Par ces lignes, je veux défier cette docte assemblée qu’est l’Académie Française, farouche gardienne de la langue française. Car elle vient, à l’unanimité s’il vous plaît, de rejeter l’usage de l’écriture inclusive.

Petite expli­ca­tion pour celles et ceux qui ignore ce que c’est : il s’agit d’une « gra­phie », une repré­sen­ta­tion écrite d’un mot, qui accorde les fonc­tions, métiers, grades et titres en fonc­tion du genre : on par­le­ra ain­si de chro­ni­queuse, cher­cheuse… Ensuite, l’utilisation à la fois du fémi­nin ET du mas­cu­lin quand on parle d’un groupe de per­sonnes, soit par l’utilisation de ce qu’on appelle la double-flexion – « les audi­trices et audi­teurs ». On peut aus­si rajou­ter un « e » entre paren­thèses à la fin d’un mot mas­cu­lin pour le fémi­ni­ser : ain­si écrire « candidat(e) ».

Les Aca­dé­mi­ciens et Aca­dé­mi­ciennes estiment qu’il s’agit là d’un «péril » mor­tel et ils lancent un « appel solen­nel » pour que cesse cette « aber­ra­tion » sic…Cette volon­té de fémi­ni­ser les mots n’est pas nou­velle, les cercles fémi­nistes ont tou­jours com­bat­tu cette règle gram­ma­ti­cale qui veut que le mas­cu­lin l’emporte sys­té­ma­ti­que­ment sur le fémi­nin. Ils y voient une dis­cri­mi­na­tion à l’égard des femmes d’autant plus que cette règle gram­ma­ti­cale date de 1647, l’Académie a alors tout juste 13 ans, quand un de ses membres, Claude Favre de Vau­ge­las, pré­co­nise que le mas­cu­lin doit l’emporter sur le fémi­nin car « le mas­cu­lin est plus noble que le féminin ».

Rap­pe­lons éga­le­ment qu’à cette époque, les femmes sont inter­dites d’université et elles le seront jusqu’en 1880. Le carac­tère sexiste de cette mesure est tota­le­ment avé­ré. D’ailleurs avant cette sen­tence de Vau­ge­las, la fémi­ni­sa­tion des mots était la règle dans notre langue : jusqu’au 17e siècle, une femme écri­vaine était appe­lée une « autrice » au moment où les femmes inves­tis­saient la sphère intel­lec­tuelle et pre­naient donc de plus en plus d’importance dans la socié­té. Pour la petite his­toire, sa forme moder­ni­sée, « auteure », date des années 90 et vient de nos amis québécois.

Est-ce que cette écri­ture inclu­sive met la langue fran­çaise en dan­ger comme le pré­tend l’Académie Fran­çaise, rejointe sur ce point par le Ministre de l’Education Jean-Marie Blan­quer ou le phi­lo­sophe Raphael Entho­ven, tous les deux ne sont pas, il est vrai, à clas­ser dans la caté­go­rie « progressiste »…

On peut pen­ser que le risque que court la langue fran­çaise est bien ailleurs que dans l’écrite inclu­sive. L’écriture pho­né­tique uti­li­sée par le rap­peur Jul dans ses tweets est sûre­ment tout aus­si mor­ti­fère pour la langue. Et que pen­sez de l’utilisation de plus en plus fré­quente de l’anglais dans des expres­sions fran­çaises. Et bien­tôt de mots arabes…

Car il en va ain­si : n’en déplaise aux (trop) sages Aca­dé­mi­ciens, une langue évo­lue. Sinon, elle est morte comme l’est le latin ou le grec. Il n’est pas scan­da­leux que le dic­tion­naire rédi­gé sous le contrôle de l’Académie fran­çaise intègre chaque année des mots d’une autre langue dans l’usage du fran­çais. Tiens, au hasard, piqué aux Alle­mands : bret­zel, dik­tat, ersatz, kitsch, knö­del, land, mark, nickel ; aux Anglais, job, jog­ging, ket­chup, knock-out, laser, lift, lob/lober, match ; aux Arabes : méchoui, mech­ta, meder­sa, médi­na, mer­guez, moka et même aux Cin­ga­lais le terme de nélombo.

Alors, pour­quoi la fémi­ni­sa­tion des mots seraient-elles « une aber­ra­tion ». L’écriture inclu­sive ne condui­rait-elle pas effi­ca­ce­ment à aider à gom­mer ces dis­cri­mi­na­tions qui veulent qu’une fille joue à la pou­pée et un gar­çon se pro­jette en mécano ?

Ce mes­sage même pas sub­li­mi­nal don­né aux petites filles dans les écoles « le mas­cu­lin l’emporte sur le fémi­nin » n’est-ce pas déjà légi­ti­mer le fait qu’un jour la jeune femme au tra­vail gagne­ra 20% de moins que son col­lègue homme, qu’on lui confie­ra moins de res­pon­sa­bi­li­té, sans qu’elle n’y trouve à redire, tout cela illus­tré par une règle gram­ma­ti­cale reflé­tant la volon­té domi­na­trice des hommes sur les femmes.

Mais la roue de l’Histoire tourne, tourne, inlas­sa­ble­ment. Les femmes, on le voit encore récem­ment, veulent conqué­rir une éga­li­té réelle dans tous les domaines de la vie. Il serait éton­nant que la gram­maire n’y passe pas un jour ou l’autre.Et en atten­dant, vous pour­rez tou­jours retrou­ver sur L’Alterpresse68, des chro­ni­queuses et des chro­ni­queurs qui ne man­que­ront pas d’osez l’écriture inclu­sive. Mais nous ne deman­dons aucune exclusivité…

Michel Mul­ler