Le projet d’implantation d’un centre de données Microsoft à Petit-Landau, en Alsace, suscite une vague de scepticisme et d’inquiétude parmi les citoyens, les associations environnementales et une partie des élus locaux. Derrière les promesses de modernité, d’emplois et de souveraineté numérique, le sens même de ce projet interroge, tant sur sa pertinence que sur ses conséquences écologiques et sociales.

Une réunion publique a été organisée jeudi soir en ce sens par M2A, porteuse du projet, en compagnie de personnels de Microsoft, dans la salle polyvalente de Petit-Landau.

Un projet industriel sur des terres agricoles

Le site retenu, près de 36 hectares aujourd’hui exploités par huit agriculteurs (dont plus de 10 hectares en agriculture biologique), se situe sur une zone classée AU au PLU, historiquement réservée à l’extension de la zone industrielle Mulhouse-Rhin. Ce secteur, au cœur de la plaine rhénane, jouxte des espaces classés Natura 2000 et Ramsar, reconnus pour leur richesse écologique et leur rôle dans la préservation de la biodiversité.

MSFT-Petit-Landau-Synthese-procedure-environnementale

L’artificialisation de ces terres fertiles, dans un contexte de raréfaction du foncier agricole et de crise climatique, apparaît pour beaucoup comme un non-sens. « Les données numériques, elles, ne se mangent pas », rappelle l’association Alsace Nature, qui déplore la perte irréversible de surfaces cultivées, notamment en bio, essentielles à la résilience alimentaire du territoire.

B318-SSi-09-MG-CU-2025

Des impacts environnementaux minimisés, des réponses floues

Le projet prévoit trois bâtiments de type R+1 (rez-de-chaussée + 1 étage), une sous-station électrique, des plateformes techniques pour le refroidissement et les générateurs, ainsi que de vastes parkings et bassins de rétention. Microsoft promet une conception « exemplaire » sur le plan environnemental : refroidissement en circuit fermé, énergie 100% renouvelable, intégration paysagère, écrans acoustiques et mesures de compensation, sans que l’on sache exactement en quoi celles-ci pourraient consister au sein de cette bande de terre essentiellement agricole.

Neutralité carbone ≠ zéro émission de CO2 : Il s’agit d’un équilibre, pas d’une suppression totale des émissions.
La neutralité carbone repose souvent, en partie, sur des mécanismes de compensation (reforestation, projets de séquestration du carbone, etc.). Ces mécanismes sont parfois critiqués pour leur efficacité réelle et le risque d’« éco-blanchiment » (greenwashing), surtout lorsqu’ils servent d’alibi pour éviter de réduire les émissions à la source.
Scientifiquement, la neutralité carbone a du sens à l’échelle mondiale ou nationale, mais son application à des entreprises ou des produits est plus controversée, car il est difficile de garantir un véritable équilibre global à ces échelles

Pourtant, nombre de questions restent sans réponse claire ou sont renvoyées à des études futures : consommation réelle d’énergie (annoncée équivalente à celle de 350 000 foyers, selon un chiffrage à prendre avec réserves), gestion du dôme de chaleur généré par les serveurs, impacts sur la faune ordinaire (alouette des champs, milan noir, etc.), risques de pollution en cas d’accident, bruit, pollution lumineuse, et effets cumulatifs avec d’autres projets industriels sur la bande rhénane.

2-DCA-m2A-LANCEMENT-DP-2024-12-2482C

Le précédent de l’incendie du data center OVH à Strasbourg en 2021, avec ses conséquences environnementales et financières encore non soldées, hante les esprits. Les garanties avancées (cuves à double paroi, bassins étanches, études de dangers) ne dissipent pas l’inquiétude d’un territoire déjà lourdement marqué par les aménagements industriels passés.

Une utilité sociale et économique discutée

L’argument de l’emploi, souvent mis en avant, ne résiste pas à l’examen : 4 milliards d’euros d’investissement pour 150 à 200 emplois directs et indirects, soit un ratio dérisoire comparé aux promesses initiales du sommet « Choose France » (10 000 emplois pour 15 milliards d’euros). Les retombées fiscales locales sont jugées faibles, la dépendance à une multinationale américaine accrue, et la “souveraineté numérique nationale”, pourtant revendiquée par l’État dans les propos du sous-préfet de Mulhouse, loin d’être assurée.

En effet, la plupart des outils restant sous contrôle étranger, et notamment sous l’égide du “Cloud Act” américain, dont les effets extraterritoriaux sont pressentis depuis des années par les autorités françaises.

En janvier 2019, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances déclarait ceci lors de la séance de questions au gouvernement :

Nous sommes en train, avec le Premier ministre, de travailler à un dispositif de protection des données stratégiques de nos entreprises pour qu’elles ne puissent pas être récupérées par l’administration américaine ou par la justice américaine sans qu’elles soient averties“. Ajoutant : “La souveraineté numérique, c’est être capable de résister aux sanctions extraterritoriales américaines, au “Cloud Act” américain, qui permet à n’importe quelle administration américaine d’aller récupérer des données chez un hébergeur“.

“Microsoft Azure” héberge par exemple la totalité des données de santé françaises, au travers du HDH “Health Data Hub“. Une procédure contestant l’autorisation octroyée par la CNIL, qui juge le risque “acceptable” (du moins jusque 2026), a été déférée en 2023 devant le Conseil d’État, qui lui assure que les données sont “anonymisées”. Pour étendre notre lexique de franglais, cela s’appelle du wishfull thinking, ou de la pensée magique.

Par ailleurs, la concertation, bien que prévue par la procédure, est jugée tardive et insuffisante par de nombreux habitants, qui dénoncent un déficit de transparence et une absence de débat public réel sur le sens et la nécessité de ce type d’infrastructure.

Croissance numérique et déflagration climatique : l’impuissance politique au carré

Sur l’intelligence artificielle conversationnelle, telle qu’on la connaît depuis la première version grand public de Chat GPT, et dont tous les ingénieurs spécialisés, a fortiori français et de renom, qui officient aux États-Unis, comme Yann Le Cun (qui prône une régulation du déploiement), ou Luc Julia (qui défend une régulation stricte), affirment clairement qu’elle est non opérante, parce que inefficace au possible (+de 33% de taux d’erreur), et surtout aberrante écologiquement parce que son développement est simplement insoutenable (3 images générées par Chat GPT = 1 litre d’eau potable consommée). 

Face à ces défis herculéens, les responsables politiques ont l’air complètement paumés, ou déphasés. La maire de Petit Landau s’obligeant toujours pour sa part à faire bonne figure, elle qui n’a jamais eu connaissance du dossier et des tractations, jusqu’à l’annonce officielle de la construction de l’infrastructure.

Seul Fabian Jordan, s’applique à tenir ferme sa zone de confort, entre deux consultations de smartphpne, à savoir une ligne de médiation, en répétant ses mantras habituels « co-construction » « on va le faire ensemble », « exprimez-vous librement », etc.

Les ambassadeurs de Microsoft, bien que très maladroits, parce que peu à l’aise face à un public relativement peu amène ou sceptique, ont pourtant clairement annoncé la teneur des ambitions de la multinationale américaine : les données hébergées dans ce data center serviront aux « outils de productivité » (comprendre le « cloud » et tous ses logiciels applicatifs) et à l’intelligence artificielle.  

Pourtant, on a pu voir un Rémy Neumann, maire de Lutterbach et vice-président de M2A chargé de la relance de l’investissement, de la commande publique, et de l’urbanisme prévisionnel, s’illustrer de manière piteusement arrogante, au point d’être systématiquement repris par Jordan.  

Replié sur lui-même, ne regardant l’assemblée que lorsqu’il est interpellé, agitant frénétiquement ses pieds, le maire de Lutterbach ne cessera de fixer continûment l’écran de contrôle disposé à ses pieds. Sa nature expliquant peut-être une partie de son langage non-verbal, mais de toute évidence il n’avait pas l’ardent désir d’être présent ce soir-là.

Et quand on l’interpelle sur le rôle ou l’utilité de l’IA, sur la capacité supposée de la technologie à résoudre des problèmes, plutôt que de les précipiter en entretenant une foi aveugle en elle, Neumann répond que le cancer et nombre de maladies sont mieux soignées grâce aux IRM et aux technologies modernes… 

De fait, il était assez stupéfiant de constater à quel point les participants à cette réunion publique furent peu soucieux de définir l’IA, emblème techno-féodal selon les plus sceptiques, et objet même de l’attention publique dans ce village frontalier peuplé de 820 âmes, autrefois paisible, alors que l’on s’apprête à artificialiser plusieurs dizaines d’hectares de terre agricole. Et engendrer nombre d’inconvénients pour les riverains, la faune et la flore

Seul le maire de Hombourg, Thierry Engasser, a clairement signifié les motifs d’inquiétude justifiant son opposition au projet d’implantation. La balance penchant selon lui du côté des problèmes insolubles plutôt que des avantages potentiels.

Au fond, le projet de Petit-Landau cristallise un choix de société : continuer à sacrifier terres, eau, énergie et biodiversité à une croissance numérique sans limite, ou engager une véritable réflexion sur la sobriété, la relocalisation des usages et la préservation des communs.

Les opposants rappellent qu’il existe des milliers de friches industrielles à reconvertir, et que les innovations récentes montrent qu’il est possible de faire « aussi bien avec énormément moins de ressources et de destruction de l’environnement », selon des commentaires laissés par des riverains du site.

La question du sens, ici, est centrale : à quoi bon multiplier les data centers, si ce n’est pour alimenter une fuite en avant technologique dont les bénéfices locaux restent hypothétiques, tandis que les coûts écologiques et sociaux, eux, sont certains et durables ? Pour beaucoup, le projet de Petit-Landau risque de devenir le symbole d’une aberration écologique et d’un modèle de développement à bout de souffle.

Résumé des échanges avec la salle

Ils illustrent bien les zones d’ombre et les inquiétudes persistantes autour du projet de data center.

1. Sur les risques liés aux générateurs et au stockage de carburant :
Les riverains s’inquiètent du volume important de diesel stocké pour alimenter les groupes électrogènes de secours (environ 60 générateurs prévus) et des risques de pollution en cas de fuite ou d’incendie. Microsoft a répondu que le carburant sera stocké dans des cuves enterrées à double paroi, équipées de dispositifs de détection de fuite et entourées de protections en béton et sable, conformément aux normes Seveso seuil bas. Une étude de dangers est en cours pour évaluer précisément ces risques.

2. Sur la consommation d’eau et le refroidissement :
Le projet met en avant un système de refroidissement en circuit fermé, sans prélèvement dans la nappe phréatique ni dans le canal d’Alsace. Cependant, la population questionne la pertinence d’implanter un data center à proximité immédiate d’une ressource en eau précieuse, alors que la consommation énergétique et les besoins en refroidissement restent très élevés. Microsoft assure que la consommation d’eau sera minimisée et que des bassins d’infiltration paysagers seront aménagés pour gérer les eaux pluviales.

3. Sur les nuisances sonores et lumineuses :
Les habitants redoutent les nuisances sonores liées au fonctionnement 24h/24 des équipements, notamment les groupes électrogènes lors des tests réguliers, ainsi que la pollution lumineuse nocturne pouvant perturber la faune locale. Microsoft a présenté des murs acoustiques, des équipements à faible bruit, des capots acoustiques, et prévoit des mesures indépendantes régulières chez les riverains. L’éclairage sera orienté et limité en intensité pour réduire l’impact sur la faune.

4. Sur le choix du site et la préservation des terres agricoles :
Plusieurs citoyens et associations soulignent l’absurdité écologique de sacrifier 36 hectares de terres agricoles, dont 11 hectares en agriculture biologique, dans un contexte de raréfaction du foncier et d’enjeux alimentaires. Ils demandent pourquoi ne pas privilégier les friches industrielles existantes ou les dents creuses. Le porteur du projet rappelle que la zone est identifiée dans le SCOT comme un espace économique stratégique, mais les réponses sur l’adéquation réelle du site à un data center restent floues. .

5. Sur l’impact environnemental global et la biodiversité :
Les questions portent aussi sur les effets cumulés des nombreux projets industriels sur la bande rhénane, la destruction d’habitats pour plusieurs espèces protégées (linotte mélodieuse, milan noir, bruant jaune), et l’absence à ce stade de mesures de compensation environnementale détaillées. Microsoft indique que des mesures réductrices et compensatoires seront définies au fur et à mesure de l’avancement du projet, mais les détails concrets manquent.

6. Sur la souveraineté numérique et l’intérêt économique local :
Des intervenants expriment des doutes sur la dépendance accrue à une multinationale américaine, alors que la France cherche à renforcer sa souveraineté numérique. Ils questionnent également le faible nombre d’emplois créés (150 à 200) au regard des milliards investis et des avantages fiscaux accordés. Microsoft souligne ses engagements en matière de formation locale (Microsoft Datacenter Academy) et de soutien aux startups, mais ces arguments ne dissipent pas le scepticisme.

7. Sur la procédure de concertation et d’enquête publique :
Les citoyens regrettent un déficit de transparence et une concertation jugée insuffisante, demandant un débat public indépendant et une étude d’impact complète. Les porteurs du projet assurent que la procédure réglementaire est respectée, avec une enquête publique prévue fin 2025, permettant au public de consulter tous les documents et de formuler ses observations, lesquelles seront prises en compte dans la décision finale.

Après l’industrie chimique, un rouleau compresseur de silicium ?

Ce dialogue tendu révèle un fossé entre les promesses d’innovation, de neutralité carbone et de développement économique portées par Microsoft, et les préoccupations légitimes des habitants sur les impacts environnementaux, sociaux et la pertinence même du choix du site.

Malgré les garanties techniques, le projet reste perçu comme une aberration écologique, notamment par la destruction de terres agricoles précieuses et la création d’un « dôme de chaleur » local, dans une région déjà soumise à des pressions industrielles et climatiques importantes.

Le projet de Petit-Landau pose ainsi la question fondamentale du sens de la croissance numérique à tout prix, au détriment des ressources naturelles et de la qualité de vie locale. La concertation en cours et l’enquête publique à venir seront des moments clés pour mesurer la capacité des porteurs du projet à répondre réellement aux inquiétudes citoyennes et à faire évoluer leur approche vers plus de sobriété et de responsabilité écologique.

Des inquiétudes qui nourrissent nécessairement un scepticisme persistant quant à la légitimité et à la durabilité de ce projet à Petit-Landau.

A lire également dans nos colonnes :