Le 5 juillet 2016, après avoir fermé près d’une année, « l’auberge de la jeunesse » de Mulhouse était « inaugurée » par Jean-Pierre Walter, entre autres préposé municipal au tourisme et à la fête de l’oignon doré.
Pourtant, les larmoiements devaient certainement lui manquer lors de ces augustes réjouissances, tant l’épilogue qu’elles constituent demeurent pour le moins douteux et douloureux pour beaucoup.
Il se trouve que l’association « Ajiste gestionnaire du Haut-Rhin » (AAG 68), qui animait la vénérable structure d’accueil (plus de 60 ans au compteur), en a été purement et simplement évincée au mois de septembre 2015.
La communauté d’agglomération mulhousienne (M2A), qui possède les murs de l’établissement, allègue en effet des erreurs de gestion et un déficit de trésorerie chronique (de l’ordre de 20 000 euros par an) pour justifier la décision. Une somme dérisoire comparée à certaines dépenses de « prestige » engagées par l’agglomération (dont un rallye d’Alsace, revenu à plus de 100 000 euros). Christophe Hirtz, président en charge, témoigne a contrario de la volonté d’engagement de son équipe, notamment constituée de bénévoles (traditionnellement impliqués dans l’animation de ces structures), luttant au mieux pour libérer les comptes des créances générées par ses prédécesseurs, et redonner un nouveau souffle au projet.
Dehors les associatifs !
À la grande stupeur de l’équipe, qui aura multiplié propositions et signes de sa détermination à poursuivre l’aventure, c’est une fin de non recevoir que leur oppose M2A. Cette dernière décide d’autorité de reprendre la main, via l’office de tourisme de Mulhouse, qui se chargera désormais d’assurer la continuité de l’enseigne « auberge de jeunesse de Mulhouse ». Solution par défaut ? Toujours est-il qu’il a même été envisagé un temps d’en confier la gestion à une société commerciale ! Après quelque ripolinage des cloisons et un changement de literie, la voici qui rouvre sous le haut patronage de l’adjoint Walter, et ses manières de tapissier matois.
Pourtant, que l’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit là que d’une « marque ». Car si la municipalité usurpe à l’évidence l’appellation « auberge de jeunesse », elle se permet en outre d’en dévoyer l’esprit. Et ce n’est pas même le nœud papillon frétillant du gargotier en chef qui risque de faire illusion.
En premier lieu, ne cherchez plus de quoi vous informer sur la qualité des prestations auprès du site de la FUAJ (fédération unitaire des auberges de jeunesse), l’une des principales fédérations d’associations à laquelle adhérait l’association gestionnaire. Le lieu a été radié de leurs listings ! Il n’a plus vocation à y figurer, puisque non affilié au réseau national et international, et n’y contribuant plus en rien.
Vous trouverez en revanche son offre sur les sites internet des opérateurs de réservation d’hébergements traditionnels, du type « booking.com » ou « tripadvisor ». Pour l’exemple, on notera qu’en ce mois d’août 2016, la pension en « chambre double » ne vous reviendra qu’à 45 euros la nuitée, soit le prix d’un hôtel 2 étoiles ! Il est vrai que le tarif d’une nuitée en dortoir est fixé à 23 euros, ce qui reste cher, eu égard au prix moyen des auberges de jeunesse françaises et internationales.
Bien plus qu’un hôtel !
Mais en quoi une auberge de jeunesse diffère-t-elle d’un simple lieu d’hébergement, et quel est l’esprit qui présida à leur création ?
Créées à l’orée du 20ème siècle par Richard Schirrmann, instituteur allemand proche du scoutisme, elles furent en France instituées à grande échelle par le gouvernement du Front populaire, notamment sous l’égide de son ministre de la jeunesse et des loisirs, Léo Lagrange, comme l’un des vecteurs de l’éducation populaire.
Les principes, universels, en sont la modicité tarifaire, la neutralité politique, l’accueil inconditionnel, l’amitié, la paix, le goût du voyage et le respect de la nature.
Une véritable « auberge de la jeunesse », ce n’est donc pas qu’un lieu de couchage, une offre répondant à une demande d’hébergement sur le marché concurrentiel de l’hôtellerie. C’est d’abord et surtout un état d’esprit sur le monde, et un moyen de l’y rencontrer simplement, sur tous les continents et l’immense majorité des pays à travers la planète. Mais c’est aussi, du point de vue des valeurs humaines et sociales, un mode d’organisation et de structuration horizontales, qui témoigne insolemment de sa résistance à la marchandisation de tous les rapports sociaux.
Serait-ce là quelques uns des motifs qui expliquent l’expulsion de l’association gestionnaire par la municipalité ?
Très loin de l’esprit des fondateurs, il s’agirait surtout que l’agglomération mulhousienne cessât de faire passer ses vessies politiques pour des lanternes associatives, en usant abusivement d’une appellation qui n’a plus lieu d’être, et en dupant éhontément la clientèle des ces établissements.
Il est vrai que le modèle traditionnel des auberges de jeunesse semble avoir du plomb dans l’aile. En témoigne les difficultés actuelles de la FUAJ, laquelle semble verser dans une logique économique et un management autoritaire, que combattent plusieurs associations qui la compose, dont l’AAG 68.
Gundulf de Fronde