Deux informations se côtoient dans les pages « sociales » de la presse quotidienne : l’une annonce que le PDG de Peugeot-Citroën M. Tavares empoche une prime d’un million d’euros pour le rachat d’Opel (entreprise dans laquelle il va supprimer des centaines, voire des milliers d’emplois !). Et l’autre fait part d’une exceptionnelle mobilisation des personnels des magasins Carrefour dont 300 étaient touchés par des grèves. Deux visages complémentaires de la France sur le plan économique et social.

A l’Ile-Napoléon, les clients étaient accueillis par des délé­ga­tions de gré­vistes sous les dra­peaux CGT et FO : ils avaient réqui­si­tion­nés des cen­taines de cha­riots sto­ckés devant l’entrée du maga­sin. D’où quelque fébri­li­té des clients à la recherche d’un cad­die ! Mais peu ou pas d’animosité avec les employés gré­vistes qui étaient rem­pla­cés, aux caisses du maga­sin, par des membres de l’encadrement et des sala­riés en contrat à durée déterminée.

L’action fut mal­gré tout, un franc suc­cès et reflète bien l’état d’esprit des employés du géant de la dis­tri­bu­tion. En jan­vier der­nier, le nou­veau PDG, M. Alexandre Bom­pard dévoile un plan qui pré­voit deux mil­liards d’économie d’ici 2020. Selon les syn­di­cats, cinq mille sup­pres­sions de postes devraient inter­ve­nir dans les pro­chains mois.

M. Alexandre Bom­pard était aupa­ra­vant PDG de la Fnac, où il s’était fait remar­quer pour ses manoeuvres fis­cales et son sens très modé­ré de la répar­ti­tion des richesses.

Il est le par­fait modèle des diri­geants dont les mul­ti­na­tio­nales raf­folent : haut fonc­tion­naire sor­ti de l’Ecole natio­nale d’Administration, donc rom­pu aux arcanes de l’Etat. Puis ins­pec­teur des finances, il pré­side Europe 1  de 2008 à 2010, puis la FNAC de 2011 à 2017. Le por­trait de ces diri­geants actuels, sûrs de leur fait, qui ont rai­son contre tout le monde, froid ana­lyste au ser­vice du monde de la finance, un laquais des banques…

Des mil­liers d’emplois en jeu

Le plan Bom­pard est vécu dure­ment par les sala­riés de Car­re­four. Il com­porte un plan de départs volon­taires de 2 400 per­sonnes au siège du groupe (sur 10 000 postes) et la ces­sion ou la fer­me­ture de 273 maga­sins issus de l’ancien réseau Dia, 800 bou­tiques rache­tées à prix d’or en 2015. Les fer­me­tures ou ces­sions concer­ne­ront 2 100 sala­riés. Il faut ajou­ter à ce décompte un peu moins de mille postes qui dis­pa­raî­tront dans les sta­tions-ser­vice et divers pôles admi­nis­tra­tifs des maga­sins. Du lourd, donc.

Certes, le groupe Car­re­four est en perte de vitesse. De 2e dis­tri­bu­teur mon­dial (près l’étatsunien Wal­mart), il est tom­bé au 6e rang, tout en conti­nuant d’avoir des résul­tats finan­ciers posi­tifs : en 2017, le résul­tat net est de 773 mil­lions d’euros. Ce qui per­met à Car­re­four de pour­suivre imper­tur­ba­ble­ment sa poli­tique de dis­tri­bu­tion des divi­dendes : cette année encore, les action­naires du groupe tou­che­ront en divi­dendes l’équivalent de 45 à 50 % du résul­tat opé­ra­tion­nel du groupe, soit plus de 350 mil­lions d’euros. Une bonne nou­velle pour le pre­mier action­naire, la famille Mou­lin, pro­prié­taire des Gale­ries Lafayette et pour Ber­nard Arnault, deuxième plus gros action­naire avec presque 9 % du capital.

Quant aux sala­riés qui atten­daient, eux aus­si, une prime d’intéressement aux béné­fices, ils sont tom­bés de haut : il y a quelques semaines, les sala­riés ont appris qu’ils tou­che­raient…  57 euros de par­ti­ci­pa­tion au titre de 2017 contre 610 euros en 2016. Fureur, car au vu du résul­tat opé­ra­tion­nel cou­rant de l’entreprise, les sala­riés pen­saient tou­cher plus de 300 euros.

La grande dis­tri­bu­tion en question

Ces deux élé­ments, le plan de restruc­tu­ra­tion de M. Bom­pard et l’absence de redis­tri­bu­tion équi­table entre capi­tal et tra­vail, ont mis le feu aux poudres et il semble qu’il ne soit pas prêt de s’éteindre.

Certes, toute la grande dis­tri­bu­tion doit se poser des ques­tions : le modèle éco­no­mique et social n’est plus adap­té. L’industrie du numé­rique s’est éga­le­ment intro­duit dans ce sec­teur d’activité : Ama­zon devient le plus grand concur­rent tout en n’ayant pas un seul maga­sin au monde ! L’introduction des tech­no­lo­gies numé­riques dans les éta­blis­se­ments (caisse auto­ma­tique, clients qui scanne lui-même ses achats…) fait craindre un véri­table raz-de-marée contre les emplois.

Les sala­riés et leurs syn­di­cats en sont conscients mais sont aus­si révol­tés par la méthode Bom­pard. Devant un chan­ge­ment aus­si radi­cal d’un sec­teur clé de l’économie fran­çaise avec 1 718 000 sala­riés en 2015, un chiffre en constante aug­men­ta­tion (1 683 000 en 2011). Cela repré­sente plus de la moi­tié des emplois du sec­teur com­mer­cial (dis­tri­bu­tion, com­merce de gros, arti­sa­nat com­mer­cial, com­merce et répa­ra­tion automobile).

L’impact des chan­ge­ments à attendre est donc consi­dé­rable pour les sala­riés du sec­teur mais aus­si pour l’ensemble des consom­ma­teurs. Cela méri­te­rait sûre­ment plus de consi­dé­ra­tion de la part de M. Bom­pard et consorts.

Michel Mul­ler

Mer­ci à France-Info pour la pho­to publiée