Le PDG d’Air France a voulu faire une opération de déstabilisation des organisations syndicales en organisant un référendum pour demander aux salariés d’accepter ses propositions d’augmentations salariales rejetées par les syndicats. En mettant en jeu, sa démission. Preuve de suffisance, d’arrogance ou bien erreur d’analyse fondamentale sur la réalité sociale du pays ?

Sûrement des deux, car de suffisance et d’arrogance, les chefs d’entreprises comme le chef de l’Etat,  n’en manquent pas ! Mais il est plus intéressant de se pencher sur cette propension du pouvoir économique, politique et médiatique aux commandes de l’Etat, à prendre des vessies pour des lanternes. Et à croire qu’un mensonge mille fois répétés deviendrait une vérité !

Avec plus de 80% de votants, la consul­ta­tion a été uti­li­sée par les sala­riés pour pas­ser un mes­sage fort au PDG d’Air France : plus de 55% d’entre eux ont reje­té l’accord sala­rial et ont donc sou­te­nu la posi­tion de l’Intersyndicale qui esti­mait que le compte n’y était pas.

La cam­pagne pour le Oui…

Pour­tant, l’immixtion du par­ti du pré­sident, des ministres concer­nés, de la droite, de la presse bien pen­sante (tous, oui tous les titres, du Figa­ro à Libé­ra­tion, à part L’Humanité), ont sou­te­nu le « Oui » en dénon­çant l’attitude irres­pon­sable des syn­di­cats. Ils feraient perdre 300 mil­lions d’Euros à la com­pa­gnie… Oui, les syn­di­cats ! Pas le PDG et le gou­ver­ne­ment qui refu­saient obs­ti­né­ment de négo­cier et de tenir compte de ce que leur disaient les orga­ni­sa­tions syndicales.

Les syn­di­cats met­taient l’entreprise en péril car elle était confron­tée à une concur­rence féroce des com­pa­gnies « low cost »… L’image d’Air France allait se dégra­der dans le monde entier, et bla, et bla, et bla…

Oubliée les dizaines et dizaines de grèves des pilotes de la Luf­than­sa, qui ont duré de 2014 à 2017, l’annulation de mil­liers de vols, pour arri­ver in fine à une aug­men­ta­tion des salaires de plus de 10% (éta­lée sur 5 ans). Oubliée la mobi­li­sa­tion il y a un peu plus d’un mois, des sala­riés des aéro­ports qui ont para­ly­sée les prin­ci­paux sites pour récla­mer une aug­men­ta­tion de 6% pour les 2,3 mil­lions d’employés dans les ser­vices publics en Allemagne…

Luf­than­sa a par exemple dû annu­ler 800 vols ces der­niers jours – soit bien plus que les 30% des vols qui n’ont pas été assu­rés par Air France. Et le syn­di­cat Ver­di a eu rai­son de per­sé­vé­rer : les reve­nus dans les ser­vices publics vont aug­men­ter de 3,2% rétro­ac­ti­ve­ment au 1er mars 2018, puis d’en­vi­ron 3,1% au 1er avril 2019 et enfin quelque 1,1% au 1er mars 2020.

Les sala­riés d’Air France déplorent notam­ment le fait que les salaires n’ont pas aug­men­té depuis cinq ans, contrai­re­ment à ce qu’ont fait les com­pa­gnies concur­rentes ; ils réclament 6% de plus sur leur fiche de paie esti­mant qu’ils ont contri­bué, par le blo­cage de leur salaire à la bonne san­té éco­no­mique de leur entre­prise. Preuve : Le Groupe Air France-KLM a réa­li­sé en 2017 un résul­tat d’exploitation de 1488 mil­lion d’euros, ce qui repré­sente une aug­men­ta­tion de 439 mil­lions d’euros, +41,8% par rap­port à l’année précédente.

Déna­tu­rer la démo­cra­tie sociale

Cette cam­pagne de presse fut hon­teuse pour les médias qui s’y sont prê­tés : allés sur votre moteur de recherches favo­ri, taper « grève Air France » et vous ver­rez un déchaî­ne­ment d’arguments, de tableaux plus ou moins exacts, pour dénon­cer les syndicats.

Nous retrou­vons là une vraie stra­té­gie de M. Macron : déna­tu­rer la démo­cra­tie sociale en déni­grant le syn­di­ca­lisme… Même la si com­pré­hen­sive CFDT n’a plus droit aux visites noc­turnes à l’Elysée pour « arran­ger les affaires ». A Air France, elle a même sou­te­nu le « Oui » au réfé­ren­dum pour démon­trer ses bonnes inten­tions. Elle aus­si a été ain­si désavouée!

Le fait de rem­pla­cer des « négo­cia­tions » par des « concer­ta­tions », celui d’annoncer avant toute ren­contre avec les syn­di­cats que « la réforme n’est pas négo­ciable, peut être quelques moda­li­tés… », visent à affai­blir la repré­sen­ta­tion syn­di­cale par­tant du prin­cipe que les syn­di­cats ne pèsent pas grand-chose en France.

Erreur magis­trale ! Eh oui, le nombre d’adhérents est moindre en France qu’ailleurs pour des rai­sons his­to­riques. Et pour­tant, les syn­di­cats ont plus d’adhérents que les par­tis poli­tiques, dix fois plus ! La vraie force des syn­di­cats se mesurent lors des élec­tions pro­fes­sion­nelles. Même s’il y a des reculs, la repré­sen­ta­ti­vi­té des syn­di­cats est indéniable.

Et sur­tout, les syn­di­cats fran­çais, mal­gré leur désas­treuse divi­sion, ont une capa­ci­té de mobi­li­sa­tion que leur envient les autres syn­di­cats européens.

La réponse des sala­riés d’Air France est cin­glante pour le pou­voir et les médias : mal­gré une pres­sion insup­por­table, ils ont appor­té leur sou­tien aux syndicats…

La tyran­nie de la communication

Le 1er mai mul­hou­sien a été, comme par­tout ailleurs, un beau suc­cès. Plus de monde que d’habitude, beau­coup de diver­si­tés tant géné­ra­tion­nelles que poli­tiques… L’avalanche de mesures sociales injustes frap­pant les plus modestes asso­ciée aux faveurs de plus en plus impor­tantes aux plus riches, engendre un fort mécon­ten­te­ment sur lequel se construisent de nom­breux mou­ve­ments sociaux.

Jusqu’où cela peut-il aller ? Nul ne le sait. Même en mai 1968, per­sonne ne pou­vait ima­gi­ner aller vers 9 mil­lions de gré­vistes sans aucun appel à la grève géné­rale ! Comme per­sonne n’avait pré­vu le raz-de-marée élec­to­ral gaul­liste lors des légis­la­tives du 30 juin avec 394 sièges sur 485, soit plus de 80% des sièges… Et per­sonne non plus avait envi­sa­gé qu’un an après, le géné­ral De Gaulle démis­sion­nait après l’échec du réfé­ren­dum qu’il avait organisé…

Pour­tant, la ques­tion est bien de savoir est-ce que le pré­sident Macron peut aller jusqu’au bout en accu­mu­lant les injus­tices sociales avec l’argument qu’il aurait les pleins pou­voirs que lui auraient offerts son élection.

Dans son ouvrage datant déjà de 1999, « La tyran­nie de la com­mu­ni­ca­tion », Igna­cio Ramo­net reprend les pro­pos de Serge Hali­mi pour qua­li­fier le monde média­tique : « Les médias fran­çais se pro­clament contre-pou­voir. Mais la presse écrite et audio­vi­suelle est domi­née par un jour­na­lisme de révé­rence, par des groupes indus­triels et finan­ciers, par une pen­sée de mar­ché, par des réseaux de conni­vence. Un petit groupe de jour­na­listes omni­pré­sents impose sa défi­ni­tion de l’information-marchandise à une pro­fes­sion de plus en plus fra­gi­li­sée par la crainte du chô­mage. Ils servent les inté­rêts des maîtres du monde. Ils sont les nou­veaux chiens de garde ».

Cette situa­tion s’est dra­ma­ti­que­ment aggra­vée 19 ans plus tard. L’uniformité de l’information est totale dans les grands médias. Ain­si, quand on lit dans le jour­nal L’Alsace que « la grève à la SNCF s’essouffle », un mil­lion d’habitants de l’Est et du Sud-est de la France liront cette infor­ma­tion qui n’en est pas une : c’est un par­ti-pris pour ten­ter de dis­qua­li­fier les syndicats.

Ils se sont donc tous trom­pés quant aux résul­tats de la consul­ta­tion à Air France ; après NOUS avoir trom­pé ! Année après année, les médias et avec eux, (injus­te­ment pour la plu­part) des jour­na­listes perdent la confiance de ceux à qui ils veulent dic­ter la manière de pen­ser et de se conduire.

La créa­tion régu­lière d’une nou­velle presse, indé­pen­dante, alter­na­tive, libre tout sim­ple­ment, per­met de jeter un autre œil sur le monde : mais cette presse est encore bien faible face au neuf mil­liar­daires qui contrôlent les médias fran­çais. Dont pour­tant la toute-puis­sance ne per­met pas d’être le direc­teur de conscience des citoyens : enfin une rai­son d’espérer.

Michel Mul­ler