La Ligue des Droits de l’Homme (L.D.H.) vient de rendre public un rapport d’enquête de 75 pages sur les conditions de la mort de Rémi Fraisse, jeune militant de 21 ans tué par un gendarme lors des manifestations contre la poursuite des travaux du barrage de Sivens.
Sont ainsi analysées, après plus d’un an d’investigations et de très nombreuses auditions, les conditions de cette mort et le contexte juridique et institutionnel qui vit de nombreuses manifestations (à Mulhouse nous étions quelques dizaines à avoir manifesté). dénonçant l’ultraviolence des forces de l’ordre sur le site, en solidarité avec les opposants au projet de barrage, cas exemplaire de « G.T.I.I. » (grands travaux inutiles et imposés) pour les opposants.
La Ligue évoque dans son rapport le « déficit démocratique », la « gestion catastrophique », la « désinformation organisée », la « violence considérable » opposée à des « jeunes pacifiques pour l’essentiel, sauf de vingt à trente, disposant d’un matériel limité de cailloux, de mottes de terre et de quelques projectiles incendiaires ».
Dans son rapport, la L.D.H dénonce fortement le refus de mise en examen du gendarme auteur du tir mortel et la non traçabilité des ordres donnés cette nuit là.
Elle détaille les conditions non démocratiques, au sens plein du terme et ce malgré le vote de principe favorable du conseil général du Tarn, de la conduite du projet de barrage (normes légales et réglementaires ignorées, nationales et européennes, conflit d’intérêt patent pour le Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne chargée en amont d’évaluer l’opportunité du projet et en aval d’engranger les bénéfices).
Le rapport de la commission d’enquête parlementaire qui avait précédé le rapport de la L.D.H n’avait abouti qu’à des conclusions et préconisations confuses dont son président s’était publiquement désolidarisé en déclarant : « l’idée après la tragédie de Sivens était de formuler des propositions pour que l’ordre public s’adapte au droit de manifester et c’est l’inverse qui s’est produit » (Noël Mamère).
Par ailleurs, les rodomontades habituelles du Premier ministre Valls à l’Assemblée et les déclarations confuses du ministre de l’intérieur comme du préfet ont tenu lieu jusqu’à ce jour de réponses aux analyses sérieuses, aux contre propositions et actions juridiques des opposants au projet; la construction du barrage devait se faire à la demande d’agriculteurs locaux, sans aucune autre considération pour tous les autres intérêts concernés.
Les propositions de la commission d’enquête citoyenne animée par la L.D.H pour une concertation véritable avec les citoyens sur ce projet sont multiples: création d’une procédure spécifique accélérée devant les Tribunaux administratifs – moins restrictive que le référé quant à la recevabilité et permettant d’éviter la pratique du fait accompli, de la construction préalable à tout jugement, car – sauf cas rarissimes – aucun jugement défavorable n’oblige jamais l’État à détruire la construction déclarée illégale.
La réforme des procédures d’enquête publique, l’interdiction de l’usage des armes à potentialité létale, sauf cas de menaces graves pour les forces de l’ordre dans les manifestations, l’accès réel aux textes applicables pour l’engagement des forces de l’ordre en cas de violences, la création d’un organe de contrôle indépendant – demandé également par Amnesty international – et répondant « aux exigences des normes et des droits internationaux relatifs à l’obligation de mener des enquêtes impartiales et effectives dans les plus brefs délais »... font également partie des préconisations qui pourraient éviter la reproduction de ce scénario catastrophe.
Mais silence radio des autorités publiques et rien ne permet de penser que des mesures permettant de concilier concertation réelle avec les habitants des territoires concernés et réponses autres qu’un usage totalement disproportionnée de la force soient envisagées.
Autre cas d’actualité immédiate: Notre – Dame – des – Landes , symbole des symboles des » G.T.I.I. » où l’État annonce officiellement la reprise des travaux, notamment par le règlement des indemnités d’expropriation, la reprise des relations avec les entreprises, le lancement des marchés spécialisés.
Cette annonce s’inscrit en violation totale des engagements publics du gouvernement pris après les manifestations de 2014 d’attendre « la fin des recours ».
Or ces voies de recours juridiques sont loin d’êtres épuisées (la procédure d’appel du jugement du tribunal administratif de Nantes est ainsi en cours, notamment).
Le gouvernement prend donc là encore le risque d’affrontements sur le terrain avec de nouveaux « zadistes » et des agriculteurs proches de la Confédération paysanne, voire des élus écologistes.
Dans un autre registre que les » G.T.I.I. », celui du« terrorisme » et de l’affaire dite « de Tarnac », l’actualité est du même ordre, qui voit quelques militants d’une mouvance libertaire poursuivis avec acharnement depuis des années pour tentative supposée de sabotage de caténaires sur des ligne de TGV en 2008.
Malgré le vide maintes fois avéré du dossier une tentative de perquisition vient ainsi d’être empêchée par une dizaine d’habitants du village de résidence de Julien Coupat, figure de ce groupe, et ont mis fin à « cet épisode d’opérette » (liste de diffusion de « Plateau insoumis », proche de Coupat).
Rappelons que la qualification même de « terroriste » utilisée par le parquet est actuellement en appel et qu’au parquet de Tulle on a confirmé à l’A.F.P qu’une « commission rogatoire internationale d’un magistrat allemand » motivait cette « descente », suite à des faits de sabotage de réseau ferré commis dans les années 90 dans laquelle une jeune femme, relation de Coupat, apparaissait… mais cette dernière a bénéficié d’un non – lieu de la justice.
Rappelons aussi que Julien Coupat, après 6 mois de détention provisoire en 2009, a été renvoyé par un juge d’instruction en correctionnelle, ainsi que sa compagne et 6 autres militants, mais que la juge d’instruction antiterroriste chargée de l’affaire a abandonné la qualification de « terroriste », ce qui a provoqué un appel du parquet et l’examen en cours du dossier à la chambre de l’instruction.
Autre exemple récent de ces violences policières qui motivent des actions de résistance et des manifestations : quelques milliers de manifestants ont défilé le 31 octobre à Paris pour dénoncer par leur « Marche de la dignité » les violences policières, en particulier à l’encontre des jeunes de quartiers populaires.
Le mouvement a son origine dans la mort d’un jeune de 29 ans suite à une balle tirée dans le dos par un policier en 2012, comme dans les pratiques systématiques de contrôles policiers au faciès, voire de contrôles dans ces quartiers, dénoncés comme intentionnellement vexatoires.
Et faut-il rappeler l’affaire des « chemises déchirées » des deux cadres d’Air France, placés en garde à vue et déférés au tribunal correctionnel dans le contexte d’un conflit social majeur et de milliers de suppressions d’emplois ?
Ou les violences policières exercées et la répression quotidienne exercées à l’encontre des candidats migrants de Calais, dénoncées régulièrement par les nombreuses associations présentes sur le site de Sangatte ?
Ou les violences policières de ces derniers jours contre les avocats de certains barreaux manifestant pour que les plus démunis de notre société puissent encore bénéficier de l’aide d’un défenseur professionnel rémunéré, même à des tarifs indigents…
Que dit cette actualité d’un climat désormais profondément malsain où le non respect assumé de procédures légales, des violences policières « couvertes » – voire des provocations pures et simples -, le refus systématique du dialogue, l’opacité de l’information, voire l’intox et la provocation, tiennent désormais lieu pour des responsables politiques de premier plan de discours, de programme, d’horizon, voire « d’image » pour leur personnage médiatique ?
Pour la L.D.H., et en conclusion de son rapport, « c’est peut-être l’un des maux les plus profonds dont souffre la société française que révèle le drame de Sivens. Des travaux innombrables y sont consacrés, sans déboucher sur un changement profond des pratiques. Si un certain nombre de citoyens ne se sont pas sentis concernés par l’affaire de Sivens, un nombre considérable d’entre eux se sont un jour ou l’autre trouvés (ou se trouveront demain) confrontés à une situation identique : des décisions prises par des autorités drapées dans leur légitimité, au mépris des protestations qu’elles suscitent, quelle qu’en soit l’ampleur. Cette conception « élitiste » et verticale du processus démocratique, qui creuse chaque jour un peu plus la défiance entre les responsables politiques et les citoyens, ruine progressivement les fondements de la démocratie et de la République française ».
Mais il manque à ce constat de la Ligue, l’aspect le plus inquiétant: c’est bien d’une volonté politique organisée et consciente des responsables politiques concernés que découlent ces dénis de démocratie, ces restrictions à des libertés publiques fondamentales, le mépris de règles de droit, l’ignorance de demandes et le mépris affiché de revendications légitimes.
C’est qu’il ne s’agit plus de violences policières, de débordements épisodiques.
Il s’agit désormais d’une violence politique construite et assumée, au service de certains intérêts et pas de certains autres, qui se lit nettement dans sa progression et sa cohérence, de la loi sur la surveillance et les écoutes généralisées – notre Patriot act à nous – à ces dérives systématiques et fréquentes dont sont victimes des catégories sociales et pas d’autres., des opposants à certains projets et pas des opposants à d’autres.
L’ordre républicain ainsi entendu par certains de nos gouvernants – certains en font même le socle de leur image médiatique – n’est pas le nôtre. Il est d’ailleurs de moins en moins républicain.
Christian Rubechi.