1500, 2000, combien de manifestants ce dimanche 7 juin devant le site de l’ANDRA ? (n.d.l.r : Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, opérateur pour AREVA, EDF, le CEA, pour la gestion des déchets nucléaires…).
En tous cas assez pour que la mobilisation espérée par les organisateurs ait largement permis de remplir l’objectif d’une chaîne humaine continue ceinturant complètement le site du laboratoire de l’ANDRA.
Ne pas commettre l’irréparable
C’est dans les argiles de Bure, entre Bar-le-Duc et Saint-Dizier, dans un secteur parmi les moins peuplés de France (6 habitants au km2 dans la zone de recherche approfondie) qu’en 2005 l’ANDRA, expulsée jusque-là et depuis 1987 de toutes les zones prospectées ‑3100 communes pressenties‑, choisit le site d’enfouissement des déchets nucléaires ultimes (projet CIGEO) et décide donc que cette zone pourra contenir la radioactivité des déchets nucléaires ultimes pendant des millénaires.
Elle oublie au passage les failles géologiques et le potentiel géothermique de la région, refuse un référendum et lance ses appels d’offres avant que le débat public n’ait eu lieu.
En 2006 la loi sur la gestion des déchets nucléaires est votée.
En 2017 les premiers creusements devraient débuter comme l’aménagement de la zone d’entreposage en surface et de l’usine de conditionnement des colis, pour recevoir les premiers fûts de colis radioactifs en 2025.
La « lettre ouverte à Monsieur le Président de la République » largement distribuée aux participants au rassemblement de dimanche est un « appel solennel à enfouir le projet CIGEO d’enfouissement dont l’objectif est d’abandonner à tout prix, à 500 mètre sous terre, 99,99% de la radioactivité totale produite par nos centrales nucléaires ».
La lettre demande de «ne pas commettre l’irréparable» en poursuivant un projet techniquement irréalisable et dangereux car « il est impossible de maîtriser la radioactivité, les risques d’incendie et d’explosion en grande profondeur » dans des cellules de stockage de 500 mètres inaccessibles dès lors qu’elles sont remplies de déchets.
Elle rappelle que le coût de ce projet – toujours inconnu – « varie du simple au triple selon les déclarations et estimations, avec des mécanismes de financement aléatoires car liés à des variations boursières » [n.d.l.r : prévisions des rendements de valeurs mobilières constituant les provisions obligatoires aux termes de la loi pour les grands opérateurs concernés, prévues sur 143 ans !…il est vrai que la loi est très antérieure aux performances financières actuelles d’AREVA…].
Elle rappelle les promesses d’emploi, de développement économique induit, d’argent facile pour les collectivités locales (40 millions d’euros déjà à la disposition des deux départements concernés de la Meuse et de la Haute Marne), l’absence de débat public.
Elle réaffirme la volonté de résistance à un projet qui menace la terre, la santé, le droit pour les habitants de vivre sereinement…comme un certain Président de la République, alors simple député de Corrèze, l’avait défendu début 2000.
Elle réaffirme « qu’entre le nucléaire et l’effet de serre il y a l’intelligence collective pour une politique énergétique digne du 21ème siècle ».
50 ans d’électricité, 500 000 ans de radioactivité
Cette intelligence collective était bien présente lors de la journée de mobilisation «100 000 Pas à Bure», chez les participants comme chez les associations et collectifs mobilisés contre la poubelle nucléaire projetée, à travers les randonnées organisées à travers les champs et forêts menacées par l’emprise foncière des 3000 hectares acquis par l’ANDRA, par les 30 kms2 d’installations en surface prévus, les 265 kms de galeries souterraines entre les villages de Bure, Bonnet, Mandres et Rieaucourt, Saudron et les 100 000 m3 de stockage souterrains.
Les nombreux slogans sur les drapeaux, affichettes, documents disaient par exemple: « Bure, ville jumelée avec Tchernobyl, Fukushima, Three Miles Island », « Don’t nuke the climate », « Bure à cuire, Burâleurs », « 50 ans d’électricité, 500 000 ans de radioactivité », « inactif aujourd’hui, radioactif demain », ou encore….et très sobrement, « on veut pas de cette saloperie, non c’est non », ou encore « ramène ta pioche cet été à Bure, on a 10 jours pour enterrer l’ANDRA ».
Les chants de la « Chorale révolutionnaire de Verdun », de la « Chorale des Sans Nom de Nancy », les discours de rares élus locaux présents – manne financière oblige -, les stands d’associations anti nucléaires, le rappel constant de Fessenheim et du dossier Stocamine par les orateurs, les délégations de collectifs divers comme celui de Notre Dame des Landes, la présence fortement applaudie des tracteurs de paysans locaux opposés au projet…autant d’éléments d’animation et de mobilisation avant le début de la marche pour former la chaîne enfermant « le monstre ».
Mais toutes les formes d’oppositions légalistes ont échoué à ce jour : la pétition de 42 000 signatures locales demandant un référendum a connu la poubelle (pas la nucléaire..), la conclusion du débat public de 2006 qui comporte de fortes réserves sur le stockage profond balayée, les arrêtés municipaux contre l’enfouissement totalement ignorés et, en outre, c’est la « colonisation nucléaire » de tout un territoire qui se développe dans le sud – Meuse (plate ‑formes de transport de matière radioactive, plate – formes de stockage pour pièces neuves de centrales, filières scolaires liées au nucléaire…).
La moitié des déchets qui pourraient être enfouis à Bure ne sont pas encore produits, les stockages actuels sont pleins et il s’agit désormais d’afficher une « solution » à ce problème insoluble de l’industrie nucléaire en faisant disparaître les déchets, même dans des conditions de dangerosité certaines pour des centaines de milliers d’année, et contribuer ainsi à légitimer absolument la poursuite du programme « électro – nucléaire ».
La chaîne humaine s’est formée sur le « chant des 100 000 Pas » (paroles de François Drapier sur l’air du Chant des partisans) dont le refrain dit : « Hé oh CIGEO, entends-tu les 100 000 pas, c’est la fronde… Car nous marcherons 100 000 pas 100 000 fois, nos cœurs grondent… ».
La mobilisation continuera cet été à Bure pour creuser la tombe du projet CIGEO.
Ah, …un détail : une bonne partie du vaste paysage local, visible du site, est ceinturée par de grandes et belles éoliennes en activité… Humour noir, provocation involontaire ?
L’intelligence collective des manifestants ne semble décidément pas partagée par les pouvoirs publics.
Christian Rubechi.
Liste des articles déjà paru sur le nucléaire dans L’Alterpresse68 :
Nouvelle embrouille à Fessenheim ! (mai 2015)
CIGEO : des incertitudes majeures à deux ans du feu vert (avril 2015)
Flamanville, le chantier maudit. (avril 2015)
Fermer Fessenheim : quand et comment ? (mars 2015)
Fessenheim : Lettre ouverte au directeur de la centrale. (mars 2015)
Fessenheim : fermera, fermera pas ? (mars 2015)