Comme quoi, le pluralisme de la presse a du bon. Quand le journal L’Alsace ne constate qu’un « cortège modeste » et ne rencontre qu’une manifestante qui affirme « une fois encore on n’a pas pu mobiliser », L’Alterpresse68 a vu un défilé plutôt bien fréquenté, mêlant les générations et rassemblant une grande diversité. Toutes les organisations syndicales étaient présentes, même celles dont les « états-majors » au niveau national ou départemental n’avaient pas appelé à la mobilisation.

Ain­si, l’UNSA était là en nombre, son vice-pré­sident dépar­te­men­tal affir­mant haut et fort à la presse (pour­quoi elle n’en parle pas ?) qu’il se déso­li­da­ri­sait de la posi­tion natio­nal en par­ti­ci­pant à la mani­fes­ta­tion mul­hou­sienne. La CFDT, elle aus­si, absente de l’appel à mani­fes­ter, était représentée.

Avec près d’un demi-mil­lion de mani­fes­tants dans toute la France, cette jour­née d’action déci­dée par les syn­di­cats de la Fonc­tion publique, s’est vu ampli­fier par la pré­sence des che­mi­nots, mal­heu­reu­se­ment absent à Mul­house car ils avaient rejoints la mani­fes­ta­tion natio­nale à Paris à l’appel de leurs fédérations.

 

Un mécon­ten­te­ment qui s’exprime de plus en plus…

Cette jour­née du 22 mars est la pre­mière qui ras­semble l’ensemble de la fonc­tion publique et même au-delà.

Ce serait une erreur de croire que les mesures sociales du gou­ver­ne­ment Phi­lippe s’imposent sans réac­tion, ni contes­ta­tions. Vous ne trou­ve­rez pas beau­coup de citoyens fran­çais, hor­mis les « mar­cheurs invé­té­rés et les pou­ja­distes new-look start-upeur », qui saluent ces pré­ten­dues réformes comme une avan­cée positive.

S’instaure bien plus le sen­ti­ment que la France, avec quelques années de retard, va jusqu’au bout des mesures ultra­li­bé­rales comme l’ont fait en leur temps Mar­ga­reth That­cher en Grande-Bre­tagne et Gerhardt Schroe­der en Alle­magne. Comme nova­teur on a connu mieux !

Cette manière de pré­sen­ter la casse du modèle social, le rôle régu­la­teur de l’Etat ou d’imposer la ren­ta­bi­li­té éco­no­mique comme le seul cri­tère pour juger les ser­vices publics, comme «indis­pen­sable et inévi­table » est en réa­li­té un for­mi­dable moyen de recréer des inéga­li­tés sociales extraordinaires.

Et pour M. Macron, il n’y a pas de limite dans l’exercice. Quand on voit le résul­tat de ces poli­tiques en Grande-Bre­tagne et en Alle­magne avec une pau­vre­té galo­pante et un aban­don total de cer­tains ter­ri­toires, on peut entre­voir ce que sera la France au bout du man­dat du Pré­sident de la République.

 

On a pu consta­ter de nom­breuses grèves dans les entre­prises depuis des mois. Mais il y a incon­tes­ta­ble­ment une accé­lé­ra­tion de l’expression du mécon­ten­te­ment ces der­niers mois. Et cela touche des par­ties de la popu­la­tion diverses et sur­tout cer­taines qui n’ont pas l’habitude de battre le pavé.

Depuis quelques mois, les per­son­nels de san­té, des Ehpad, ne cessent de dénon­cer la poli­tique de la san­té qui conduit à la fer­me­ture d’hôpitaux, à l’impossibilité d’assumer les soins effi­ca­ce­ment voire digne­ment dans cer­tains éta­blis­se­ments. Les méde­cins ne sont pas les der­niers à se faire entendre.

Le 21 mars, la jus­tice était en grève. Les avo­cats et de nom­breux magis­trats sont effa­rés par un pro­jet de réforme qui ne per­met­tra plus de rendre la jus­tice effi­ca­ce­ment. A la pénu­rie déjà exis­tante aujourd’hui, le gou­ver­ne­ment veut encore réduire les moyens et envi­sagent de fer­mer des tribunaux.

Quand la crème des crèmes des pro­fes­seurs d’Universités des­cend dans la rue, il est évident que l’éducation supé­rieure va mal dans ce pays.

Et que dire des étu­diants et des ensei­gnants qui voient bien dans les dif­fé­rentes réformes de l’éducation natio­nale, un moyen de sélec­tion liqui­dant ce qui reste de l’égalité des chances qui carac­té­risent notre sys­tème scolaire.

Les asso­cia­tions sont vent debout contre la réduc­tion de leurs dota­tions, elles qui bien sou­vent sup­pléent les pou­voirs publics dans la lutte contre la pau­vre­té, l’exclusion, le mal-logement…

 

Les sala­riés com­ment à per­ce­voir que les réformes du code du tra­vail les exposent à l’arbitraire patro­nal : l’exemple le plus fameux, la « rup­ture conven­tion­nelle col­lec­tive », montre que chez Peu­geot, il s’agit en fait de faire par­tir des sala­riés en vrai contrat à durée indé­ter­mi­née, pour­vus d’un sta­tut, par l’embauche de tra­vailleurs pré­caires à garan­ties sociales réduites. Que cer­tains syn­di­cats aient pu accep­ter ce genre de tra­fic ne le rend pas pour autant posi­tif : il s’agit bien d’un affai­blis­se­ment de la pro­tec­tion des salariés.

Les retrai­tés, des­cen­dus par cen­taines de mil­liers le 15 mars, n’étaient certes pas reve­nus tous le 22, mais il faut bien addi­tion­ner ces deux mani­fes­ta­tions qui, à une semaine près, ont conduit un mil­lions de per­sonnes à s’exprimer.

Et à pré­sent, les che­mi­nots mettent en place une résis­tance qui ne vise pas à ne rien chan­ger : ils pro­posent une réforme de leur entre­prise qui en a bien besoin, mais dans le res­pect du ser­vice public qui est dévo­lu au trans­port fer­ro­viaire. Il est un des élé­ments fon­da­men­taux de l’équité entre les ter­ri­toires, chose que la SNCF ignore de plus en plus.

 

Le dilemme entre râler et agir : le rôle dévo­lu aux médias

M. Macron fait mine de ne rien voir, ni rien entendre : il va conti­nuer ses réformes. Et si les Fran­çais s’y opposent, c’est qu’ils n’ont rien com­pris. Ou bien « on » leur a mal expliqué.

Les maires et élus de proxi­mi­té qui sont offus­qués par la manière dont on les traite en vou­lant réfor­mer par le fait du prince toute la dimen­sion ter­ri­to­riale, leur enle­vant des moyens et des pou­voirs, n’ont-ils rien com­pris à la gran­deur d’esprit du loca­taire de l’Elysée ?

Comme un men­songe ne devient jamais une véri­té même s’il est assé­né des mil­liers de fois par tous les médias, une mau­vaise réforme ne devient pas bonne par ce que le jour­nal du coin affirme que les len­de­mains vont chanter.

Mais nous aurons évi­dem­ment droit, dans les jours et semaines à venir, à un défer­le­ment média­tique contre les syn­di­cats qui appellent à la mobi­li­sa­tion. Cela a déjà com­men­cé en dési­gnant les che­mi­nots comme des pri­vi­lé­giés et des nan­tis, tout comme les retrai­tés par ailleurs. La ficelle est certes grosse : vou­loir oppo­ser les « pauvres usa­gers » et les « irres­pon­sables gré­vistes ». Vous ne connai­trez rien des pro­po­si­tions des syn­di­cats pour réfor­mer la SNCF, mais ils par­le­ront des trains bon­dés qui n’arrivent pas à l’heure.

Bref, lec­teur ou audi­teur intel­li­gent, lit et écoute avec dis­tance en gar­dant à l’esprit les vrais enjeux d’une cam­pagne média­tique dans la France de la presse des neuf mil­liar­daires qui sont les relais des pou­voirs en place.

 

L’Alterpresse et Radio MNE se mettent au ser­vice de ceux qui appellent à un retour à des valeurs de soli­da­ri­té et de pro­grès social. La grande ques­tion est bien de savoir si nous assis­tons à une simple expres­sion de ras-le-bol sans len­de­main. Ou bien à une prise de conscience que cette poli­tique régres­sive socia­le­ment n’est en rien iné­luc­table et que d’autres choix sont tou­jours pos­sibles. C’est bien du mou­ve­ment social que se lève­ra le vent du chan­ge­ment : c’est cela la France de 2018.

Pas qu’en France…

On nous pré­sente sou­vent la France comme une excep­tion avec leurs syn­di­cats qui rejettent les réformes néga­tives pour le monde du tra­vail. Nous avons par­lé, dans l’Alterpresse, de la grève de l’IG Metall en Alle­magne qui a abou­ti à une aug­men­ta­tion consé­quente des salaires et à une forme de réduc­tion du temps de tra­vail à 28 heures hebdomadaires.

Depuis jan­vier et pour une durée indé­ter­mi­née, le syn­di­cat des ser­vices Ver.di, appellent à des grèves illimitées.

Le ser­vice des ordures ména­gères, le trans­port urbain, les crèches et jar­dins d’enfants, sont tou­chés par le mou­ve­ment. Le syn­di­cat reven­dique une aug­men­ta­tion de salaires d’au moins 200 euros par mois pour les 2,3 mil­lions de sala­riés de la fonc­tion publique d’Etat et territoriale.

Comme en France, les « grands médias » ins­ti­tu­tion­nels mènent une cam­pagne contre le syn­di­cat en fai­sant défi­ler des images de parents qui doivent s’organiser pour trou­ver des solu­tions pour gar­der leurs enfants. Même objec­tif, même méthode : oppo­ser les gré­vistes qui luttent pour un meilleur accueil des enfants et les parents désem­pa­rés. Rien sur la dégra­da­tion depuis des années du sys­tème de garde d’enfants en Alle­magne, une des consé­quences de la poli­tique de Gerhardt Schroe­der avec les mesures Hart IV mises en œuvre entre 2003 et 2005. Date où le Chan­ce­lier a été viré du pou­voir par des Alle­mands ulcé­rés par sa poli­tique. Schroe­der ren­voyé certes… mais les mesures Hartz IV conti­nuent de géné­rer des tra­vailleurs pauvres en 2018… Serait-ce le des­tin de la France ?

Michel Mul­ler

Les pho­tos de la mani­fes­ta­tion nous ont été aima­ble­ment mis à dis­po­si­tion par Pierre Doli­vet qui est un des ani­ma­teurs de la bataille de la recon­nais­sance du droit d’auteur des pho­to­graphes qui voient leur tra­vail uti­li­sé sans ver­gogne par les mul­ti­na­tio­nales du Web sans rému­né­ra­tion aucune des auteurs.

 

Aima­ble­ment envoyé par un lec­teur visi­ble­ment atten­tif à son pou­voir d’achat!

Et la pensée de la semaine de Dédé: