molière
Mais que vient faire ce bon Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, dans cette galère ! Pourquoi prendre le nom de ce génie pour nommer une loi qui relève plutôt de la poudre aux yeux et de la démagogie bien pourrie.

Un obs­cur maire-adjoint d’Angoulême, M. Vincent You, LR de son pas­se­port poli­tique, a eu l’idée géniale : Faire voter une loi inti­tu­lée « clause de langue fran­çaise », pour impo­ser l’u­sage du fran­çais sur les chan­tiers publics. Il faut donc ins­crire cette clause doré­na­vant dans les appels d’offres de mar­chés publics

Dans le cas où un employé ne parle pas fran­çais, l’en­tre­prise se doit de faire appel à un inter­prète agréé auprès des tri­bu­naux. Ce que le Conseil dépar­te­men­tal du Haut-Rhin vient d’adopter à l’unanimité sans que les quelques conseillers qui pour­raient res­sem­bler vague­ment à une gauche hypo­thé­tique n’aient quoique ce soit à redire

Evi­dem­ment, on s’imagine la scène sur un chan­tier : un tra­vailleur serait flan­qué toute la jour­née, d’un ou d’une inter­prète bien cas­qué, bot­té, pour assu­rer la tra­duc­tion des direc­tives du chef. Le prix d’un inter­prète pro­fes­sion­nel est entre 500 et 650 euros par jour ! Et je ne m’imagine pas que les chefs d’entreprises du BTP en vien­draient à tri­cher en choi­sis­sant des inter­prètes au noir. Ou alors, il fau­dra ins­crire dans toutes les for­ma­tions du bâti­ment en Europe et au-delà, l’apprentissage du fran­çais pour les futurs maçons, cof­freurs, peintres, plombiers

Donc, infai­sable, inima­gi­nable : c’est donc bien de la poudre aux yeux pour cacher l’objectif réel. C’est en fait une mesure qui devrait contrer une direc­tive euro­péenne de 1996 qui auto­rise l’utilisation dans un pays de l’Union, de tra­vailleurs déta­chés. Mesure plu­tôt nor­male dans un espace qui consi­dère que les capi­taux et les mar­chan­dises peuvent cir­cu­ler comme bon leur semble, et les citoyens ne le pour­raient pas. Donc, rien à dire sur le prin­cipe qui est même indis­pen­sable comme nous le ver­rons ci-après

Les tra­vailleurs déta­chés touchent certes le même salaire que les autoch­tones quand ils sont décla­rés. Mais pour arri­ver à cela, il a fal­lu une lutte syn­di­cale de la Confé­dé­ra­tion euro­péenne des syn­di­cats car au départ, il était pré­vu que leur salaire soit celui de leur pays d’origine. Mais les charges, elles, relèvent jus­te­ment du pays d’origine. Le coût pour l’entreprise fran­çaise est donc bien infé­rieur quand elle uti­lise les tra­vailleurs déta­chés, on l’estime à 30%.

Et elles ne se sont pas pri­vées d’utiliser ce filon : près de 10% de la popu­la­tion active de notre pays, sont des sala­riés déta­chés (selon les chiffres offi­ciels 286.025 per­sonnes) avec une aug­men­ta­tion de 25% en 10 ans. Mais le chiffre réel est incon­nu puisque le nombre d’entrées illé­gales n’est pas connu.

Le bilan réa­li­sé par la Com­mis­sion natio­nale de lutte contre le tra­vail illé­gal admet d’ailleurs que les fraudes sont de plus en plus nom­breuses et gagnent en sophistication.

Au-delà des fautes clas­siques (non-décla­ra­tions, rému­né­ra­tions infé­rieures au SMIC, heures de tra­vail à ral­longe…) se déve­loppent des mon­tages juri­diques tou­jours plus com­plexes : sous-trai­tance en cas­cade, socié­tés écrans, recours à l’en­tre­prise de tra­vail tem­po­raire implan­tée à l’é­tran­ger, etc.

La Cour des comptes a chif­fré à 380 mil­lions le manque à gagner dû au déta­che­ment illégal.

Mais les patrons ripoux ne sont pas les seuls en cause. La France manque de com­pé­tence dans de nom­breux domaines. Ain­si EDF n’a pu construire son ter­mi­nal métha­nier de Dun­kerque, région pour­tant dévas­tée par le chô­mage, que grâce à l’apport de sala­riés déta­chés. Et pas qu’un peu : 59% des tech­ni­ciens et ouvriers qua­li­fiés étaient étrangers.

Et la Fédé­ra­tion du bâti­ment du Haut-Rhin recon­naît que sans tra­vailleurs déta­chés,  » on ne pour­rait cou­vrir un ouvrage de la dimen­sion du Par­le­ment européen ».

Les pre­mières vic­times de ces mesures dis­cri­mi­na­toires sont les sala­riés étran­gers eux-mêmes. Quit­tant leur pays pour des salaires bien supé­rieurs à ceux de leur pays d’origine, sou­vent logés dans des condi­tions pré­caires, loin de leurs proches, ils sont confron­tés à des condi­tions de vie extrê­me­ment difficiles

La clause Molière est donc bien un arti­fice qui a un relent xéno­phobe. Cela équi­vaut à inter­dire aux tra­vailleurs étran­gers de venir en France, fera plai­sir à ceux qui prônent le ren­voi des étran­gers mais est tota­le­ment inef­fi­cace et injuste. Pour les sala­riés fran­çais qui pour­raient croire que leur situa­tion pour­rait ain­si s’améliorer, rap­pe­lons qu’elle est inef­fi­cace car nous avons besoin de com­pé­tences, injuste car à quel titre inter­di­rait-on à une per­sonne de pou­voir tra­vailler là où il le souhaite

Plu­tôt qu’une mesure que Tar­tuffe n’aurait pas reniée, il fau­drait plu­tôt agir pour que les tra­vailleurs soient trai­tés d’une manière iden­tique dans un pays et de faire en sorte que le dum­ping social ne soit pas la carac­té­ris­tique prin­ci­pale de l’Europe sociale. Et frap­per fort les entre­prises frau­deuses qui passent trop sou­vent entre les mailles du filet

Michel Mul­ler