La France, comme beaucoup d’autres pays européens, connaît ce phénomène qui s’aggrave d’année en année. Selon le Secours Catholique, près de 9 millions de personnes, dont 3 millions d’enfants, vivent dans la pauvreté en France. « Nous constatons, ajoute-t-il, une précarisation croissante des familles, des femmes et des enfants, ainsi que des personnes d’origine étrangère, avec davantage de personnes sans ressources, en logement très précaire ».
La Fondation de l’Abbé Pierre quant à elle, rappelle que « la France compte 2,3 millions de personnes vivant avec moins de 672 euros par mois et 1,9 million de bénéficiaires de l’aide alimentaire. La grande pauvreté persiste en France. »
Le Secours populaire indique qu’en 2017, plus d’un tiers des Français (37 %) a déjà vécu une situation de pauvreté. Plus d’un Français sur cinq ne parvient pas à équilibrer son budget à la fin du mois. 23 % des Français rencontrent des difficultés à faire trois repas par jour. »
Parmi les sept pôles de plus de 100 000 habitants de la région, la ville de Mulhouse se détache nettement avec trois habitants sur dix vivants sous le seuil de pauvreté selon les chiffres de l’INSEE.
L’action admirable des associations
Elles sont près des milliers en France. A Mulhouse, plusieurs dizaines d’associations, avec des centaines de bénévoles, viennent au secours des plus démunis, dans de multiples domaines. Car la pauvreté se décline sous tous les angles de la vie sociale : emploi évidemment (et la précarité engendre à présent des travailleurs pauvres), logement, accès à la santé, à la culture… Et bien évidemment alimentaire.
Un grand nombre d’entre elles développent une activité d’éducation populaire pour socialiser des femmes, des hommes, des enfants, qui se sentent exclues de notre société. Dans de nombreux cas, ces personnes ne demandent même plus les aides auxquelles elles ont droit, elles ne vont plus voter, elles ne peuvent participer à des activités culturelles, associatives, sportives. La marginalisation est en route.
Par leur incessante activité, les bénévoles de ces associations viennent en appui aux services sociaux et bien souvent assument leurs tâches. L’extension des besoins et le manque de moyens humains des services sociaux rejaillissent sur leurs activités et font douter bien de personnes démunies de l’efficacité de l’Etat pour combattre la pauvreté.
L’exemple de l’aide alimentaire
Nous l’avons dit : les associations s’investissent dans toute la chaîne de la pauvreté. Mais nous souhaiterions relever ici le cas particulier de l’aide alimentaire. Celle-ci est très organisée en Europe et en France. Comme le montre le tableau ci-dessous, l’aide alimentaire est sous contrôle. A priori, il n’est pas scandaleux qu’une distribution d’aliments à cette échelle nécessite un suivi et des contrôles.
Le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) participe à la réduction de la pauvreté et vise, à terme, à l’éradication des formes les plus graves de pauvreté dans l’Union. En France, tout le système d’aide est placé sous la responsabilité du Ministère de l’Agriculture et des Préfets de Région.
La France bénéficie, pour la période 2014–2020 de 500 millions d’euros de crédits européens auxquels s’ajoutent 88 millions de crédits nationaux et a choisi que ces crédits soient uniquement consacrés à l’achat de denrées alimentaires.
Les denrées alimentaires acquises par les divers circuits (voir schéma) sont mises à disposition des plus démunis à titre gracieux par l’intermédiaire d’associations caritatives désignées par le Gouvernement. Actuellement quatre associations participent au PEAD : la Fédération française des banques alimentaires, les Restaurants du Cœur, le Secours populaire français et la Croix-Rouge française.
Ainsi, les 79 Banques alimentaires et leurs 23 antennes ont distribué 106 000 tonnes de denrées à 5400 associations et organismes sociaux. Environ 2 millions de personnes ont pu bénéficier de cet accompagnement alimentaire représentant l’équivalent de 210 millions de repas. Les ressources globales de la Fédération des banques alimentaires est de 31.821.000 € en 2016. Donc tout l’alimentaire distribué par des associations doit transiter par la Banque alimentaire. En outre, des « Epiceries solidaires » proposent aux plus démunis des aliments variés comme dans une vraie boutique. Les personnes viennent y faire leurs courses elles-mêmes, moyennant une participation financière à hauteur de 10 à 20% du prix habituel,
La colère des associations
Ce système apparemment rodé est pourtant gangrené par une organisation très (trop ?) encadrée, des contrôles tatillons et de certaines règlementations proprement scandaleuses.
Les associations distribuant de l’aide alimentaire sont soumises à des impératifs qui pèsent de plus en plus lourds. Elles doivent d’abord obtenir un agrément préfectoral et justifier d’une activité d’au moins trois ans. Elles doivent établir chaque jour une liste des personnes aidées, leur adresse, leur état-civil. Cette liste est adressée au Ministère et au Préfet de Région : dans ces lieux, seront vérifiés si ces personnes ne se sont pas servies ailleurs, auprès d’une autre association. A combien peut-on estimer le coût de ces contrôles quotidiens ?
Chaque personne aidée ne peut l’être que durant trois mois. Au-delà de cette date, il est interdit à l’association de redonner de l’aide alimentaire.
Mais pour en bénéficier, la personne concernée doit posséder une justification dressée par une Assistance sociale dûment mandatée.
Si on peut comprendre qu’un contrôle soit établi pour éviter des abus, les bénévoles se sentent de plus en plus démunis : comment expliquer à telle famille en détresse alimentaire, qu’on ne peut rien lui donner car elle n’est pas administrativement en règle ? Ces bénévoles mus essentiellement par leur volonté d’aider, de soutenir, ne se sentent pas à l’aise dans ces tâches administratives dont toutes ne sont pas compréhensibles.
Interdiction de distribuer aux migrants déboutés !
Ainsi, dans la politique des migrants du gouvernement, ceux qui sont déboutés de leur droit d’asile, ne peuvent recevoir une aide alimentaire ! Car pour le Ministère de l’Intérieur, ces personnes, expulsables, ne devraient plus être sur le territoire français… et n’auraient donc aucun droit.
Or, selon la Cour des comptes, 97% des migrants déboutés restent en France… ce qui conduit M. Collomb a trépigné en exigeant plus d’expulsions… peut importe ce qui va advenir de ces personnes.
Pour les bénévoles des associations, c’est un crève-cœur de refuser à une famille qui vient demander une aide alimentaire, de la lui accorder sous prétexte qu’elle ne devrait pas être là… Etre débouté du droit d’asile, supprime-t-il la faim ? Là, nous quittons le domaine du contrôle de l’aide pour passer dans celui de l’inhumanité et la répression la plus ignoble.
Car si une association contrevient à ces règlements, elle doit rembourser la valeur de l’aide alimentaire accordée… et cela revient à condamner le bénévole qui, devant la détresse, a estimé qu’on ne pouvait pas priver ne famille d’un besoin de base : celui de s’alimenter.
L’Etat ou l’Europe n’ont pas à s’octroyer le droit de séparer le bon grain de l’ivraie.
Le libre arbitre de la distribution alimentaire doit être laissé aux associations. C’est un devoir humanitaire et d’humanité des associations, qu’aucune administration ne peut déranger.
Un militant d’ATD Quart Monde le dit avec ses mots : « La liberté des associations, c’est comme la liberté de la presse. On n’a pas à être sous la coupe d’un gouvernement politique ou d’intérêts privés. Sans cela, nous perdons tout sens, tout intérêt et toute crédibilité. L’association se doit d’être un lieu un espace neutre. »
Quelles sont les motivations ?
Cette situation envenime les relations entre les acteurs de la lutte contre la pauvreté… alors qu’ils sont tous au service de la même cause.
Des associations comme Bouge ta Galère et de nombreuses autres, ne se limitent d’ailleurs pas à l’aide alimentaire. Leur activité est souvent plus centrée sur l’éducation populaire.
Devant une règlementation de plus en plus régressive, les bénévoles ont souvent l’impression de faire partie d’un réseau de contrôle des individus. Comme s’il fallait mettre la pauvreté sous contrôle et dissuader une grande partie des personnes de faire appel à l’aide. Ou des les orienter plutôt vers les Epiceries solidaires qui se consacrent exclusivement à l’aide alimentaire… ce qui est certes essentiel mais pas suffisant dans la lutte contre la pauvreté. Les associations, par l’aide alimentaire, peuvent commencer à travailler avec les personnes pour arriver à une réinsertion sociale indispensable pour sortir définitivement de leur état.
A écouter attentivement les bénévoles, on sent pointer un découragement, une lassitude, une incompréhension du rôle qu’on veut leur faire jouer.
Alors de nouvelles idées commencent à pointer. A Mulhouse, Astrid Noel, par exemple, est en train de lancer un « groupement d’achats » auquel peuvent adhérer les personnes démunies ou non-démunies : aucune distinction ou stigmatisation de la pauvreté. Aucun contrôle de la situation des adhérents, pas besoin de passer par un service d’action sociale pour être adhérent. Ce groupement pourra, par la masse de produits qu’il peut acheter, négocier des prix pouvant être extrêmement compétitifs sur des denrées de première nécessité (pas de produits de luxe ou d’épicerie fine). Ce serait une manière d’assurer la solidarité sans passer par un circuit qui devient de plus en plus contrôlé bien au-delà de ce qu’il faudrait pour assurer l’équité de la distribution des aides alimentaires.
En guise de conclusion, la ferme position d’ATD Quart Monde : « On n’adosse pas aide alimentaire et politique migratoire. Il n’y a pas de bon pauvre et de mauvais pauvre (origine, couleur de peau …). Il n’y a que de bonnes politiques et de mauvaises politiques. ». Fermer le ban !
Michel Muller
La grande pauvreté en France | |
Nombre | |
Personnes vivant sous le seuil de pauvreté à 40 % du revenu médian (Insee – 2014) | 2 269 000 |
Personnes sans domicile personnel (Fondation Abbé Pierre – 2017) | 896 000 |
- dont personnes hébergées chez des tiers dans des conditions de logement très difficiles | 643 000 |
- dont personnes sans domicile* | 143 000 |
- dont habitats de fortune (cabane, camping, etc.) | 85 000 |
Personnes en habitat dégradé ou exigu | 2 819 000 |
- dont logements inconfortables | 2 090 000 |
- dont logements surpeuplés | 934 000 |
Personnes bénéficiaires des Banques Alimentaires (Banques Alimentaires – 2015) | 1 900 000 |
Allocataires de minima sociaux (Drees – 2015) | 4 149 100 |
- dont RSA socle | 1 945 900 |
Source Fondation Abbé Pierre