Alep, Moussoul, Syrte… Les villes martyres d’une guerre déchirant toute une région font le compte dramatique de la souffrance des populations. L’Alterpresse publie un témoignage poignant et terrible sur la situation dans les quartiers Est d’Alep, bombardés par l’aviation de Bachar El Assad épaulée par la Russie.
De nombreux médias font état des effets terrifiants sur la population d’Alep et ils font ainsi leur travail d’informateur. Mais pourquoi ne le font-il pas autant et de la même manière, pour Mossoul ou d’autres villes assiégées et qui sont en train d’être reconquises avec l’appui entre autres de l’aviation française. Nos bombes seraient-elles plus « gentilles » que les bombes russes ? Sommes-nous, Français, en train de bombarder avec des sucres d’orge innoffensifs ? Evidemment non. A Mossoul comme à Alep, la population, enfants, femmes, hommes, vieillards, subissent une guerre qui , comme toute les guerres, est sale et meurtrière.
Il faut arrêter d’urgence ces guerres qui détruisent tout et ne règlent rien, nous le voyons depuis le début des conflits dans lesquels les puissances occidentales défendent chacune ses intérêts propres au détriment des populations. Et régler la situation par la voie diplomatique qui, tôt ou tard, sera le moyen de s’en sortir. Il vaudrait mieux tôt que tard.
Nous publions ce texte en soutien à tous les peuples opprimés qui doivent vivre à chaque instant sous la menace d’une bombe ou d’un obus fracassant jour après jour, des milliers de vie…
Michel Muller
Alep, la martyre…
Avril 201 1, un mois après le début de la révolution à Deraa au sud de Damas, je suis parti à Alep chercher les raisons pour lesquelles ce mouvement révolutionnaire n’était pas très dynamique là-bas, alors que des villes comme Homs, Banias, et certains endroits comme la banlieue de Damas, comme Deir Ezzor ou Idleb, étaient déjà en action. Quant à Alep c’était le silence total, inexpliqué !
En arrivant à Alep, j’ai rencontré un groupe d’amis que j’avais connus lorsque j’ai été emprisonné pour des raisons politiques et pendant mon service militaire.
Nous avons longuement discuté et ils m’ont expliqué que le régime syrien s’était fortement mobilisé pour faire pression sur cette ville, beaucoup plus que pour les autres. Car, Alep est une ville qui a souffert lors du soulèvement de la ville de Hama au début des années quatre vingt. Des dizaines de personnes ont été tuées, des centaines arrêtées, torturées et mortes en prison. Le régime a imposé à cette ville un silence total sur tous les aspects de la vie alépine par une présence intensive des forces de l’ordre ainsi que des milices armées (appelées « chabiha », pro-régime, comme les membres de la tribu « Berri » qui était très influente à Alep). Ils exerçaient une répression féroce jusqu’au point de tuer à l’intérieur même des mosquées car ces lieux étaient les seuls dans lesquels tout le monde pouvait se rassembler et le point de départ des manifestations contre le régime.
Le lendemain je suis parti dans la région au nord d’Alep, vers la ville de Ratian et ses environs. La situation était meilleure qu’à Alep ville, malgré la présence intensive des forces de sécurité et la crainte des habitants de la région de revivre ce qui s’était passé dans les années quatre vingt car cela n’était pas encore oublié.
Et pourtant, ils étaient tous, jeunes et âgés, grands et petits, prêts à s’insurger contre le régime par tous les moyens possibles. Toute la région était très remontée contre le régime, d’une part, parce que c’est une région qui a été mise à l’écart et martyrisée depuis le début de l’arrivée au pouvoir de la famille Assad au début des années soixante dix, d’autre part, pour une raison religieuse communautaire sunnite, ou en d’autres termes « la démocratie populaire », car la communauté sunnite composait 80% de la population syrienne et pourtant elle n’avait aucun pouvoir et était dominée par une minorité alaouite.
Alep a rejoint la révolution syrienne par le nord comme je l’avais pressenti. Les villes de Hritane, Retian, ElBab, Djebel Samaan ont commencé leur soulèvement par des manifestations pacifiques au printemps 2012. C’était la période juste avant que le conflit ne devienne armé.
Peu de temps après, des unités armées pour la défense des manifestants ont commencé à voir le jour car, depuis le premier jour, le régime a fait face aux manifestations en tirant à balles réelles.
C’est ainsi qu’au milieu de l’année 2012, la révolution syrienne a commencé une période très complexe. Des mouvements armés ont commencé, l’armée syrienne libre déjà en constitution depuis le début de l’année est devenue plus présente. Les mouvements islamistes sont également arrivés sur la scène syrienne, particulièrement en hiver 2012.
Le peuple syrien est resté maître des mouvements militaires sans aucun recours à des forces étrangères, alors que le régime depuis le premier jour n’a pas hésité à faire appel aux forces iraniennes, au Hezbollah libanais et à d’autres. Progressivement, des régions se sont libérées du contrôle du régime par l’effet des ces mouvements militaires révolutionnaires, Alep et Idleb étaient les deux premières régions à être dominées par la couleur verte caractéristique de l’opposition.
Ce qui a été exposé précédemment a pour but d’aider à mieux comprendre la situation actuelle d’Alep:
Des régions sous le contrôle des forces de l’opposition mélangées à des groupes de combattants islamistes de différentes tendances, tels que Al Nosra proche de AlQaida et d’autres forces islamistes radicales. Toutes essayaient d’imposer leur idéologie mais le peuple syrien a gardé son mot à dire et n’a pas hésité à les combattre lorsqu’elles ont essayé de le priver de sa liberté déjà conquise.
La couleur verte gagnait du terrain à Alep. L’opposition contrôlait presque la totalité des régions nord, combattait en même temps, l’état islamique et le régime syrien. Elle commençait à rentrer à Alep par le côté Est car cette partie de la ville était plus facile d’accès et en même temps il y avait la base populaire nécessaire pour qu’elle s’y installe.
Alep Est c’est la vieille ville limitrophe de la citadelle restée sous le contrôle du régime et transformée par lui en base militaire.
L’entrée des forces russes d’une façon officielle dans la guerre syrienne en 2016 a changé les prises de positions internationales envers la cause syrienne. L’arrivée des forces russes précédées par les forces iraniennes a tracé les prémices d’une étape particulièrement dure contre la révolution syrienne : c’est ce qui se passe actuellement à Alep.
J’essayerai de la présenter par les informations et les renseignements reçus de mes amis activistes civils à Alep mais également par mon travail de journaliste.
Depuis deux mois la bataille d’Alep a été commencée par les forces du régime sous commandement russe et soutien de l’Iran et du Hezbollah libanais.
Les opérations ont commencé par la fermeture des couloirs humanitaires et l’encerclement de la partie Est d’Alep comme l’explique la carte jointe. Des forces kurdes présentes aux abords de cette partie d’Alep, visant à élargir leurs territoires, participent également aux opérations.
Mon ami Aboud, présent à Alep, m’informe quotidiennement et régulièrement de l’évolution de la situation militaire sur place.
- l’aviation russe bombarde d’une façon très méthodique tous les quartiers dans lesquels l’opposition est présente. D’abord les positions sont repérées par des drones qui envoient les informations aux forces russes. Tout est repéré, le mouvement des civils, des ambulances, tout ce qui bouge est une cible des bombardements intensifs. Ensuite, vient le tour des l’artillerie lourde sur les même lieux. Suite à cela, les gens se rassemblent pour essayer de sauver les blessés et tirer les morts des décombres et c’est à ce moment que les hélicoptères arrivent pour tirer sur ces rassemblements et faire encore plus de morts. Par conséquent, il est devenu très difficile de sauver les blessés et de sortir les corps qui seront la proie des chiens et des chats errants.
- Selon le Secours-Civil « les Casques Blancs » le nombre des tués a atteint en quinze jours plus de 500 civiles, en majorité des femmes, des enfants et des personnes âgées et environ 1800 blessés et amputés. C’est le bilan provisoire des bombardements aériens intensifs russes et des opérations militaires qu’ils ils dirigent en concertation avec les forces du régime syrien pour prendre le contrôle total de la ville.
- Un quartier est bombardé, les secouristes tentent de venir en aide aux victimes, les ambulances arrivent pour dégager les morts et les blessés. En réalité, les intervenants ne peuvent rester trop longtemps sur place étant donné que les avions d’observation et les drones donnent rapidement les positionnements de tout ce qui bouge. Des fois, les bombardements durent longtemps, les blessés meurent parce qu’ils ne peuvent être secourus à temps. Nous avons observé une augmentation de l’intensité des bombardements depuis que les russes ont pris le commandement des opérations dans la bataille d’Alep. Auparavant, les bombardiers du régime finissaient leurs opérations et quittaient rapidement la zone, ce qui laissait le temps aux secouristes pour s’occuper des victimes. Avec l’arrivée des russes, leurs bombardements incessants et du fait qu’il prennent pour cible tout ce qui bouge, tout le monde est une victime potentielle; les opérations de secours sont devenues plus risquées que jamais.
- Après le dégagement des victimes, blessés et tués, d’autres victimes restent sous les décombres nécessitant des secours spécialisés. Les blessés sont dégagés vers des points de secours, les hôpitaux d’Alep ont tous été anéantis. Les points de secours sont dans des appartements souvent avec un seul médecin et un infirmier qui a appris son métier par nécessité sur le fait. Le plus éprouvant est probablement le fait qu’une fois les victimes dégagés il reste des parties de chair humaine un peu partout sur la zone bombardée. Ce sont les chiens et les chats errants qui rôdent qui indiquent leur présence et les odeurs pestilentielles qui envahissent les lieux.
- Les quartiers d’Alep qui sont restés sous le contrôle des forces de « l’armée libre », c’est ainsi que persiste Aboud à les appeler, sont les quartiers Alchaar, la route de Albab, Almeysser, Alsokkari, Alferdoss, Salah-Elddine, la moitié du quartier de Seif-Aldawleh, Bestan Alkasser et Cheikh Saad. Les affrontements se déroulent tout autour de ce cercle.
- La ville est aujourd’hui coupée en deux, nord et sud, séparés par la route qui mène à l’aéroport international d’Alep; plusieurs quartiers sont tombés sous le contrôle des forces loyalistes et les forces kurdes qui les soutiennent. Il s’agit des quartiers Beidine Alhalak, Massaken Hanano, Alsaroukh, Bestan Albasha et Jabal Badro. Tout ces quartiers ont été investis pendants les deux dernières semaines. Le drapeau du régime flotte côte à côte avec le drapeau des milices kurdes. Les combattantes kurdes aident dans les fouilles et les descentes dans les habitations. Tout jeune homme ayant 18 ans, s’il n’est pas demandé par les services secrets, est arrêté sur le champs et enroulé de force dans l’armé. Le père qui ne peut justifier l’absence de l’un de ses fils est arrêté à sa place. Des cas d’exécutions sommaires ont été enregistrés. A « Beidine », par exemple, l’un des « chabiha » (milice pro-Assad) qui appartient à la famille « Almajdami » et qui avait un différend avec ses cousins n’a pas hésité à tuer quatre d’entre eux lorsque le quartier a été investi, et d’arrêter sept autres pour les envoyer à la brigade de sécurité politique (émanant du ministère de l’intérieur) à laquelle il appartient.
- Le nombre des déplacés atteint 25000 civils ayant fui la zone investie par les forces du régime soutenues par les milices kurdes pour rejoindre les quartiers sud contrôlés par l’opposition. Sur le chemin de leur fuite un certain nombre a été tué dans des massacres comme celui de Jeb-Alkobeh où plus de 40 morts et 50 blessés sont tombés suite à l’attaque délibérée de l’aviation russe. Il est utile de rappeler que le chemin empruntait par ces victimes est le seul couloir « humanitaire » qui leur a été permis et conseillé dans la zone.
- Les forces de l’opposition qui combattent et défendent la zone assiégée d’Alep sont estimées à neuf mille combattants dont moins de 900 appartiennent à « Alnosra et Fath-Elsham » affiliés à AlQuaida.
Je reçois quotidiennement une dizaine de récits de ce qui se passe à Alep et dans sa région. Je ne publie que la version vérifiée par croisement d’informations. Il ne faut pas oublier de signaler que de nombreux cas de viols commis lors des fouilles des habitations civiles ont été rapportés, ainsi que des meurtres pour des vengeances personnelles. Alep comme les autres villes et localités qui sont déjà tombées sous le contrôle des forces du régime sont en réalité entrées dans un processus d’anéantissement total qui n’épargne ni les gens ni les pierres.
Témoignage d’un journaliste syrien réfugié en France depuis deux ans.
C.R