Et dire que l’on a failli manquer ce moment d’anthologie journalistique !
La scène renvoie à une garde à vue publique entre un prévenu et un officier de police judiciaire. Le contexte: les diverses révélations sur l’ex-ministre de la Transition écologique, De Rugy.
On y voit le prévenu esquisser une moue d’incompréhension devant l’énormité de la question qui lui est soumise. Le policier évoque le droit de savoir pour appui légitime à sa demande. « Qui vous a donné l’info ? » Le « répondez » ne suivra cependant pas.
Car l’officier de police, Pascal Jalabert, est en réalité journaliste (au sein du groupe de presse EBRA), et le suspect, Michael Hadjenberg, l’est aussi, mais à Médiapart !
La curée contre Hadjenberg, sommé de donner publiquement ses sources dans l’affaire De Rugy, fut d’ailleurs donnée par tout un aréopage de « journalistes » libidineux de servilité, présents sur le plateau de LCI, parmi lesquels Marie-Eve Malouines (journaliste politique, ex-LCP), Virginie Le Guay (Paris Match) et Louis de Raguenal (Valeurs actuelles). Ce dernier osera même attaquer la « culture de la délation » et de la « suspicion permanente où le moindre détail, la moindre photo peut être exploitée et détruire la vie de quelqu’un » (entretenue par les révélations du journal). Le représentant d’un torchon putassier d’extrême droite engagé dans une dénonciation de nature morale, ça vaut son pesant d’humour noir.
L’Alterpresse68 est précisément né de ce type de cas d’école. Le groupe de presse EBRA, pour lequel « officie » Jalabert, témoigne une fois encore de l’état de déréliction et de putréfaction professionnel du journalisme stipendié par des pouvoirs économiques, et par la même tenu par une disposition quasi-organique ou pavlovienne à servir les intérêts et le discours du pouvoir.
Aussi bien par adhésion idéologique, que par connivence, lâcheté, frustration, voire jalousie professionnelle…
Ainsi, quand les fondamentaux du journalisme sont passés par pertes et profits par de supposés journalistes, quelle sera la prochaine étape envisageable ?
Car si Jalabert a dû s’excuser pour son comportement, bien peu confraternel auprès de Michael Hadjenberg, de quoi s’accuse-t-il au juste ? Lui même ne doit pas le savoir. « Sur le fond, nos confrères ont fait leur travail je le répète » se récrie-t-il. Sans doute. Mais toi tu as fait le tien, « cher confrère » !
C’est dire combien la profession recouvre aujourd’hui de métiers et de pratiques bien divergentes.
Rappelons-le, en enfonçant davantage encore le clou: EBRA est la propriété du Crédit Mutuel. Nous moquons régulièrement la désespérante atrophie de la presse quotidienne alsacienne, et de son double journal unique-interchangeable DNA-L’Alsace, pour savoir que l’état de la profession n’a, en raison des liens organisationnels que certains journalistes ont avec les tenants du pouvoir économique, rien de bien rassurant pour nous tous.
Ni pour les lecteurs, qui n’ont aucun moyen d’accéder à une actualité sans qu’elle ne soit homogénéisée par les mêmes options socio-économiques gélatineusement droitières, et que soit bafouée l’expression légitime et nécessaire de points de vues et d’approches rédactionnelles renouvelées, complémentaires ou mêmes antinomiques.
Ni, a fortiori, pour la majorité des journalistes qui y travaillent, et qui souhaitent conserver un reliquat de dignité restant. Ce que certains défendent encore avec obstination, tel Thomas Porcheron, journaliste aux DNA, qui ont publiquement exprimé leur « honte » devant la scène.
Un peu contraint par le courroux de quelques journalistes soucieux de donner corps à leur carte de presse, le syndicat national des journalistes du groupe EBRA s’est fendu le 17 juillet d’un communiqué dans lequel il exprime un « malaise ».
Comment en serait-il autrement, dès lors que l’on sait combien les titres de presse du groupe EBRA (dont l’Alsace et les DNA font partie), et ce n’est certes pas l’exception, ne constituent plus que des marques commerciales derrière lesquelles il n’y a plus qu’un seul et même produit ?
Ces marques continuent pourtant de perdurer, alors même que leur clientèle décline et qu’elles savent leur fin proche. Soucieuses d’entretenir l’illusion fictive du libre « choix » par le lecteur, un peu comme si choisir entre des conserves identiques produite par un géant de l’agroalimentaire relevait un tant soit peu du libre arbitre…
Mais jusqu’à quand le citoyen, seul concerné, car il y va simplement de sa liberté et de sa conscience, y consentira-t-il ?
Facebook est-il l’avenir naturel de l’information ? Des bulles de faits à bords flous que chacun renvoie, parfois sans les lire, à ses proches, formant un flot autocentré et circonscrit des nouvelles du monde…
Entre le syndrome de l’autruche provoqué par les réseaux sociaux et les aboiements de la meute journalistique sous harnais idéologique et économique, il doit pouvoir exister un espace pour assurer le renouveau journalistique au niveau local, comme Médiapart, Arrêt sur images, Les jours, et tant d’autres, le matérialisent farouchement au niveau national.
Pour notre part, en bons mohicans de ce renouveau, nous avons ouvert une offre d’abonnement à la version papier. Juste histoire de montrer que l’avenir du journalisme local n’est pas encore une morne plaine arasée par les algorithmes, et arrosée par des banquiers…