En 2012 Manuel Valls déclarait devant la commission des lois du Sénat: « Notre loi ne saurait punir ceux qui, en toute bonne foi, veulent tendre une main secourable » et proposait de « mettre fin au délit de solidarité qui permet de poursuivre l’aide désintéressée apportés [par des citoyens ou des associations] à des étrangers en situation irrégulière, sur la même base juridique utilisée pour les filières criminelles d’immigration ».
C’est pourtant ce qui est reproché au militant associatif de la vallée de la Roya, près de Nice, accusé d’avoir aidé des migrants, comme à cet autre poursuivi pour « aide au séjour et à la circulation » de 3 jeunes Erythréennes blessées et malades et qu’il transportait à l’hôpital à Marseille.
Si ce dernier, Pierre-Alain MANNONI, vient d’être relaxé par le tribunal correctionnel de Nice malgré les 6 mois de prison avec sursis requis par le Ministère public (qui vient de faire appel de la relaxe), le premier, Cédric HERROU, attendra le 10 février pour connaître son sort: 8 mois de la même peine demandés par le procureur de la République.
Une centaine de militants associatifs de Mulhouse se souviennent de l’audience du Tribunal correctionnel de Mulhouse il y a quelques années où une personne était poursuivie devant le tribunal correctionnel pour avoir hébergé un membre de sa famille. Le procureur ayant à l’audience reconnu l’absence de base légale des poursuites en ce cas précis le tribunal avait prononcé la relaxe au motif juridique de l’immunité légale existante compte tenu des liens familiaux entre l’aidant et l’aidé.
Un délit créé par le sarkozyste Eric Besson
Bref, l’aide aux sans-papiers défraie la chronique judiciaire depuis Eric Besson, ex-ministre sarkozien amateur de poursuites pénales pour les auteurs de ce « délit de solidarité » , passibles de 5 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende, pour » toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étrangers en France ».
Le quinquennat de François Hollande n’a pas vu la suppression de ce délit de solidarité mais une réécriture par la loi du 31 décembre 2012 et sa dépénalisation dès lors que l’acte reproché « n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinés à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui – ci » (mais rien sur le transport, même gratuitement donc).
Ceci n’a pas empêché la poursuite des gardes à vue et des inculpations parfois sur des bases connexes – outrage à agents notamment – depuis 2014 en particulier, notamment dans le Calaisis et les Alpes-Maritimes, mais également pour des motifs qui prêteraient à rire si le sujet n’était pas si grave (photographe ayant fait son métier à la frontière italienne, observation/participation à une manifestation de soutien, violence avec arme (son vélo en l’occurrence!), aide à la recharge d’un téléphone portable , etc …
Et même si on n’atteint pas – pas encore? – le niveau des cas italiens de ces pêcheurs ou capitaines de navires inculpés et condamnés pour avoir repêché des migrants qui se noyaient, le « délit de solidarité » est donc utilisé pour intimider ceux qui tentent d’aider tous les « sans papiers » parvenus dans notre pays, décourager ceux qui auraient l’idée de les aider, éviter tout soutien de la population, organisé ou spontané.
La série des procès ne devrait donc pas diminuer à l’heure où une part importante de la société civile s’engage désormais dans ces actions, où les initiatives les plus diverses d’aide aux « sans papiers » se multiplient, où nombre d’élus locaux s’engagent officiellement ou de fait dans ces voies de la solidarité.
Les défaillances de l’Etat français
Car l’Etat français – même si d’autres Etats européens ont des politiques bien pires – est largement défaillant quant au respect de ses propres obligations légales et des conventions, directives et accords européens et internationaux applicables à l’accueil des étrangers non communautaires (hébergement, assistance médicale, aide alimentaire, assistance administrative…). En plus, il n’entend pas pour autant que la société civile pallie ses défaillances, surtout dans des zones où des moments politiquement « sensibles « .
Or ces hommes et ces femmes de tous âges, de tous bords, et sur tout le territoire, partagent une conviction puissante, basée sur une loi fondamentale de l’humanité, condition de sa survie: la solidarité.
« Mon geste n’est ni politique, ni militant, il est simplement humain et n’importe quel citoyen lambda aurait pu le faire et que ce soit pour l’honneur de notre patrie, pour notre dignité d’hommes libres, pour nos valeurs, nos croyances, par amour ou par compassion nous ne devons pas laisser des victimes mourir devant nos portes. L’histoire et l’actualité nous montrent suffisamment que la discrimination mène aux plus grandes horreurs et pour que l’histoire ne se répète plus, nous devons valoriser la solidarité et éduquer nos enfants par l’exemple. »
Extrait de la déclaration de Pierre-Alain MANNONI https://blogs.mediapart.fr/pierre-alain-mannoni/blog/111116/pourquoi-j-ai-secouru-des-refugies
Face à eux un Etat qui fondamentalement refuse cette solidarité pour des raisons électoralistes et entretient ambiguïtés et incohérences juridiques, oubliant au passage toute décence humanitaire pour maintenir un fantasmatique délit de solidarité qui existe sans exister tout en existant…mais est susceptible d’être pénalement sanctionné!
Christian RUBECHI
Noëlle CASANOVA, membre de la Ligue des Droits de l’Homme et du Collectif Urgence Welcome