Le Conseil constitutionnel vient de censurer intégralement et sans délai le délit de consultation de sites terroristes.
La disposition nouvelle du Code pénal annulée prévoyait que le « fait de consulter habituellement un service en ligne de communication au public terroriste » ou de « mettre à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie » devenait passible de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende.
Le Conseil a rappelé quelques principes fondamentaux : libre communication des pensées et des opinions (article 11 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen), droit d’accès à des services [services en ligne] dont l’importance pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions est avérée.
Il a souligné que les nécessités de protéger et garantir la sécurité et l’ordre public ne pouvaient pas exonérer le législateur de toute limite et que les faits de terrorisme tombaient déjà sous le coup de nombreuses mesures légales : blocage de sites, délit d’entreprise individuelle de terrorisme, pouvoirs spéciaux…
Le Conseil a argumenté sur le fait que celui qui consulte plusieurs fois un site terroriste
encourrait deux ans de prison sans avoir « la volonté de commettre des actes terroristes », ni que soit « démontrée la preuve que cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ces services » (le cas des journalistes, de la recherche scientifique ou de la recherche de preuve en justice était réservés par le texte censuré).
Le Code pénal ne définissant pas de caractère matériel du terrorisme, surfer ou s’informer devenait donc punissable.
Pour le Conseil l’atteinte disproportionnée, non nécessaire, non respectueuse de la liberté de communication, rendait donc nécessaire une déclaration d’inconstitutionnalité, sans délai.
Dans son intervention devant le Conseil l’avocat de la Ligue des Droits de l’Homme, partie intervenante, a rappelé que les principes démocratiques “n’étaient pas faits pour les seules périodes calmes”.
Il a rappelé également que les procédures appliquées en leur temps par l’Inquisition dominicaine ne permettaient pas – elles – de punir les hérétiques sans actes et manifestations ou expression explicite de leurs « déviances » et que le seul « for intérieur » ne permettait pas le châtiment de l’hérésie.
Fallait – il donc qu’un gouvernement – en France et maintenant – constitue en élit une présomption d’intention de passage à l’acte, un soupçon avéré de radicalisation potentielle?
Etait-il acceptable qu’une simple démarche intellectuelle de recherche d’information devienne punissable?
Le Conseil constitutionnel a répondu non et vient de marquer ainsi un coup d’arrêt important à cette énième dérive sécuritaire devenue béquille idéologique d’une faillite politique.
Certes le radicalisme islamique est un fléau social et politique, même si on peut s’interroger sur ses racines et sur les moyens mis en oeuvre pour le combattre efficacement.
Mais le recours à des lois scélérates – le mot n’est pas trop fort – est indigne de nos valeurs.
Ce qui ne semblait pas gêner un ancien premier ministre (Manuel Valls) déclarant que vouloir comprendre était déjà commencer d’excuser.
Une importante bataille vient donc d’être gagnée
L’impact de la décision du Conseil va très au-delà d’une simple décision juridique, même de principe et à valeur constitutionnelle.
Mais l’actualité nous fournit chaque jour son lot d’exemples d’autres cas de dérives juridiques et judiciaires constitutives d’atteintes à nos principes démocratiques fondateurs: état d’urgence à perpétuité, violences policières à répétition, frénésie sécuritaire pour toute réponse politique, répression de l’expression des détresses et colères sociales, discriminations de tous ordres …
L’Amérique sauce Trump, la corruption chronique façon roumaine, les conflits d’intérêt qui se banalisent pour des élus de la République, le mépris du peuple, la soumission aux puissances d’argent, ne peuvent être des réponses.
Pour reprendre une expression de Maître Sureau, représentant la Ligue des Droits de l’Homme devant le Conseil constitutionnel: “il en va de ce que nous sommes”.
Christian RUBECHI et Noëlle CASANOVA – Ligue des Droits de l’Homme
*partie de cet article est inspirée par celui de Marc Rees, journaliste, publié le 10 février 2017.
https://www.nextinpact.com/news/103251-le-conseil-constitutionnel-censure-delit-consultation-sites-terroristes.htm
*la vidéo de l’intervention devant le Conseil Constitutionnel de Maître Sureau est disponible sur youtube:
https://www.youtube.com/watch?v=i1u16BdE8tQ&feature=youtu.be