (rap­pe­lons sim­ple­ment que cette ville est clas­sée 6e des villes de plus de 100 000 habi­tants au « pal­ma­rès » des villes les plus pauvres de la France métro­po­li­taine et éga­le­ment « bien » clas­sée à celui des villes les plus inéga­li­taires (Obser­va­toire des inéga­li­tés et bureau d’é­tudes Comas), ils ne le sont pas moins pour nombre de nos ter­ri­toires et par­ties de la popu­la­tion désor­mais oubliés (condam­nés?) au sous déve­lop­pe­ment, à la déses­pé­rance sociale, à la peur des lendemains.

La « bonne volon­té » pour sup­pléer aux carences des pou­voirs publics ?

Dédé écrit: « Je  sais que nous avons des ana­lyses, des expé­riences et des pra­tiques diverses; mais je sais aus­si et sur­tout que nous pour­sui­vons les mêmes buts: tra­vailler pour une socié­té meilleure, plus juste et moins vio­lente ». Par­mi nous ? Les uns pri­vi­lé­gient l’é­pa­nouis­se­ment per­son­nel, d’autres l’ac­cès à la culture ou l’en­ga­ge­ment dans des acti­vi­tés béné­voles; d’autres encore l’ac­tion reven­di­ca­tive ou le com­bat poli­tique ou la défense juri­dique; ou encore la créa­tion de mon­naies soli­daires ou bien l’a­mé­lio­ra­tion du cadre de vie, la cir­cu­la­tion de l’in­for­ma­tion et bien d’autres formes d’ac­tion encore, toutes pri­vi­lé­giant la soli­da­ri­té dans un envi­ron­ne­ment tout entier tour­né vers la com­pé­ti­tion et le cha­cun pour soi… »

Hé bien, selon moi, toute cette richesse, cette diver­si­té, ne doivent pas nous faire perdre de vue que l’ac­crois­se­ment mons­trueux des inéga­li­tés auquel nous assis­tons depuis main­te­nant plu­sieurs décen­nies, nous prive des moyens de mener à bien nos dif­fé­rents pro­jets d’a­mé­lio­ra­tion de notre vie quo­ti­dienne et qu’il importe que nous nous regrou­pions et lut­tions pour exi­ger des pou­voirs publics de tous niveaux et de toutes natures, de reprendre le contrôle de l’ac­ti­vi­té finan­cière sans laquelle toute vie en socié­té civi­li­sée est impossible. »

Et il ajoute: « Pour être plus clair encore, les pou­voirs publics ne peuvent plus conti­nuer à faire appel à la bonne volon­té et à la capa­ci­té de rési­lience de la socié­té civile tout en pré­ten­dant qu’il n’y a pas d’argent pour cela et que le béné­vo­lat et les efforts finan­ciers des par­ti­cu­liers, voire le spon­so­ring des entre­prises pour­voi­ront à tout.

Il faut arrê­ter de se moquer du monde! Jamais les gros action­naires et les grands groupes mul­ti­na­tio­naux n’ont fait autant de pro­fits! Jamais la fraude, par­don « l’op­ti­mi­sa­tion fis­cale » n’a été aus­si répan­due et n’a autant man­qué aux bud­gets des Etats! Jamais les para­dis fis­caux n’ont été aus­si nom­breux, dont un cer­tain nombre au cœur même de notre ver­tueuse Europe!

Et à qui les pou­voirs publics garants de la pros­pé­ri­té géné­rale demandent-ils de mettre la main à la poche, au nom de la soli­da­ri­té et de la bonne gou­ver­nance? A vous, à nous tous, chers cama­rades – citoyens – mili­tants- béné­voles- bien­fai­teurs! Mais jamais aux mul­ti­mil­liar­daires qui ont arron­di leur pelote sur notre dos et qui se per­mettent en plus de nous don­ner des leçons de morale et de bienséance!!!

Je sais, pour vous croi­ser dans une mul­ti­tude de cercles, groupes de tra­vail, col­lec­tifs et autres réseaux mul­ti­formes et pro­téi­formes, cer­tains mêmes à l’ins­ti­ga­tion des pou­voirs publics, com­munes, ter­ri­toires, pays, com­com et autres conseils citoyens, que nous sommes tous à la manœuvre pour ten­ter d’empêcher cette socié­té de som­brer tout à fait dans la misère et la désespérance ».

La satu­ra­tion guette…

Et enfin: « Il me semble que l’é­tat du monde asso­cia­tif et son inter­ven­tion de plus en plus indis­pen­sable dans l’es­pace public sans moyens sup­plé­men­taires méritent que l’on se demande jus­qu’à quand et jus­qu’où nous accep­te­rons de jouer les sup­plé­tifs de la puis­sance publique, et quels moyens nous pou­vons nous don­ner pour nous faire res­pec­ter par ces instances ».

Dédé écrit aus­si « Je sais que nombre d’entre vous [béné­voles, mili­tants asso­cia­tifs] com­men­cez à en avoir marre de vous col­ti­ner des pro­blèmes qui avaient dis­pa­ru de notre hori­zon pen­dant les trente glo­rieuses et qui, à force de s’ins­tal­ler dans le pay­sage, font de plus en plus res­sem­bler nombre de nos villes à des pays du tiers – monde, par­don « en déve­lop­pe­ment », qui eux-même font sur­tout du sur place et que nous allons bien­tôt rejoindre au fond du trou… Il n’y a pas de rai­son qu’on ne retrouve pas le che­min du pro­grès humain et de la jus­tice sociale. Mais il faut pour cela for­ger de nou­veaux outils intel­lec­tuels et inven­ter de nou­velles formes d’or­ga­ni­sa­tion sociale, et ne se trom­per ni d’ad­ver­saire, ni d’objectif. »

Un cri salutaire…

Tu as tout dit Dédé, d’un épui­se­ment asso­cia­tif et d’une impuis­sance poli­tique. Tout, sauf peut- être, que cer­tains affirment que dans notre situa­tion de blo­cage ins­ti­tu­tion­nel, de dis­cré­dit d’or­ga­ni­sa­tions tra­di­tion­nelles, de luttes trop sou­vent défen­sives, de marées d’in­di­gna­tion inutiles et de cris de colères impuis­santes, ces nou­velles formes d’ex­pres­sion sociale et d’ou­tils intel­lec­tuels que tu réclames  apparaissent.

Ce sont celles qui en Europe com­mencent à inquié­ter les castes au pou­voir. Celles qui font mieux que d’ « accu­mu­ler des forces len­te­ment », celles qui veulent créer un élan et com­men­cer à construire le puzzle, même avec des pièces qui ne s’emboîtent pas toutes.

Elles disent: « il est pos­sible et impor­tant de créer une orga­ni­sa­tion poli­tique dont la force et l’u­ni­té s’é­ta­blissent au delà de l’i­déo­lo­gie, nous concen­trant sur la défi­ni­tion des tâches poli­tiques cen­trales » (Miguel Romero).

Nous sommes quelques uns à L’Al­ter­presse 68 à pla­cer pas mal d’es­poir dans ces forces là ; d’autres par­mi nous sont plus scep­tiques. Si ces der­niers ont rai­son, il va fal­loir, cher Dédé, qu’on te pro­pose de conti­nuer à ramer. Et nous avec. Et alors gare à nos ampoules !…

Chris­tian Rube­chi et l’équipe de L’Alterpresse68