C’est par ces mots forts que la secrétaire du comité d’entreprise de L’Alsace, Sandrine Debenath, également déléguée syndicale de la FILPAC-CGT, a conclu la réunion lors de laquelle M. Carli, l’émissaire du Crédit Mutuel, a annoncé la décision du banquier mutualiste ( ?) de jeter 70 familles dans les affres du chômage en fermant l’imprimerie du journal à Mulhouse. Cela montre la détermination du moins des salariés du Centre d’impression de se battre jusqu’au bout pour arriver à empêcher cette hérésie économique et sociale.

Que peuvent encore attendre les sala­riés de L’Alsace de leur action­naire unique : celui qui sau­va le jour­nal de la dis­pa­ri­tion en 1972, (certes avec une autre direc­tion et une autre vision d’une banque des valeurs mutua­listes) peut deve­nir le fos­soyeur du plu­ra­lisme de la presse en Alsace. Et cela au détri­ment des inté­rêts du Centre- et du Sud-Alsace, Col­mar et Mul­house com­pris. Car la plu­ra­li­té de la presse alsa­cienne répond à des dif­fé­rences, à des situa­tions propres aux ter­ri­toires alsa­ciens : les impé­ra­tifs éco­no­miques, sociaux, poli­tiques, cultu­rels, ne sont pas les mêmes ici qu’à Stras­bourg deve­nue une ten­ta­cu­laire « Eurométropole ».

Men­songes et cynisme

Le Cré­dit Mutuel a trou­vé son fac­to­tum : M. Phi­lippe Car­li, ancien PDG de Sie­mens France qui a fait ses pre­mières armes dans la presse en restruc­tu­rant à la hache le jour­nal Le Pari­sien et L’Equipe. Entre autres, en ven­dant les impri­me­ries à un impri­meur délin­quant fis­cal. Il s’est retrou­vé dis­po­nible quand la direc­tion du groupe Amau­ry (patron de L’Equipe) a com­pris que l’individu était juste bon à sabrer dans les effec­tifs… et que, pour recons­truire, il fal­lait des gens d’une autre dimension.

M. Car­li est donc un de ses mer­ce­naires payés pour tailler dans les effec­tifs… et après ce funeste tra­vail, il s’en va, ailleurs, au ser­vice de nou­veaux patrons. Dans de nom­breuses entre­prises, les sala­riés ont connus ce type d’individus : pour eux, la fin jus­ti­fie tous les moyens. Y com­pris le men­songe et le cynisme.

Ain­si, dans son plan pré­sen­té aux élus du per­son­nel de L’Alsace mer­cre­di der­nier, il y a beau­coup de pro­messes : mais sans aucun chif­frage, sans aucun bud­get annon­cé. Même la date de la mise en œuvre de ces pré­ten­dues « mesures de relance » sont floues, pro­je­tées dans plu­sieurs mois, voire plu­sieurs années.

La seule mesure concrète et chif­frée : la fer­me­ture du Centre d’impression de Mul­house. Et nous appre­nons par une lettre d’information consa­crée à la presse, La Lettre A, que M. Car­li a embau­ché… M. Ric­co­bo­no, celui qui a pra­ti­qué l’optimisation fis­cale au Luxem­bourg… et qui imprime doré­na­vant L’Equipe… M. Car­li est appa­rem­ment fidèle en « ami­tiés »… A moins que d’autres fac­teurs rentrent en ligne de compte dans ce pas de deux Carli-Riccobono…

70 sil­houettes rue de Thann, devant l’im­pri­me­rie de L’Al­sace – Pho­to Bra­him Bouchareb

L’impossibilité tech­nique du plan du Cré­dit Mutuel

Sans entrer ici dans des détails tech­niques fas­ti­dieux, l’enquête menée par L’Alterpresse68 auprès d’experts en impri­me­rie et connais­seurs de la par­ti­cu­la­ri­té de la presse régio­nale qui édite de mul­tiples édi­tions (contrai­re­ment à la presse natio­nale, la seule que M. Car­li connaisse un peu) démontre qu’il n’est pas pos­sible d’imprimer les deux jour­naux alsa­ciens sur un seul site à Strasbourg.

Les deux jour­naux, DNA et L’Alsace, éditent 25 édi­tions chaque nuit, plus un jour­nal bilingue. Chaque chan­ge­ment d’édition néces­site l’arrêt des rota­tives ce qui peut coû­ter 1 h 30 à 2 h d’arrêt chaque nuit.

D’autre part, nos jour­naux alsa­ciens ont une par­ti­cu­la­ri­té peu ou pas connue dans la vieille France : plus de 80% de ses lec­teurs sont des abon­nés qui reçoivent leur jour­nal au plus tard à 7 h chaque matin grâce à un réseau de plu­sieurs mil­liers de por­teurs. L’éloignement d’un centre d’impression fait peser des risques sur l’acheminement des jour­naux. Or, les abon­nés ont hor­reur de ne pas rece­voir leur jour­nal à l’heure et les retards de dis­tri­bu­tion sont (avec la hausse des prix) la cause majeure des désabonnements.

M. Car­li ose affir­mer qu’il garan­tit la livrai­son en temps et en heure même dans les ter­ri­toires les plus excen­trés du Haut-Rhin ! Com­ment peut-il affir­mer sérieu­se­ment une telle inep­tie ! C’est tota­le­ment igno­rer les aléas de trans­port dans une région où les condi­tions cli­ma­tiques peuvent bou­le­ver­ser la cir­cu­la­tion d’autant plus que le Conseil dépar­te­men­tal veut réduire, pour des rai­sons bud­gé­taires, le dénei­ge­ment de cer­taines routes… Il est vrai qu’il dit éga­le­ment que le Cré­dit Mutuel est prêt à perdre… 2.000 abonnés!

La réponse appor­tée par le Cré­dit Mutuel : avan­cer l’heure de bou­clage de L’Alsace à 22 h 30 ! Com­ment des jour­na­listes aus­si expé­ri­men­tés que ceux du jour­nal  peuvent accep­ter cet oukase ! Car cela veut dire en clair que le jour­nal mul­hou­sien ne pour­ra plus rendre compte d’informations qui sur­vien­draient après cette heure. Nous vous lais­sons ima­gi­ner com­bien d’événements ne pour­ront plus être cou­verts par L’Alsace… mais le seront par contre par les Der­nières Nou­velles d’Alsace qui gar­de­ront leur heure de bou­clage bien au-delà de 23 h !

Encore un exemple de l’impossibilité d’imprimer les deux jour­naux sur un seul lieu ? Les Der­nières Nou­velles d’Alsace sont impri­més en 4 cahiers ; L’Alsace en 2 cahiers. M. Car­li affirme que cela res­te­ra ain­si. Mais ce n’est tout sim­ple­ment pas com­pa­tible avec les temps d’impression néces­saire. Là aus­si, nos experts nous confirment que pour pas­ser de 2 cahiers à 4, il faut arrê­ter les rota­tives, modi­fier les pas­sages du papier… Au mini­mum de 30 minutes à 1 h d’arrêt de la pro­duc­tion pour cela. Et il fau­dra prier pour qu’il n’y ait aucune casse du papier, car il fau­drait refaire tout le pro­ces­sus. Et les casses du papier ne sont pas rares sur ce type de machine…

La solu­tion pour le Cré­dit Mutuel : le jour­nal unique

Nous ne fai­sons pas l’injure au Cré­dit Mutuel de mécon­naître tout cela ! Mais il ne peut le recon­naître car pour pou­voir impri­mer les deux jour­naux sur un seul centre d’impression, la seule solu­tion est de faire des deux quo­ti­diens un seul, au même conte­nu et dans un pre­mier temps, main­te­nir les titres à la Une… ce qui sera la seule dif­fé­rence entre les deux quotidiens.

Seconde mesure : il faut impri­mer l’édition bilingue pen­dant la jour­née. Ce qui équi­vaut à condam­ner ce jour­nal, car il ne col­le­ra plus à l’information quo­ti­dienne et se pri­ve­ra tota­le­ment des évé­ne­ments rela­tés par le jour­nal francophone.

Troi­sième mesure : réduire dras­ti­que­ment le nombre d’éditions. Pas­ser de 17 édi­tions (ceux des DNA) à 3 ou 4 est tout à fait envi­sa­geable. Mais cela signi­fie moins de place pour les infor­ma­tions locales et donc appau­vris­se­ment de la par­tie du quo­ti­dien qui fait son originalité.

Nous sommes là dans la méthode his­to­rique de la presse fran­çaise : aujourd’hui nous ne comp­tons plus que 66 quo­ti­diens dans l’Hexagone. Ils sont plus de 320 en Alle­magne. Car en France, la concen­tra­tion s’est faite par des rachats qui se sont sol­dés par la dis­pa­ri­tion des titres. En Alle­magne, le même phé­no­mène de concen­tra­tion a conduit les édi­teurs à main­te­nir au sein de leur groupe les dif­fé­rents titres en pre­nant en compte leur ancrage local.

Ain­si, dans le tout voi­sin Pays de Bade, les citoyens ont encore 11 quo­ti­diens à leur dis­po­si­tion, avec des impri­me­ries per­for­mantes qui impriment à tout va… Mais le Cré­dit Mutuel ne regarde plus depuis long­temps vers le pays qui a vu naître Raif­fei­sen, celui qui a inven­té le mutua­lisme ban­caire… Et voi­là com­ment la région Alsace va connaître à brève échéance, l’uniformité édi­to­riale avec 1 seul jour­nal : ce qui n’est jamais arri­vé dans l’histoire de notre région. Même sous l’annexion nazie, trois jour­naux avaient été conservés…

Le Centre- et le Sud-Alsace per­dront leur quotidien

Dans la série « men­songes et cynisme », M. Car­li affirme, sans cil­ler, que l’indépendance des deux jour­naux sera main­te­nue, voire déve­lop­pée. Pour­quoi doit-il affir­mer cela actuel­le­ment contre toute logique et contre la réa­li­té qui est déjà en marche : par exemple, il est mani­feste que la rédac­tion régio­nale est à pré­sent celle des DNA et non pas celle de L’Alsace.

Il doit déli­vrer ce men­songe car la dis­pa­ri­tion de L’Alsace jette un trouble auprès des élus et de la popu­la­tion du Centre- et Sud-Alsace. Nous l’avons véri­fié lors de réunion publiques tenues à Mul­house, Col­mar et Thann pour infor­mer sur les véri­tables inten­tions du Cré­dit Mutuel.

Lors de ces réunions, de nom­breuses inter­ven­tions d’élus locaux, font part de leur insa­tis­fac­tion qui n’est pas récente : ils constatent, en effet, depuis des mois, qu’il y a de plus en plus d’articles com­muns aux deux jour­naux tant dans les pages régio­nales que locales.

En effet, les élus locaux sont bien plus sen­sibles à l’information locale et régio­nale qui rend compte de leur action et leur per­met de mesu­rer son impact. La plu­part du temps abon­nés aux deux quo­ti­diens, ils sont les mieux pla­cés pour mesu­rer la dégra­da­tion du conte­nu du quo­ti­dien haut-rhi­nois au pro­fit de celui des DNA.

La plu­part des maires res­tent atta­chés à l’information locale et à sa diver­si­té. On pour­rait croire qu’à l’heure d’Internet, les sites des muni­ci­pa­li­tés ou les blogs des élus pour­raient suf­fire pour rendre compte de leurs actions. Mais eux-mêmes insistent sur le rôle du jour­na­liste ou du cor­res­pon­dant, décryp­tant l’information par exemple d’un conseil muni­ci­pal, rôle par­ti­cu­liè­re­ment appré­cié pour mesu­rer l’impact d’une poli­tique dans une ville ou un village.

Des élus ont fait part du constat que la dis­pa­ri­tion d’un cor­res­pon­dant local de L’Alsace, a eu un effet néga­tif sur l’information. La concur­rence entre les deux jour­naux quo­ti­diens enri­chis­sait les conte­nus et la rapi­di­té de la paru­tion des infor­ma­tions. Aujourd’hui où il n’y a plus que le cor­res­pon­dant des DNA sur place, les infor­ma­tions paraissent au compte-gouttes et avec des délais de plus en plus longs.

Ces élus estiment que le plu­ra­lisme est aus­si un atout dans l’information locale. Non pour faire la publi­ci­té à une « Dorf­po­li­tik » mais pour faire vivre la démo­cra­tie au plus près des citoyens par des infor­ma­tions qui touchent à leur vécu immédiat.

La Centre- et Haute-Alsace ont besoin d’un quotidien

Les élus de toutes ten­dances sont for­mels : il n’y a aucune « guerre » entre Haut-Rhin et Bas-Rhin ou de contes­ta­tion sur la place et le rôle de Stras­bourg dans la région. Mais ils sont tout aus­si for­mels en fai­sant part des dif­fé­rences par­fois pro­fondes exis­tant au sein même des ter­ri­toires alsa­ciens. La proxi­mi­té éco­no­mique, sociale, cultu­relle, de la Centre- et Haute-Alsace avec le sud du Pays de Bade (Fri­bourg) et la Suisse (Bâle et le Jura avec Por­ren­truy et Delé­mont), mais aus­si avec la Franche-Com­té, pèse sur les choix et orien­ta­tions politiques.

C’est ce qu’ont affir­mé clai­re­ment, MM. Rott­ner, pré­sident de la Région Grand Est, Mme Lutz, maire de Mul­house, M. Fabian Jor­dan, pré­sident de M2A, dans un cour­rier adres­sé à M. Thé­ry, le pré­sident du Cré­dit mutuel. Nous citons :

« Vous nous avez assu­rés que que le plu­ra­lisme et l’identité des titres seraient pré­ser­vés. Il s’agit pour nous  de deux élé­ments indis­pen­sables notam­ment pour L’Alsace, titre qui s’écrit et se lit essen­tiel­le­ment dans le sud du Haut-Rhin. Nous nous per­met­tons d’insister sur ce point. »

La réac­tion de M. Car­li à cette lettre lors de la funeste réunion démontre son mépris pour la parole des élus car il lais­sa entendre que ce cour­rier était des­ti­né à faire plai­sir aux sala­riés. De l’opportunisme poli­tique donc ! Ce n’est pour­tant pas ce que ces élus ont confiés aux membres du comi­té d’entreprise qui les avaient sollicités.

Faut-il plus pour démon­trer que les affir­ma­tions et les pro­messes de M. Car­li sont uni­que­ment de la ges­tion de sa com­mu­ni­ca­tion. Il faut ras­su­rer les jour­na­listes, les autres sala­riés de l’entreprise et les élus… pour avoir les mains libres pour liqui­der l’outil de tra­vail et mar­gi­na­li­ser ceux qui se battent pour le maintenir.

Autre exemple du cynisme du per­son­nage : à la sor­tie de la salle de réunion, il eut cette sublime phrase adres­sée à des sala­riés qui l’interpellaient : à l’un d’entre eux, le visage rem­plis de larmes qui lui expli­quait sa détresse et celle de sa famille s’il per­dait son emploi, il rétor­qua, un peu la mine basse quand même : « Je dois res­ter froid »… Effec­ti­ve­ment, pour faire ce sale bou­lot, il faut être insen­sible à ce qui est humain, à oublier le mal­heur qui couve der­rière chaque détresse sociale, il faut être un peu inhumain…

Sau­ver le jour­nal à tout prix…

Ceux qui ne veulent pas être les dupes du dis­cours dont l’ambivalence est faci­le­ment démon­table pour qui ne veut pas avoir des œillères, ont le sen­ti­ment qu’il n’y a plus rien à attendre du Cré­dit Mutuel. Pour­quoi faut-il conser­ver un action­naire qui va tuer votre entre­prise alors que des solu­tions de déve­lop­pe­ment sont pos­sibles comme nous le prou­ve­rons dans un article repre­nant le plan alter­na­tif pro­po­sé par la FILPAC-CGT et ses experts.

Si le Cré­dit Mutuel consi­dère que le jour­nal L’Alsace ne rentre plus dans ses plans et qu’il faut le faire dis­pa­raître (mort lente certes, mais mort tout de même !), pour­quoi ne pas le céder à un éven­tuel repre­neur? Selon nos infor­ma­tions, des pro­po­si­tions ont été faites dans ce sens à M. Thé­ry qui les a reje­tées car elles n’étaient pas finan­ciè­re­ment suf­fi­sam­ment élevées.

Les sala­riés du Centre d’impression ne baissent pas les bras mal­gré la volon­té de la direc­tion et ses affi­dés, de faire appa­raître la déci­sion comme irré­vo­cable. Rien n’est jamais irré­vo­cable pour les gens qui se battent, disent les tra­vailleurs. Et aver­tissent gen­ti­ment les autres sala­riés : après notre dis­pa­ri­tion, c’est vous qui serez sur la sellette.

Et de conclure : « Avec ou sans le Cré­dit Mutuel, L’Alsace vivra… ».

Michel Mul­ler