On sait qu’un pays qui fait bénéficier les non-résidents qui y placent des capitaux, d’avantages fiscaux devient paradis bancaire/fiscal/centre financier offshore si les flux de capitaux circulent dans un contexte rendu plus attractif par le système fiscal et par le secret bancaire.

L’Union euro­péenne a dres­sé une liste, dite « grise », de 47 pays dont 17 vrai­ment vilains petits canards qui relèvent de la liste dite « noire » (tou­te­fois pas de sanc­tions for­mel­le­ment défi­nies à ce stade et la dite liste noire ne regroupe que de petits centres finan­ciers et oublie des para­dis fis­caux comme la Suisse, le Luxem­bourg, les îles Caïman).

Mais  les  fameuses « listes » de mau­vais élèves dres­sées par les 28 mous­que­taires de l’U­nion euro­péenne notam­ment … ne servent à rien ou presque – tech­ni­que­ment du moins – tant que la fis­ca­li­té directe reste l’a­pa­nage de pays souverains.

Et là n’est plus tel­le­ment la ques­tion compte tenu de la pres­sion inter­na­tio­nale (Europe, OCDE, G20, ONG telles Oxfam…) sur ces pays  para­di­siaques fis­ca­le­ment par­lant et de la régres­sion de la por­tée du secret ban­caire face à la demande d’E­tats euro­péens qui veulent récu­pé­rer leurs euros.

Clas­ser comme « coopé­ra­tif » devient leur arme,  le vrai nœud du problème

Le Code géné­ral des impôts fran­çais parle ain­si de contri­buables « sou­mis à un régime fis­cal pri­vi­lé­gié » et s’intéresse aux « Etats et Ter­ri­toires non coopératifs ».

Il n’est pas inter­dit de pla­cer de l’argent dans un « para­dis fis­cal »… mais si le pays en ques­tion a un régime fis­cal pri­vi­lé­gié (soit moins de la moi­tié de l’impôt qui serait dû en France dans les mêmes cir­cons­tances), le droit fran­çais pré­voit des mesures pour impo­ser en France le reve­nu peu ou pas taxé dans l’autre pays. Et ce régime ne s’ap­plique pas aux pays de l’UE, exclus du dis­po­si­tif, sauf si l’administration prouve l’existence d’un « mon­tage arti­fi­ciel », (ce qu’elle cherche par ailleurs volon­tiers à démontrer).

 Il n’y a là rien de plus que l’application de prin­cipes com­mu­nau­taires fon­da­men­taux (liber­té de pres­ta­tion de ser­vices, liber­té d’établissement notamment)…sous réserve habi­tuelle d’abus de droit, prin­cipe consa­cré notam­ment par la Cour de Jus­tice européenne.

En France, il n’y a pas de liste offi­cielle de pays à régime fis­cal pri­vi­lé­gié mais compte tenu de ce que la France a un des taux d’impôt sur les socié­tés (I.S) les plus éle­vés du monde (bien­tôt 28 puis 25%)  beau­coup de pays seraient des para­dis fis­caux vus de France…et la France elle-même est un para­dis fis­cal pour cer­taines activités/ struc­tures exo­né­rées d’IS ou à IS à faible taux (trai­te­ment fis­cal des Jeunes entre­prises inno­vantes, des fonds d’investissement, des socié­tés de recherche et déve­lop­pe­ment par exemple….et même si on s’appelle Sanofi).

Vu de notre fenêtre (comme de celle de nombre de fenêtres euro­péennes) l’élé­ment du débat deve­nu cen­tral est la notion d’Etats peu ou pas coopé­ra­tifs, défi­nis comme ne com­mu­ni­quant pas d’informations à l’administration fis­cale fran­çaise – il n’y en que 7 sur notre liste natio­nale – dont Pana­ma; les autres pays  – para­dis fis­caux com­pris –  donnent de l’information et le Fran­çais qui inves­tit dans un pays coopé­ra­tif  voit ses reve­nus impo­sés en France le cas échéant.

Nombre de pays, et non seule­ment en Europe, se retrouvent dans ce type de pro­blé­ma­tique d’é­changes croi­sés d’informations.

La Tuni­sie, mais par l’Irlande, Malte, Chypre…

 Mais.… « Selon que vous serez puis­sant ou misé­rable… » (La Fon­taine : les ani­maux malades de la peste),  les  règles du jeu sont variables. Ain­si,  le 5 décembre der­nier la Tuni­sie a eu la mau­vaise sur­prise de se réveiller clas­sée « juri­dic­tion non coopé­ra­tive pour les sujets fis­caux » par l’Union euro­péenne, mal­gré ses efforts pour « coopérer ».

Selon le Conseil euro­péen, elle aurait en par­ti­cu­lier pris des mesures fis­cales pré­fé­ren­tielles pou­vant être regar­dées comme dom­ma­geables parce que concer­nant des « acti­vi­tés mobiles », autre­ment dit des acti­vi­tés sans actifs réels cor­res­pon­dants dans le pays.

(Il aurait d’ailleurs fal­lu plu­tôt évo­quer les règles de « concur­rence com­mer­ciale » défi­nies par  l’Organisation mon­diale du com­merce (O.M.C.) et non celles d’une jus­tice fiscale…)

L’UE reproche à la Tuni­sie d’offrir un taux d’imposition plus favo­rable aux entre­prises « tota­le­ment expor­ta­trices », ce qui est pour­tant logique pour un pays en voie de déve­lop­pe­ment à la recherche per­ma­nente de devises.

La Tuni­sie cherche d’abord par ses dis­po­si­tions fis­cales, à garan­tir des emplois locaux   puisque les expor­ta­teurs  n’ont pas l’obligation de rapa­trier leurs recettes.

Elle n’entre d’ailleurs dans aucun des cri­tères d’Oxfam révé­la­teurs de flux de capi­taux à visée d’évasion fiscale.

(On rap­pelle que l’Irlande, Malte, Chypre offrent ce type de pra­tiques et de taux faibles sans encou­rir de foudres par­ti­cu­lières de l’Union…).

Et les règles à la tête du client ?

La pra­tique du  res­crit fis­cal ou «tax ruling» est une prise de posi­tion for­melle de l’administration fis­cale du pays sai­sie par un contri­buable en amont de toute imposition.

La règle du jeu est alors à la carte, indi­vi­dua­li­sée, et la sécu­ri­té juri­dique du contri­buable est garan­tie par le prin­cipe d’une léga­li­té négo­ciée qui s’imposera au sys­tème légal de ce même pays…et qui ne sera pas connue des autres pays. (La  mul­ti­na­tio­nale aura sans doute  plus de chance que l’artisan du coin…).

Les res­crits luxem­bour­geois révé­lés dans le cadre du « scan­dale Lux Leaks » avaient défrayé la chro­nique en leur temps mais 22 pays de l’Union pra­tiquent le res­crit, dont la France.

Pra­tique de dum­ping fis­cal et de concur­rence par la fis­ca­li­té entre Etats, les res­crits ont tou­te­fois contri­bué à lan­cer la machine com­mu­nau­taire en vue de l’échange auto­ma­tique d’informations entre les admi­nis­tra­tions fis­cales des Etats euro­péens… Une cer­taine  trans­pa­rence fis­cale donc; mais ni le grand public, ni la Com­mis­sion, n’ont obli­ga­toi­re­ment d’informations à ce jour sur  le conte­nu de ces res­crits et il n’y a pas d’enquêtes pos­sibles, pour dis­tor­sion de concur­rence par exemple.

En 2015, la Com­mis­saire euro­péenne à la concur­rence avait indi­qué que la léga­li­té de l’ensemble des dis­po­si­tifs de res­crits fis­caux était contes­table (cas Fiat au Luxem­bourg, Star­buck aux Pays – Bas).

En 2016, la même Com­mis­saire a deman­dé à Apple de rem­bour­ser à l’Etat irlan­dais 13 mil­liards d’euros plus les inté­rêts au motif d’«aides d’Etat» contraires au droit euro­péen de la concur­rence puisqu’Apple ne sou­met­tait pas les pro­fits qu’elle rapa­triait d’Europe en Irlande au taux nor­mal d’imposition irlan­dais (taux très bas par ailleurs).

L’Irlande se hâtait alors de faire savoir qu’elle ne vou­lait pas de cet argent pour sau­ve­gar­der abso­lu­ment sa poli­tique des «res­crits».

Une ima­gi­na­tion débordante

Ce 5 décembre 2017 une nou­velle liste de para­dis fis­caux a été adop­tée par les ministres des finances des pays de l’U­nion pour étendre la « liste noire » des para­dis fis­caux ver­sion UE,  suite à l’affaire des «Pana­ma Papers».

Les Pays-Bas, l’Irlande, le Luxem­bourg, Malte can­di­dats poten­tiels ont rapi­de­ment dis­pa­ru de la liste ini­tia­le­ment évo­quée, mais Guam, Samoa, Nami­bie, Mon­go­lie, les Palaos, Gre­nade, Bah­reïn, Macau, Sainte-Lucie et autres endroits exo­tiques ne sont pas oubliés…le Qatar en a dis­pa­ru, lui, le 4 décembre.

Les Etats – Unis (cf. en par­ti­cu­lier le para­dis fis­cal qu’est le Dela­ware) n’y figurent évi­dem­ment  pas, ni la Rus­sie, etc…

 Dans la fou­lée a été éta­blie une liste com­plé­men­taire dite « grise » d’une qua­ran­taine de juridictions/pays qui ont pris des enga­ge­ments « forts » à chan­ger leurs pra­tiques dans les mois à venir.

Pour faire bonne mesure une liste sup­plé­men­taire de huit autres  pays, dite « Liste hur­ri­cane » concer­nant de petites îles en déve­lop­pe­ment de la zone Caraïbe ayant été tou­chées par les oura­gans de cet été a aus­si été éta­blie; ses membres ont quelques mois de plus (échéance février 2018) pour « chan­ger leurs pratiques ».

Le res­pect ou pas des cri­tères de Bruxelles sur l’é­change auto­ma­tique de don­nées stan­dards défi­nies par l’OCDE (Orga­ni­sa­tion de coopé­ra­tion et de déve­lop­pe­ment éco­no­mique), le sou­ci d’é­vi­ter l’im­plan­ta­tion de socié­tés off­shore et l’ac­cep­ta­tion des lignes direc­trices sur l’é­va­sion fis­cale des mul­ti­na­tio­nales ont pré­si­dé à l’ins­crip­tion ou pas sur ces listes.

Faut-il pré­ci­ser que les pays de l’U­nion se sont exclus d’emblée de cette liste, cen­sés qu’ils sont se confor­mer déjà au droit de l’UE en matière d’é­va­sion et fraude fiscale…et  que les sanc­tions éven­tuelles font débat et sont loin d’être acquises.

Bref, de listes en listes « à géo­mé­trie variable » –  pour mémoire la liste noire ver­sion OCDE éla­bo­rée par le G20 en juin 2017 ne compte qu’un seul pays, Tri­ni­té-et-Toba­go, celle éta­blie par Oxfam 35,  plus les 3 du 5 décembre pré­ci­tées, plus toutes celles d’autres pays et de l’U­nion etc., etc., etc….on ne sait plus trop s’il faut rire, sou­rire ou pleu­rer de ce petit jeu des listes ou de bon­ne­teau qui doit d’a­bord  dis­traire des vraies ques­tions le contri­buable – élec­teur  européen.

Mais com­mu­ni­ca­tion seule­ment ou volon­té réelle d’une cer­taine effi­ca­ci­té: quid de l’ACCIS ?

Tous les pays du monde cherchent évi­dem­ment à atti­rer des inves­tis­seurs grâce à l’arme fis­cale (taux d’imposition très faible ver­sion Pana­ma, Irlande, faci­li­tés pour éla­bo­rer des mon­tages inter­na­tio­naux ver­sions Luxem­bourg, Malte, Pays-Bas, Royaume-Uni, régimes spé­ci­fiques d’exonération et créa­tion mas­sive de « niches fis­cales » ver­sion France, taux facia­le­ment éle­vés mais bases d’impositions faibles, res­crits fis­caux déro­ga­toires par nature aux propres règles fis­cales du pays qui les pra­tique…), l’imagination fis­cale des Etats, des socié­tés, des par­ti­cu­liers est sans limite.

Aller vers de vraies pistes de solu­tions ? Oui mais comment?

Le  tra­vail de fond effec­tué par la Com­mis­sion et le Par­le­ment pour har­mo­ni­ser la base de cal­cul de l’impôt sur les socié­tés au niveau euro­péen (par le pro­jet de direc­tive Accis qui per­met­trait d’inclure les entre­prises numé­riques dans une approche glo­bale) se retrouve en concur­rence directe (hasard?) avec l’initiative de quatre ministres des Finances euro­péens (dont celui de notre gou­ver­ne­ment macro­nien) pour un mode de pré­lè­ve­ment fis­cal euro­péen spé­ci­fique pour les GAFA (Apple, Google, Face­book, Ama­zon) sur la base de leur chiffre d’affaires et selon les pays où il est réalisé.

Or, et suite au rap­port de deux dépu­tés euro­péens (Lamas­soure, Tang), le pro­jet Accis pro­pose des solu­tions beau­coup plus opé­ra­tion­nelles et pour tous les types d’activité.

Le prin­cipe en est simple: les entre­prises tra­vaillant en Europe doivent payer l’impôt dans le pays où elles  réa­lisent leurs béné­fices mais sur une base taxable euro­péenne  uti­li­sant  un seul réfé­ren­tiel au niveau euro­péen,  le taux de taxa­tion res­tant défi­ni sou­ve­rai­ne­ment par les Etats membres.

Pour les implan­ta­tions non phy­siques (cas des quatre mous­que­taires GAFA notam­ment) le rap­port des deux dépu­tés pro­pose d’affiner les cri­tères de l’assiette com­mune conso­li­dée pour l’impôt sur les socié­tés en aug­men­tant les fac­teurs de l’imposition déjà pris en compte (pré­sence de main d’œuvre, d’un siège social ou d’établissement – «immo­bi­li­sa­tions» – , ventes par des­ti­na­tion plus ajout pro­po­sé de la « col­lecte et de l’utilisation des don­nées à carac­tère per­son­nel des uti­li­sa­teurs de ser­vices et de pla­te­formes en ligne à des fins commerciales»).

Ces don­nées sont natio­nales et loca­li­sables et un cri­tère de pon­dé­ra­tion peut leur être affec­té (la répar­ti­tion de l’I.S sur les béné­fices entre Etats  membres serait affec­tée de ce même cri­tère de pon­dé­ra­tion par Etat).

L’optimisation dans les « petits para­dis fis­caux », ver­sion Luxem­bourg ou Irlande, comme pour l’ensemble des béné­fices conti­nen­taux des grandes entre­prises – numé­riques ou non –  ne serait plus possible.

En conclu­sion, les pays vrai­ment amou­reux du secret ban­caire abso­lu, dits « non coopé­ra­tifs », tendent à dis­pa­raître sous la pres­sion inter­na­tio­nale (Europe, OCDE, G20, ONG comme Oxfam, opi­nions publiques en géné­ral…) et  les enjeux se pré­cisent: sou­ve­rai­ne­tés natio­nales sur les taux d’im­po­si­tion mais sur une base fis­cale euro­péenne plus intégrée?

Ver­sion Accis pour  une orien­ta­tion euro­péenne plus mar­quée par une har­mo­ni­sa­tion de règles du jeu et l’as­su­jet­tis­se­ment des GAFA à un droit com­mun de la fis­ca­li­té européenne?

Ou ajout au mec­ca­no euro­péen d’une impo­si­tion spé­ci­fique GAFA et petits cal­culs entre amis pour négo­cier cha­cun pour soi avec eux?

Ou  pour­suite du petit jeu des listes de mou­tons gris ou noirs pour faire patien­ter le bon peuple?

Et que devient dans tout ça la prise en compte de la néces­saire har­mo­ni­sa­tion sociale (par le haut de pré­fé­rence)  puisque les res­sources natio­nales affec­tées au filet de sécu­ri­té sociale dépendent de l’impôt et des coti­sa­tions sociales?

Et quelles orien­ta­tions pour les acti­vi­tés non loca­li­sées en Europe et les fis­ca­li­tés induites?

Très vastes chan­tiers qui méritent d’autres débats qu’une com­mu­ni­ca­tion opaque…

NB: Quant à moi je signe natu­rel­le­ment la péti­tion d’Ox­fam; elle a au moins le mérite de contri­buer à main­te­nir une pres­sion citoyenne…en atten­dant  de vrais débats sur les vrais enjeux!

C.R

https://actions.oxfam.org/france/mettons-fin-au-scandale-des-paradis-fiscaux/petition/