boeuf et ane

Ima­gi­nons un malade. Pris en charge par une équipe médi­cale, il se voit admi­nis­trer un pro­to­cole de soins. Au bout de quelques semaines, il appa­raît évident que son état, loin de s’améliorer, se dégrade. L’équipe médi­cale ne s’interroge pas sur la néces­si­té de chan­ger de pro­to­cole, et pour cause : elle n’en connait pas d’autre, elle l’applique à tous ses patients, quel que soit leur état. Elle ren­force encore cette dose inopé­rante et toxique. Si elle ne fonc­tionne pas, c’est par la faute du… malade, dont le pro­fil ne convient pas, qui fait preuve d’une mau­vaise foi et d’un manque de recon­nais­sance indignes envers ces pro­fes­sion­nels si compétents.

C’est exac­te­ment ce qui res­sort des « édi­to­riaux » de mes­sieurs Bodin et Cou­raud  à pro­pos de la Grèce, de son pre­mier ministre, et du réfé­ren­dum convo­qué par ce der­nier. Comme Nico­las Sar­ko­zy, expert en décla­ra­tions fra­cas­santes et en sciences éco­no­miques, s’il en est, ils n’ont pas de mots assez durs envers ce tru­blion qui brouille les cartes, cet extré­miste au cou­teau entre les dents, ce mau­vais joueur tirant des cartes faus­sées de sa manche, n’en jetez plus.

Les faits

Tsi­pras suc­cède à Sama­ras en jan­vier 2015, après deux ans et demi de légis­la­ture domi­née par la « Nou­velle démo­cra­tie ». Il rem­porte les élec­tions sur le constat fait pour notre malade. D’autres voix, y com­pris au sein même du FMI, s’élèvent contre cette médi­ca­tion. Tsi­pras réclame la fin de l’austérité, et un pro­gramme de relance per­met­tant enfin la mise en route de réformes struc­tu­relles indis­pen­sable au pays. Du temps de Sama­ras, cette demande de réformes était déjà une des condi­tions à l’aide accor­dée. Aucune n’a été sérieu­se­ment enga­gée par lui et son gou­ver­ne­ment, et curieu­se­ment, la troi­ka de l’époque ne lui en a pas fait le reproche, se mon­trant com­pré­hen­sive à l’égard de ce pou­voir issu du sérail.

La demande de pro­lon­ga­tion du pro­gramme en cours (échéance fin février) par Tsi­pras, afin de pou­voir mettre en place une poli­tique de lutte contre la crise huma­ni­taire et de pré­sen­ter un plan de réformes, a été l’objet d’âpres dis­cus­sion, pour abou­tir le 20 février. Depuis cette date, la règle de conduite unique de la troi­ka deve­nue « ins­ti­tu­tions » a été d’imposer SON pro­gramme de réformes, déri­vé d’un modèle unique pré­sen­té comme seul valable dans tous les cas, assis sur la volon­té obs­ti­née de ne pas perdre le moindre euro dans l’affaire, ayant tou­jours de quoi grat­ter, par de nou­velles coupes sombres dans les pres­ta­tions, les salaires et les retraites, quitte à ce que tout le bud­get de l’état passe à 100% dans le ser­vice de la dette. Quitte aus­si à refu­ser le résul­tat des élec­tions, et à n’avoir plus pour seul but que celui de cas­ser le tru­blion et son équipe.

J’aurais aimé lire dans ces édi­to­riaux, en lieu et place de pro­pos déma­go­giques, une ana­lyse plus objec­tive des faits, celle que vient de faire hier soir 29 juin, Fran­çois Len­glet, au JT d’Antenne2, met­tant en avant la res­pon­sa­bi­li­té écra­sante de ceux qui per­sistent dans cet aveu­gle­ment idéo­lo­gique au ser­vice des lob­bies aux­quels ils doivent leurs postes dans les divers orga­nismes européens.

Ce que j’avance ici n’aurait pas d’intérêt sans les remarques suivantes.

L’histoire selon L’Alsace : des « couronneries » !

Sous l’éditorial de R. Cou­raud, « L’Alsace » fait un his­to­rique de la crise, déclen­chée, selon ce jour­nal, par la révé­la­tion de G. Papan­dreou, Pre­mier ministre en 2010, de la situa­tion réelle du pays. Il aurait fal­lu, tant qu’à faire, remon­ter à 2007 et à ce qui s’en est sui­vi : crise des sub­primes, faillites ban­caires, sau­ve­tage des banques par les états sans contre­par­tie, endet­te­ments publics mas­sifs pour ça. Et même plus loin dans le temps, au détour des années 1990 : détri­co­tage sys­té­ma­tique par la finances des bar­rières légales( cer­taines remon­tant au temps du « new deal » de Roo­se­velt), au nom du libé­ra­lisme, lob­bying per­met­tant la baisse de la fis­ca­li­té sur les pro­fits du capi­tal et  la mise en place de toutes sortes de moyens d’évasion, d’optimisation, ou de dis­penses  fis­cales, pri­vant les états de res­sources immenses qui auraient pu ser­vir à l’amélioration du niveau de vie des popu­la­tions. En lieu et place de cela, l’éditorialiste trouve à lar­moyer sur le gas­pillage des sommes enga­gées pour « sau­ver » la Grèce, les­quelles sommes auraient pu ser­vir plus effi­ca­ce­ment ailleurs. Mais pas un mot sur le fait que les sommes injec­tées ont ser­vi à 90% au ser­vice de la dette, tan­dis que la popu­la­tion plon­geait dans la gêne.

Infor­mer sur le fait que la Grèce, admise dans la zone euro en 2001–2002, doit se réfor­mer, admettre que ces réformes doivent être adap­tées aux spé­ci­fi­ci­tés du pays, qu’elles doivent venir du gou­ver­ne­ment de ce pays et non impo­sées de l’extérieur au mépris de sa sou­ve­rai­ne­té ( laquelle lui confère aus­si le droit de nouer des rela­tions avec qui il veut, y com­pris avec Pou­tine), qu’elles ne don­ne­ront pas leurs fruits ins­tan­ta­né­ment, et qu’il faut les assis­ter en aidant à leur réa­li­sa­tion, voi­là com­ment je conçois une infor­ma­tion objective.

Deman­der l’avis du peuple : quelle idée saugrenue !

Enfin, venons-en au réfé­ren­dum et à sa genèse. Le pre­mier acte suit l’incroyable et pitoyable mara­thon de quatre mois de palabres, où les « Ins­ti­tu­tion » cherchent par tous les moyens à cas­ser du SYRIZA. Il a lieu lors de l’EUROGROUP du lun­di 22 juin. Les Grecs ont dépo­sé des pro­po­si­tions, les ministres et chefs d’états annoncent qu’elles consti­tuent une bonne base de dis­cus­sions pour par­ve­nir à un accord. Le len­de­main, tout est remis en cause : les ins­ti­tu­tions font une contre-pro­po­si­tion, qui reprend la seule médi­ca­tion qu’elles connaissent, et en aggravent la por­tée. Le vilain gar­ne­ment Tsi­pras, si peu recon­nais­sant des géné­reux efforts de ses « par­te­naires », n’a qu’un choix, celui de les reje­ter, et qu’une arme, celle du réfé­ren­dum : aux citoyens qui l’ont por­té au pou­voir de dire s’ils acceptent ou non des demandes contraires à son pro­gramme électoral.

Se pose alors une ques­tion. Se déter­mi­ne­ront- ils sur le texte des pro­po­si­tions des ins­ti­tu­tions, ou sur leur main­tien ou non dans l’euro ? Nous savons tous, et en France, on est mieux pla­cé pour cela qu’ailleurs, que les élec­teurs lisent rare­ment la tota­li­té des textes sur les­quels ils doivent se pro­non­cer. On sait aus­si que ce type de scru­tin vire rapi­de­ment de la ques­tion inter­na­tio­nale à des enjeux de poli­tique inté­rieure. Je sais, pour avoir sous les yeux les der­nières et « géné­reuses » pro­po­si­tions des ins­ti­tu­tions qu’elles sont inac­cep­tables par un peuple plon­gé dans la réces­sion, et qu’elles consti­tuent un non-sens abso­lu, pré­ten­dant faire cou­rir un malade qui ne tient pas sur ses jambes, et le priant d’y croire.

Il y a pour conclure cette per­ver­sion consis­tant à inter­pré­ter un éven­tuel « NON » comme une déci­sion de sor­tir de l’euro. Pour­quoi per­ver­sion ? Parce qu’elle repose sur le pos­tu­lat qu’il n’y a pas d’autre solu­tion que celle pro­po­sée. Au nom de ce dogme, le risque pris par les diri­geants de la zone euro et par le FMI, dépasse lar­ge­ment celui conte­nu dans le réfé­ren­dum grec. Le « non », s’il l’emportait, signi­fie­rait sim­ple­ment qu’il faille s’atteler à revoir la médi­ca­tion, à la rendre viable, res­pec­tueuse, et adap­tée aux buts qu’elle pour­suit pour le bien com­mun des gens qui vivent dans le sys­tème euro. Qu’elle évite aus­si de dres­ser les peuples en ques­tion les uns contre les autres, qu’elle œuvre à évi­ter les lieux com­muns inju­rieux (les PIGS appré­cie­raient), qu’elle ne fasse pas le lit d’une extrême-droite bien plus « extrême » que SYRIZA, bref, qu’elle retrouve un peu du sens qui ani­mait autre­fois les « Pères fondateurs »

Michel Ser­vé. 30 juin 2015.

Com­men­taire de L’Alterpresse68 :

Nous avons déjà sou­vent évo­qué la médio­cri­té de la qua­li­té des édi­to­riaux de L’Alsace.

D’ailleurs, le quo­ti­dien mul­hou­sien n’est plus jamais cité dans les revues de presse natio­nales qui, en géné­ral, se basent sur les édi­to­riaux. Sûr que ce n’est pas dans les pro­pos de « Cou­din » ou « Boraud » qu’ils trou­ve­ront un com­men­taire ori­gi­nal, eux qui ne savent que chaus­ser les patins des pro­pos conve­nus, déjà mille fois res­sas­sés par les autres organes de presse.

Une ques­tion demeure : alors que dans la rédac­tion de L’Alsace se trouvent de réelles com­pé­tences jour­na­lis­tiques, pour­quoi confier les édi­to­riaux, la vitrine du jour­nal en quelque sorte, aux plus mau­vaises plumes du jour­nal ? Cela ne peut échap­per à l’actionnaire prin­ci­pal. Alors, pour­quoi ? Pas besoin de gagner de lecteurs ?