Très peu en ont entendu parler. C’est comme si la communauté internationale voulait jeter un voile pudique sur une des terribles réalités rencontrée par les migrants. Les médias citent de temps à autres le nombre impressionnants de morts lors des périlleuses traversées de la Méditerranée, mais qui se soucient du devenir des corps. Car tous ne disparaîssent pas dans la mer, certains sont pris dans des filets de pêcheurs, d’autres échouent sur les côtes. Tunisiennes particulièrement. Et c’est là qu’un pêcheur accomplit les actes humanitaires et supplée aux carences des autorités: il enterre les morts. Avec très peu de soutien. Il est venu au Parlement européen à Strasbourg pour témoigner.
Préserver l’humanité des migrants, l’engagement de Chamesddine Marzoug
Mercredi 18 avril 2018, Chamesddine Marzoug est agenouillé devant un corps inerte. Il observe une minute de silence avant de se redresser et de déposer le corps dans une tombe d’appoint, soutenu par son neveu. Tous deux soulèvent la boîte de bois et se dirigent vers les marches du pont. Nous sommes devant le Parlement Européen à Strasbourg lors de l’action organisée en partenariat avec le Collectif pour une autre politique migratoire, le soleil brille et des passants regardent, intrigués, par-dessus le pont.
S’il s’agit ici d’une action fictive avec un mannequin en plastique et une simple caisse pour remplacer le sac mortuaire, la réalité dans la petite ville de Zarzis (Tunisie), à 60 km de l’île touristique de Djerba, est toute autre.
Le travail de bénévole
Depuis 2011 Chamesddine, pêcheur de métier, est volontaire au Croissant Rouge tunisien. Il aide comme il le peut les réfugiés en Tunisie, arrivés par la mer sur des embarcations de fortunes. D’abord bénévole dans les foyers d’accueil de Médine, il sillonne ensuite la région du sud-tunisien : il est, seul, apte à enterrer les corps des migrants décédés. Très rapidement il est appelé à intervenir sur les côtes zarzisiennes. La mer apporte son lot de déchets et parmi eux, déshumanisés, des corps de migrants, noyés en mer.
Ces derniers viennent parfois de loin (Afrique subsaharienne) et ont dû passer par des étapes très douloureuses, notamment en Libye, où l’esclavagisme des réfugiés (parmi d’autres crimes) est murmuré mais pourtant pas dénoncé. Tous risquent leur vie et quittent leur famille, dans l’espoir d’atteindre les côtes européennes. C’est l’American Dream africain.
Alors que les Européens se plaignent de devoir accueillir des réfugiés seulement attirés « par les subventions nationales », Chamesddine les retrouve, morts, échoués, sur ses rives et leur « redonne leur humanité » en leur offrant une sépulture digne. Délaissés par leur pays d’origine, rejetés par l’Europe, inconnus du monde entier, c’est auprès de Chamesddine qu’ils retrouvent un semblant d’humanité.
Le souci des subventions
Cependant le pêcheur est confronté à des problèmes matériels prosaïques qui nuisent à la poursuite de son humble travail. Aidé des pêcheurs et des gardes maritimes zarzisiens, ils n’ont comme moyens que leurs pelles et leur bonne volonté pour enterrer ces corps. La municipalité leur a accordé un espace en bordure de la ville, mais la place vient malheureusement à manquer, alors que le nombre de cadavres échoués est loin de diminuer. Chamesddine rappelle souvent qu’il a sur les dernières années enterré plus de 400 cadavres.
Enfin entendus par les médias et les associations internationales (qui interviennent en Méditerranée pour la plupart depuis 2016), il faudrait aujourd’hui obtenir des subventions qui permettraient d’acquérir un plus grand terrain afin de pouvoir agrandir le lieu qu’on a appelé le « Cimetière des Inconnus ».
Le mardi 15 mai, Chamesddine, aidé d’une trentaine de volontaires européens, a « nettoyé » les sépultures et le cimetière. Le résultat est sans appel. Il n’y a plus de place pour accueillir de nouvelles sépultures. Comment faire pour enterrer les nouveaux corps, si le cimetière est complet? Qui prendra la responsabilité de rendre leur dignité aux migrants et venir en aide à Chamesddine et les autres bénévoles? Si l’action au Parlement Européen est une très belle façon de se faire entendre et témoigne de l’aide qu’est prête à apporter une partie des députés, le temps s’écoule et les fonds sont nécessaires dès maintenant.
La reconnaissance des migrants
L’appel à des subventions qui permettraient également de mettre un nom sur ces corps retrouvés est également lancé. Chamesddine insiste sur le fait qu’il ne s’agit parfois que de corps démembrés, broyés par les moteurs des bateaux. Les dépouilles ne peuvent même pas être acheminées à l’hôpital public de Zarzis, les bénévoles n’ayant aucune voiture mortuaire. Il n’y aucun moyen de les reconnaître ni même de savoir de quel pays les migrants sont originaires. Avec des subventions, il serait possible d’organiser en partenariat avec la Banque des données de prélèvements d’ADN qui redonneraient une identité à ces corps inertes. Il serait également possible de prévenir les familles, dans le pays d’origine, pour qu’elles sachent où se trouvent leurs enfants, cousins, parents.
Si l’Europe ne veut pas prendre la responsabilité d’accueillir les réfugiés, elle se doit, en tant que représentante d’une partie de la population mondiale, de soutenir les pêcheurs tunisiens. Chamesddine Marzoug insiste à donner une « sépulture digne » à ces personnes, alors que ni la Tunisie ni l’Europe n’acceptent d’endosser la responsabilité de leur venir en aide.
Il est de notre devoir à tous de donner les moyens aux hommes qui comme Chamesddine ne renoncent pas à considérer les réfugiés comme des êtres humains.