Depuis les années 90 déjà, le métier de photographe en général et celui de photographe de presse en particulier, part en vrille. Mais les prémices du déclin arrivent bien plus tôt, toutefois, personne ne veut voir les problèmes à venir et qui vont s’accentuer.
Dans les années 70, il y a plusieurs journaux plus ou moins autonomes. Indépendants ? … non pas vraiment.

La concen­tra­tion des titres, a tou­jours été un vrai pro­blème, auquel, lors de la Libé­ra­tion, le C.N.R. tente d’y mettre un frein. Cette « fron­tière » fonc­tionne d’ailleurs un cer­tain temps, mais la Finance étant ce qu’elle est, trouve tou­jours la faille qui per­met de contour­ner les lois éta­blies. On ne parle plus de morale, mais de léga­li­té. Comme aujourd’­hui d’ailleurs.

Le coup de la famille Her­sant fait tâche d’huile et dans les régions, la ten­dance au « regrou­pe­ment » est lan­cée. Quand le « Nazio­nal-Zei­tung » de Bâle (Suisse), rachète pour presque rien, son confrère le « Bas­ler-Nachrich­ten », les dif­fi­cul­tés des cor­res­pon­dants locaux pour la presse d’i­ci et d’outre-Rhin ont déjà com­men­cé. Le « Frei­bur­ger Tages­blatt » et ses déri­vés, sont entre les mains de ban­quiers et de fonds de pen­sion, ou en passe de l’être. Ce qui per­met encore de (sur)vivre à la presse papier, c’est la « pub » et les sub­ven­tions. Mais les sub­ven­tions ne sont pas tou­jours dis­tri­buées à ceux qui en ont vrai­ment besoin et qui font un effort véri­table de tra­vail jour­na­lis­tique et d’information.

Les cor­res­pon­dants rem­placent les journalistes

La publi­ci­té, qui per­met de finan­cer les inves­tis­se­ments, les salaires et pro­jets, par­ti­ra fin des années 80 vers les médias hert­ziens et la presse « papier » se retrouve entre les mains de quelques mil­liar­daires qui font la pluie et le beau temps. Dans qua­si tous les jour­naux, heb­dos inclus, une « ligne édi­to­riale stan­dard » est de rigueur. La notion de la fameuse « liber­té de la presse », tant van­tée devient « Cana­da Dry ». Le goût, la cou­leur … mais c’est tout. La P.Q.R. avec ses nom­breux titres, qui per­mettent une concur­rence saine et moti­vante aux jour­na­listes et pho­to­graphes locaux, se perd dans le fac-simi­lé de l’in­for­ma­tion asep­ti­sée, dif­fu­sée par les offi­cines pari­siennes à tous les jour­naux et l’in­fo de pre­mière page, sauf cas excep­tion­nel, est la même du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest.

Dans le Grand-Est, le jour­nal « L’Al­sace », comme les « Der­nières Nou­velles » uti­lisent depuis long­temps et sans rete­nue, des « cor­res­pon­dants », taillables et cor­véables à mer­ci et payent à la fin des « seven­ties », une paru­tion qui varie de 15 à 30 francs, plus frais (film et par­fois dépla­ce­ment). Comme argent de poche en se fai­sant plai­sir, le retrai­té de l’en­sei­gne­ment, de la police, de la gen­dar­me­rie, des mines .… ne se plaint guère et il est heu­reux de se pro­me­ner avec une « carte de presse » déli­vrée par ces journaux !

C’est super pour l’i­mage et l’é­go du qui­dam et cela per­met aus­si de ren­trer gra­tui­te­ment au sein de cer­tains évè­ne­ments. Tout va très bien. De plus, c’est pra­tique pour ne pas se col­ti­ner belle-maman ou les repas de famille le week-end. Ces ama­teurs, par­fois doués, ne se rendent pas encore compte qu’ils vont scier tran­quille­ment la branche sur laquelle tout le monde est assis de plus en plus incon­for­ta­ble­ment et que le « retour de flamme » avec le numé­rique, va don­ner le coup de grâce à tout un corps de métier, avec ses dégâts col­la­té­raux qui vont impac­ter d’autres pro­fes­sion­nels, dépen­dant de la pho­to­gra­phie (pho­to­gra­vure, gra­phiste, met­teur en page, cor­rec­teur, labo pho­to, fabri­cants de films, papiers, chimie …).

Les autres, les vrais pros, ne sentent pas encore le « vent du bou­let » non plus, puisque Gam­ma, Keys­tone, SIPA, Repor­ters Asso­ciés, Mag­num … la liste des agences est impres­sion­nante, comme les titres (France-Soir, La Vie Ouvrière, l’Ex­press, Paris-Match, Le Nou­vel Obs …) aux­quels nous autres pou­vons col­la­bo­rer dans un contexte à peu près nor­mal, basé sur le res­pect de la loi de 1957 et, lorsque ce sont les agences qui dif­fusent nos cli­chés sur un accord tacite 50/50, (droits par­ta­gés, moi­tié pour l’a­gence, moi­tié pour le pho­to­graphe) sans gagner des mil­lions, nous arri­vons à vivre à peu près normalement.

Pour un salaire de misère…

Mais le « cor­res­pon­dant », ama­teur doué (bis repe­ti­ta) taillable et cor­véable à mer­ci, n’a pas encore inté­gré que, depuis les années 70, ses « piges » n’ont en rien aug­men­tées ! De 30 francs en 70, nous sommes pas­sés à 5 et 3 euros (selon le sup­port) sans les frais ! Le maté­riel, les répa­ra­tions, la post-pro­duc­tion, n’est plus pris en compte et les pigistes ou sala­riés « en poste » se voient dépouiller de leurs droits légi­times d’au­teur. Le jour­nal, auquel ils ont la « chance » de col­la­bo­rer, s’ar­roge désor­mais le droit de dif­fu­ser, sans aucune contre-par­tie, leurs cli­chés sous la forme d’un « pool », qui per­met de retrou­ver les pho­tos  de l’o­pé­ra­teur, au sein du groupe de presse, diri­gé par le Cré­dit Mutuel, un groupe d’As­su­rances, un fonds de pen­sion … ou autre. C’est ain­si que nous avons en France 5 grands groupes de presse :

- Le groupe EBRA qui englobe qua­si tout l’Est, jus­qu’au « Pro­grès de Lyon » en pas­sant par le « Dau­phi­né Libé­ré », « Vosges-Matin » et bien enten­du les » D.N.A ». et « l’Alsace ».

- Ouest-France, une pieuvre qui regroupe une plé­thore de jour­naux de l’Ouest.

- La « Dépêche du Midi », dont le « patron » est un ancien membre du gou­ver­ne­ment Hol­lande » (J.M. Bay­let) et qui se charge de « cou­vrir » le Sud-Ouest.

-  « La Pro­vence », récu­pé­ré par le grand homme d’affaire(s) Ber­nard Tapie en 2014 qui s’oc­cupe de « cou­vrir » le Sud-Est avec d’autres titres comme « Var-Matin », « Corse-Matin » … tout en étant décla­ré insolvable !

Mais des jour­naux vrai­ment indé­pen­dants, à part « La Mar­seillaise », « L’Hu­ma­ni­té », « La Mon­tagne », « Média­part », « Marianne » … il en existe peu. C’est en grande par­tie le sou­tien des abon­nés qui per­met à ces titres de conti­nuer à paraître dans les kiosques.

Bref, nous sommes loin, voire très loin, de la loi de 1946 sur la concen­tra­tion des titres et la « fête » conti­nue avec « Ins­ta­gram », les agences comme « Fli­ckr », et d’autres spé­cia­listes de la pho­to d’in­fo « ubé­ri­sée », depuis la dis­pa­ri­tion très rapide des dino­saures, cités plus en avant. Alors que faire ?

La ques­tion mérite d’être posée, mais la réponse est dif­fi­cile. Tout le monde se plaint que les petits maga­sins de proxi­mi­té ferment, mais tout le monde va faire ses courses au super-mar­ché du coin. Dans le domaine presse, c’est un peu la même chose. Les « gra­tuits » ne vivent que par la publi­ci­té, les « Face-Book », » You­tube » et consors aus­si, avec les « clics » de sou­ris en plus. Cer­tains appellent cette façon de faire, le moder­nisme et pré­tendent que l’on ne peut y échap­per. Sans doute, mais au lieu de ne pen­ser qu’in­ter­net, clic de sou­ris, ins­ta­gram, et autres joyeu­se­tés, il serait peut-être utile de reve­nir à quelque chose de nor­mal : lire un livre, ailleurs que sur le net et lire un jour­nal, ailleurs que sur une tablette, même de der­nière génération.

Des lignes édi­to­riales plus variées…

Il fau­drait aus­si que la presse « papier », même si désor­mais au sein d’un groupe comme le Cré­dit Mutuel, il y ait plu­sieurs titres, se remette en ques­tion et pense lec­to­rat, plu­tôt que ren­ta­bi­li­té et cota­tion bour­sière. Nous aime­rions des lignes édi­to­riales un peu plus variées et que le lec­to­rat ne soit pas uni­que­ment condam­né à lire la même chose dans les titres qui sont gérés par un même groupe. En gros, pou­voir dis­po­ser d’autres opi­nions, d’autres points de vue que cette ligne direc­trice asep­ti­sée et « poli­ti­que­ment cor­recte » du Nord au Sud et de l’Ouest à l’Est ! C’est sans doute une des solu­tions pour que le « vul­gus pecum » s’in­té­resse à nou­veau à « son » jour­nal et qu’il y retrouve le bon­heur des infos, autres que les « repor­tages » sur la plus grosse citrouille, le plus beau canard, la plus grosse truite et les noces d’or, d’argent, de pla­tine des uns et des autres.

Dis­pen­ser des sub­ven­tions pour ce genre de papier, pour­quoi pas, mais en effet, pour « cou­vrir » ce genre d’é­vè­ne­ment, le jour­nal en ques­tion n’a pas besoin de « repor­ter-pho­to­graphe », ayant fait l’ID­HEC ou « Vau­gi­rard » ! Néan­moins, rien n’empêche non plus d’exi­ger une qua­li­té pho­to­gra­phique qui cor­res­ponde à un cer­tain cri­tère (cadrage, den­si­té, inté­rêt des ques­tions posées …). Tou­te­fois, si ces exi­gences légi­times doivent être de mise, il fau­dra aus­si recon­si­dé­rer la rému­né­ra­tion des « cor­res­pon­dants », qu’ils soient pro­fes­sion­nels ou ama­teurs, là n’est pas le sujet. (voir en pièce jointe le barème des pigistes, négo­cié … un scandale).

Repen­ser l’in­for­ma­tion régionale

Tout le monde trouve nor­mal qu’une annonce dans un jour­nal soit fac­tu­rée en fonc­tion du nombre de lignes, de l’emplacement, du carac­tère de la police uti­li­sée et tout le monde sait que cela a un coût. Lors­qu’un jour­nal est capable de deman­der un prix exor­bi­tant à un annon­ceur – les barèmes sont d’ailleurs fixés par HAVAS et consorts – il devient de fait anor­mal que le tra­vail d’un cor­res­pon­dant soit rému­né­ré aus­si lamen­ta­ble­ment (voir PDF joint).

Repen­ser l’in­fo régio­nale est un défi de tous les jours, il faut avoir le cou­rage de l’en­vi­sa­ger, sinon il y aura d’autres dégâts au sein de cette pro­fes­sion. Il faut aus­si arrê­ter de consi­dé­rer qu’à par­tir du moment où l’on peut faire une pho­to avec un télé­phone por­table, le métier de pho­to­graphe est à la por­tée de n’im­porte qui. C’est tota­le­ment aber­rant !  Deman­der à un rédac­teur de faire en même temps les pho­tos, c’est contre-pro­duc­tif et ce n’est pas son métier.

Il y a dans notre beau pays un groupe de per­sonnes qui se battent au quo­ti­dien, dont j’ai l’hon­neur de faire par­tie et qui consi­dèrent que le métier de pho­to­graphe, auteur, repor­ter, artiste ou autre, n’est pas seule­ment un acces­soire de mode que l’on peut négli­gem­ment consi­dé­rer comme un presse-bou­ton. Ce groupe s’est consti­tué en asso­cia­tion et cette asso­cia­tion qui se nomme : UNION DES PHOTOGRAPHES PROFESSIONNELS, veut être au ser­vice de la pro­fes­sion, au sens large du mot.

Aus­si, nous invi­tons tous nos confrères, jeunes ou « anciens », à prendre conscience de ce que notre métier repré­sente, avec ses bons et ses mau­vais côtés. Ses joies, ses peines et ses espoirs et les invi­tons à rejoindre le com­bat pour la pré­ser­va­tion, la défense et la pro­mo­tion de ce métier, bien mal en point, par les temps qui courent.

Pierre Doli­vet