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L’Union européenne s’affole devant l’accueil subi ou choisi d’un « flux mixte » de 500.000 migrants depuis le début de l’année 2015 (soit le double des chiffres de toute l’année 2014).

Déclenchée par les guerres et les insupportables inégalités de développement économique entre régions du monde, la poursuite de ce flux est prévisible.

Les gouvernements de l’Union succombent désormais trop souvent à des discours identitaires, voire xénophobes, remettent en cause les accords qui organisaient  – tant bien que mal et plutôt très mal – les mécanismes de contrôle de ces flux sur le territoire européen et s’engagent même dans la mise en place de murs et de mesures répressives en tentant de laisser au pays voisin la « charge » de l’accueil.

Discours humanitaires, références religieuses et civilisationnelles, arguments économiques et juridiques, arguties politiciennes, sont mis en avant dans une cacophonie extraordinaire pour justifier, devant des opinions publiques souvent inquiètes et déboussolées, des politiques et des mesures nationales improvisées.

Enfin les nouveaux dispositifs légaux applicables en France, loi sur la demande d’asile et réforme du code d’entrée et de séjour des étrangers, commencent d’entrer en application.

Quand les bénévoles sont au diapason avec les chercheurs

C’est dans ce contexte difficile que le Forum « Humanité sans limite », organisé par le collectif local « Urgence Welcome », rejoint par  une dizaine d’associations de bénévoles d’aide aux demandeurs d’asile et migrants venues de diverses villes françaises (Calais, Avranches, Le Creusot, Nantes et Sud Manche, Quimperlé, Bourg en Bresse, Tours) s’est tenu  ces 12 et 13 septembre à la Maison de la citoyenneté de Kingersheim – Maison qui s’est trouvée à l’extrême limite de ses capacités d’accueil compte tenu de l’affluence lors des séances publiques.

Catherine Wihtol  de Wenden, politologue et directrice de recherche au CNRS, a donné sa conférence centrée sur la relativisation des flux migratoires qui concernent l’Europe par le rappel des données mondiales, un rappel de l’historique des vagues migratoires (et à Mulhouse on connaît bien les arrivées fortes venues des Balkans…),  l’analyse des politiques des Etats et de l’Europe dans ce domaine, les types et l’effectivité des droits à migrer selon les niveaux sociaux et les compétences des personnes concernées, les différents cas de migrations: situations de conflits, persécutions et discriminations religieuses et raciales mais aussi, et très majoritairement en France pour l’immigration légale, les étudiants et les regroupements familiaux.

Relativiser l’ampleur du phénomène

La relativisation de l’ampleur du phénomène migratoire (3,2 % de la population mondiale concernée), le rappel des axes de migrations mondiaux également répartis vers le sud et le nord, ainsi que des vagues précédentes (“boat people» par exemple) ont également été évoqués par l’intervenante qui a appelé à la libre circulation des citoyens et à la reconnaissance de la mobilité comme “bien public mondial”.

*Pour écouter l’intégralité de la conférence de Catherine de Wenden: voir ci-dessous

Les échanges entre associations ont porté sur leurs pratiques pour aider au logement, à l’appui juridique, à l’accompagnement social, parfois à l’accès aux soins médicaux d’urgence, à l’aide alimentaire, à la scolarisation et à l’apprentissage du français, mais aussi sur les conditions d’une communication efficace, de mobilisations de l’opinion, du lien avec les médias, de l’interpellation des autorités publiques responsables des situations humaines inacceptables et souvent illégales faites aux candidats du droit au séjour.

Il faut noter la participation et la volonté exprimée de prendre en compte ces questions, dans leur champ de compétences, d’élus de la ville de Kingersheim, au premier rang desquels le maire, lors des deux journées du Forum.

Des associations confrontées à des situations humaines dramatiques

Outre leurs échanges techniques les représentants associatifs ont tous souligné la gravité des situations humaines rencontrées, les déficits considérables de moyens offerts aux personnes pour se loger et préparer leurs dossiers de demandes de droit au séjour dans des conditions d’extrême précarité, la complexité et la longueur des procédures à conduire – 2 ans en moyenne –  pour les demandes d’asile stricto sensu, les situations parfois vécues de brutalités policières et de tracasseries administratives.

Certains ont également souligné la duplicité du gouvernement français qui se targue de vouloir accueillir 24 000 réfugiés syriens sur deux ans (chiffre dérisoire par ailleurs à mettre en regard des engagements allemands et des millions de réfugiés accueillis en Turquie, au Liban, en Jordanie) mais qui oublie les dizaines de milliers de demandeurs d’asile englués dans des procédures interminables et dans des conditions souvent illégales ou absurdes (en particulier non-hébergement, interdiction de travailler pour des périodes de plusieurs mois, éventuels “laissés pour compte”: candidats au séjour sur le territoire, y compris des syriens, bloqués à Calais depuis des mois, reprise des expulsions au gré des résultats chiffrés exigés des préfets…).

Une citation de l’abbé Pierre évoquée par des participants peut résumer leurs approches  de ces réalités : « voir les causes mais aussi soulager ».

La projection du film « Les Messagers » d’Hélène Crouzillat et Laetitia Tura a permis au public présent dimanche d’écouter des témoignages de rescapés de voyages périlleux, par voie de terre ou par mer, filmés avec une totale sobriété et d’autant plus émouvants dans leurs récits de perte d’amis, de membres de leur famille, de compagnons de route. On peut rappeler les 30 000 morts officiellement identifiés sur les dix dernières années en tentant de traverser la Méditerranée (sans compter évidemment tous les autres…).

Vers un droit à la libre circulation des personnes ?

Une déclaration commune des associations a été lue pour appeler à la poursuite d’engagements personnels ou collectifs toujours plus nécessaires pour l’accueil des étrangers, pour la défense d’un droit d’asile en grand danger de fait malgré les engagements internationaux et européens de la France, comme pour  l’engagement et le respect des droits prévus par notre législation au bénéfice des demandeurs du droit au séjour en France.

Les intervenants associatifs, mais aussi nombre d’intervenants lors des débats qui ont suivi conférence et film, ont exprimé leur conscience d’être à un tournant du droit à la libre circulation des personnes en Europe: menace sur l’existence même d’un droit d’asile désormais trop dépendant des sondages et des visées politiciennes, évolution d’une opinion publique oscillant entre peurs et solidarité.

Mais la plupart des gouvernements européens, le nôtre compris, sont tentés par le repli et la fermeture, au nom de la « raison », de la crainte de « l’appel d’air », voire par des aventures militaires censées aider à régler la question.

Faire vivre les principes fondateurs du droit d’asile ou construire des murs ?

Des axes de travail et des pistes de solutions sont connus pour enrayer la crise humanitaire et éviter ces drames dont l’actualité nous abreuve chaque jour : suspendre le règlement de Dublin qui transfère la charge de l’accueil sur le pays d’entrée en Europe, sécuriser les arrivées par la délivrance de visas humanitaires à partir des ambassades et consulats de l’U.E et ainsi assécher le marché des passeurs, aider massivement quelques pays de première ligne (Turquie, Liban, Jordanie…), éventuellement définir des quotas adaptés et évolutifs aux besoins et capacités des pays concernés, dans l’esprit des propositions de la Commission européenne, et surtout ne pas oublier les principes fondateurs du droit d’asile tel que défini en particulier par la Convention de Genève de 1951 qui ont acquis valeur constitutionnelle dans notre droit.

Les discours démagogiques sur la criminalisation des candidats au séjour, la pratique du tri sélectif entre les « demandeurs d’asile » fuyant guerres et persécutions diverses et les « migrants économiques » censés venir profiter de nos régimes sociaux est objectivement fausse et relève de la manipulation des données et des réalités.

Il importe de se souvenir que confrontée aux flux de réfugiés déclenchés à la fin de la seconde guerre mondiale, la communauté internationale avait répondu par la  Convention de Genève organisant  le droit d’asile pour les victimes de situations de guerre comme pour tous les persécutés dans des Etats qui ne pouvaient ou ne voulaient les protéger.

Construire aujourd’hui des murs, élaborer des mécanismes d’exclusion, oublier les engagements et le droit international, raviver le discours identitaire, c’est préparer la fin de l’idée européenne même.

Pour l’Union européenne il est donc grand temps de s’unifier sur des objectifs et des moyens adaptés pour gérer ces flux qui ne cesseront pas et qui peuvent représenter une richesse pour renouveler nos vieilles sociétés apeurées qui s’étouffent.

Faut- il rappeler que plus du quart de la population française est issu de l’immigration?

Et donc oui à l’appel d’air, pour des raisons de cœur bien sûr mais aussi de raison!

Christian Rubechi