Des élus locaux pleurnichent, en demandant plus de sous à Hollande. Aussi froussards que ce dernier face à « son adversaire, la finance », ils n’osent pas aller chercher le pognon là où il est, en s’attaquant, entre autres, aux coffres débordants des délinquants fiscaux. Il y en a en Alsace, nos élus font semblant de l’ignorer.
Respectueux des intérêts dominants
La revue électronique « Rue89-Strasbourg » a publié il y a quelques semaines la liste des 8 Bas-Rhinois et des 5 Haut-Rhinois impliqués dans le scandale « Panama Papers ». Aucun politicien alsacien n’a éprouvé le besoin de réagir après ces révélations. Alors qu’on leur désigne une planque où ils pourraient découvrir quelques magots soustraits au regard du fisc, nos élus regardent ailleurs. S’ils soupçonnent presque systématiquement l’allocataire du RSA d’être un fraudeur, ou considèrent souvent celui qui est inscrit à Pôle emploi comme un fainéant, le délinquant fiscal les laisse sans voix.
On assiste toujours à la même scène : en dehors de certaines circonstances ou/et de personnalités exceptionnelles, les responsables politiques de tous niveaux et de tous bords se tiennent à carreau dès qu’ils mettent un pied sur le terrain de la fiscalité et de la finance. Ils se sentent tenus en respect, pour ne pas dire tenus au respect, sous la menace d’un rapport de force, ou d’un chantage à l’emploi ; tétanisés, ils restent figés dans une idéologie et un comportement respectueux, mêlés de silences et d’évitements. Cette soumission aux intérêts dominants ne contredit pas seulement l’image que cette « élite » élue veut donner d’elle-même. Elle en fait une caste plus ou moins consciemment protectrice d’un « ordre » social aberrant et inégalitaire, dont les effets dévastateurs vont crescendo, pas seulement en matière d’emploi.
Quelques rares exemples d’élus et militants à l’offensive
Ce ne sont pourtant pas les moyens qui manquent pour refuser la résignation et prendre l’offensive. De rares élus et quelques militants ont tenté le coup, avec plus ou moins de conviction et de bonheur. A l’étranger plus qu’en France, au demeurant :
L’exemple récent du ministre des finances du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie vient confirmer qu’avec un peu de constance dans l’action on peut obtenir quelques résultats : Norbert Walter-Borjans pourchasse les fraudeurs du fisc, dans son Land, et au-delà. Bravant obstacles et hostilités, il a réussi à faire entrer 2 milliards supplémentaires dans les caisses de sa région. Et le triple pour les finances de l’Etat fédéral. Il n’est pas à la CDU, mais Merkel peut le remercier, car les sommes sont rondelettes : à lui tout seul, il fait mieux que l’administration et les ministres de Bercy réunis !
Mieux encore : il vient d’entrer en possession de données informatiques prometteuses, en provenance d’un paradis fiscal bien connu de J.C. Juncker : le Luxembourg. En application d’une directive européenne qu’il doit être un des seuls à appliquer avec entrain, Norbert Walter-Borjans a redistribué les 160 000 données qu’il a récoltées, après avoir fait le tri. Il les a envoyées dans 19 pays de l’UE. Dont 49 000 au fisc belge, 54 000 à son ministre fédéral W. Schäuble et 42 540 au ministère français des finances. Pas sûr que ce dernier apprécie beaucoup ce cadeau qui permettrait, semble-t-il, d’harponner quelques beaux spécimens gavés à l’oseille de fraude. Mais qui sont si gros qu’ils ont certainement les moyens d’intimider les locataires de Bercy, des chasseurs pas plus téméraires et fougueux que leur guide élyséen, le fameux « adversaire de la finance ».
Il y a d’autres façons de faire : en 2009, des élus de communes et régions de plusieurs pays ont lancé un appel par le biais d’un réseau international de collectivités locales pour inciter leurs homologues européens à agir contre les paradis et les fraudeurs fiscaux. Avec les 1 000 milliards d’euros dérobés tous les ans dans l’UE par des délinquants impunis qui sévissent à la tête d’entreprises, de banques et de fonds communs de placement, les initiateurs de cet appel faisaient remarquer qu’il y aurait largement de quoi répondre aux besoins sociaux et écologiques urgents. Hélas, jusqu’ici, ils n’ont guère été entendus : les élus locaux ont, au contraire, classiquement et massivement accepté la « crise » comme une fatalité et les cures d’austérité comme une nécessité, refusant d’examiner les conséquences désastreuses de leur choix.
Mais ces difficultés et ces déceptions n’ont pas découragé des militants de diverses associations (ATTAC, CCFD, CADTM, Solidaires Finances, Oxfam, etc) qui continuent de faire un travail remarquable de collecte d’informations, d’élaboration d’analyses et de lanceur d’alertes, notamment dans le cadre du collectif « Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires », dont le site internet mérite des visites régulières de tous les citoyens qui voudraient agir contre les exactions de la finance.
Le long combat d’Eva Joly contre la fraude fiscale continue : elle a commis un article (« Pour en finir avec l’impunité fiscale ») paru dans le « Monde Diplomatique » de juin 2016. L’ancienne juge d’instruction au pôle financier du TGI de Paris, forte de son expérience professionnelle, y dénonce, entre autres, la faiblesse des effectifs et le « verrou de Bercy » mis en place pour exonérer certains des plus gros délinquants fiscaux. Elle décrit par ailleurs une action à laquelle elle a contribué, en Islande, où on a fait appel à ses compétences. Dans ce petit pays fortement mobilisé, les « banksters », les délinquants financiers, leurs complices administratifs et politiques ont sévèrement douillé, financièrement et pénalement, avec des peines de plusieurs années de prison ferme. Comme quoi, même sur un petit territoire, bien des choses sont possibles quand la volonté politique est là. En Islande, l’affaire est d’ailleurs loin d’être terminée. Elle a même rebondi suite aux révélations des « Panama Papers ».
C’est également suite à ces révélations qu’une commission vient d’être mise en place (dite commission d’enquête « PANA ») au sein du Parlement européen. Ses travaux ont commencé. Jusqu’où osera-t-elle aller ? Eva Joly, députée européenne EELV, en fait partie, et a été désignée 4ème vice-présidente. C’est plutôt rassurant. Sauf pour J.C. Juncker qui est déjà la cible d’Eva Joly dans un ouvrage, « Le loup dans la bergerie », qui vient de paraître. Voilà un brave homme qui est en ce moment aussi injustement harcelé et vilipendé que J.M. Barroso, son prédécesseur à la tête de la Commission européenne…
Que font les élus alsaciens ?
D’Arlette Grosskost…
Ah ! si les élus alsaciens pouvaient soudainement se laisser gagner par le dynamisme et la motivation d’Eva Joly, ils l’aurait déjà contactée pour la rencontrer lors de la prochaine session du Parlement à Strasbourg. S’appuyant sur la commission « PANA » et sur son expérience, elle pourrait leur donner de bons conseils, voire leur apporter une aide logistique dans l’enquête à mener sur les Alsaciens du listing « Panama Papers », et sur ceux qui figurent certainement dans les données transmises à Bercy par Norbert Walter-Borjans. Pour ceux là, il pourrait être judicieux de contacter aussi le député européen allemand Fabio de Masi qui vient d’être nommé 3ème vice-président de la commission « PANA ».
Certes, Fabio de Masi est membre de « Die Linke », et nos élus, vu leur sensibilité politique dominante, pourraient s’en trouver perturbés. On leur suggérerait bien de faire appel à quelqu’un du cru : Arlette Grosskost, notre députée mulhousienne (LR) à l’Assemblée Nationale. A priori, son profil est adapté à la tâche : proximité géographique, proximité politique, membre de la commission des finances de l’Assemblée Nationale (donc une certaine proximité administrative avec Bercy), et, avant d’être élue députée, « avocate spécialisée en droit des affaires » de profession. Parmi ces « affaires », il y en avait sûrement de fiscales.
Un petit tour sur son site confirme, en effet, que la fiscalité est restée une de ses préoccupations majeures dans l’exercice de son mandat de députée. Mais c’est pour y dénoncer « les revirements incessants en matière fiscale à l’encontre des entrepreneurs ». Pour elle, il est « suicidaire » et « confiscatoire » de « contraindre les entreprises à payer toujours plus d’impôts ». On devine à travers ces écrits qu’elle exerçait sa profession probablement dans le même état esprit que Barroso dans ses fonctions d’aujourd’hui. Sur son site, elle préfère visiblement fustiger les « assistés » plutôt que s’en prendre aux fraudeurs fiscaux.
Ce n’est donc pas sur elle qu’on peut compter pour dénoncer la scandaleuse mansuétude de Bercy face aux évadés fiscaux repentis qui ont « d’eux-mêmes » contactés le STDR (abréviation de : « Service de Traitement des Déclarations Rectificatives » ; ceux qui sont moins polis avec les délinquants appellent ça : « cellule de dégrisement ») par crainte de voir leurs noms apparaître dans une prochaine liste qui aurait fuité. Ces fraudeurs repentis ne paient que de faibles pénalités, ce qui fait perdre des milliards d’euros à l’Etat. Et ce n’est sûrement pas Arlette Grosskost qui exigera du gouvernement la création d’un nombre important d’agents du fisc qui permettrait pourtant des investigations plus rapides, plus approfondies, assorties d’amendes fortes pour récupérer au moins partiellement ce qu’ont dérobé les brigands financiers. Elle n’exigera pas davantage la création à Mulhouse ou à St Louis d’un pôle fiscal (comme il en existe dans d’autres villes : Vanves, St Germain-en-Laye, Strasbourg, Bordeaux, etc) qui relaierait l’action de Bercy, alors que l’on sait que plus de 90% des sommes cachées au fisc sont planquées en Suisse.
…A Jean Rottner, et d’autres…
La motivation du maire de Mulhouse pour ces créations de postes d’agents du fisc n’est certainement pas plus ardente que celle de son « amie » députée. Peut-être craint-il d’indisposer HSBC – qui possède une agence sur le banc de sa ville – en facilitant des investigations qui viendraient préciser les révélations du lanceur d’alerte franco-italien H. Falciani, ex salarié de cette banque qui a livré des informations sur des dizaines de milliers de comptes bancaires en Suisse ?…
Et s’il croit plus à une action décentralisée, rien n’empêche Jean Rottner, maintenant qu’il est devenu un influent conseiller régional, de contribuer à mettre sur pied, aux côtés de Philippe Richert, un dispositif comparable à celui imaginé par Norbert Walter-Borjans.
On en est loin. Il y a quelques mois, le maire de Mulhouse s’est enthousiasmé de l’arrivée de Starbuck dans sa ville, sans être gêné par les frasques fiscales de la multinationale du café. Son collègue strasbourgeois, R. Ries, a fait encore pire dans la flagornerie à l’égard de Starbuck (voir article paru dans « Rue 89 »). Et encore plus hypocrite : pendant la campagne des élections municipales, le maire de Strasbourg avait cosigné, avec d’autres élus d’Alsace, l’appel international incitant à agir contre les entreprises qui fraudent le fisc. Un appel que la région Alsace a aussi signé, d’ailleurs. Tout ce beau monde s’est engagé, parfois fortement. Que reste-t-il de ces engagements ?…
Ils sont évidemment tous au courant des pratiques du Crédit Mutuel-CIC soulignées par la « Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires » qui a montré, chiffres à l’appui, que la « banque à qui parler » a ouvert une proportion record de filiales étrangères dans les paradis fiscaux (voir l’article : « Sa Sainteté le Crédit Mutuel est déjà au paradis » (février 2015)). Et pourquoi faire ? Et pour quels bénéfices aux dépens du contribuable ?
Comme cette banque est présente dans des marchés publics régionaux et qu’elle a consenti des prêts à de nombreuses collectivités locales, les moyens de la convaincre d’être plus vertueuse ne sont pas difficiles à trouver : il suffirait d’organiser un moratoire sur le remboursement des intérêts, voire des annuités sur le capital des emprunts effectués auprès du Crédit Mutuel. A envisager aussi à l’encontre d’autres banques pour commencer à réparer les préjudices qu’elles ont causés aux collectivités et à engager une nouvelle dynamique économique.
Oui… mais ce serait courir le risque de faire comprendre à tout le monde que les dettes publiques et les désastres qu’elles engendrent sont essentiellement le résultat de choix politiques où on a laissé libre cours à la fraude et aux cadeaux fiscaux. Une telle prise de conscience n’arrangerait guère les élus locaux mulhousiens, pour ne citer qu’eux : ils se sont engagés, l’année dernière, à verser des dizaines de millions à des banquiers voyous (aux banques dites de « contrepartie ») pour les « récompenser » de leur avoir fourgué des emprunts toxiques. Aujourd’hui, ces élus, comme O. Becht, maire de Rixheim et vice-président de M2A, présentent cette énorme rançon concédée à des escrocs comme une performance réalisée au bénéfice du contribuable !.. On cite O. Becht, parce que, lui aussi, a signé l’appel international contre la fraude…
Bref, sauf exception, tant que nos élus ne se sentiront pas sous étroite surveillance citoyenne, ils ne bougeront guère. Par les temps qui courent ils peuvent somnoler – en grognant de temps en temps pour exiger plus de sous de l’Etat – sans crainte d’être bousculés et rappelés à leurs responsabilités : les chasseurs de Pokémon sont pour l’instant plus nombreux que les chasseurs de fraudeurs fiscaux.
Le 16 août 2016,
B. Schaeffer
Articles connexes parus dans L’Alterpresse68 :
« Nuit debout » et « hiérarchie » municipale à Mulhouse… (mai 2016)
A Mulhouse, des élus au service de « Starbucks », de « Barclays » et d’eux-mêmes (mai 2016)
« Panama Papers » au Parlement européen : Un scandale d’évasion fiscale de plus… (avril 2016)
Comprendre l’affaire Panama-Papers (Radio MNE au Parlement européen le 13 avril 2016)
Dettes publiques de Mulhouse et d’ailleurs : dossier pour informer et pour agir (juillet 2015)
Des élus hébétés face à une tentative de braquage sous la menace d’un toxique (juillet 2015)
Confidentialité dosée, démocratie bafouée et Mulhousiens floués (octobre 2015)
Sa Sainteté le Crédit Mutuel est déjà au paradis (février 2015)
Article salutaire a diffuser largement, notamment aupres des decideurs, pour qu« ils decident enfin quelque chose