Tout ronronnait comme un charme, et Fabian Jordan, président de la communauté d’agglomération mulhousienne (M2A Mulhouse Alsace agglomération) un aréopage aussi transparent que taiseux ce soir là, réuni en session ordinaire le lundi 24 septembre 2018 au Parc Expo de Mulhouse, jouait paisiblement sa partition de premier agglomérant. Tel un maître des cérémonies aux accents matois. S’appliquant à rendre les sujets potentiellement abrasifs aussi lisses qu’une peau de chamelle sud-alsacienne. Il y eut toutefois un moment de flottement, voire de malaise, à l’évocation du point 20, consacré au rapport de la cour régionale des comptes sur la gestion des piscines de l’agglomération depuis 2011. Un point attendu par quelques élus, et que Daniel Bux, maire de Sausheim, et chargé du dossier, s’est risqué à déminer aussitôt en évoquant une précipitation à son annonce dans les médias.
3 MORTES SUR ORDONNANCE
Le fait est qu’en dépit de toutes les précautions oratoires, on sait que 3 piscines sont désormais dans le collimateur du bureau de M2A. Pierre et Marie Curie à Mulhouse, les Jonquilles à Illzach, et le bassin d’Ungersheim. Officiellement, il ne s’agit que d’un document de travail. Hormis le bureau de l’exécutif agglomérant, seuls les maires des communes concernées ont été informés des principales dispositions envisagées. Et au sein de l’assemblée, seul Jean-Claude Mensch, maire d’Ungersheim, élu directement affecté par la fermeture envisagée de la piscine installée sur sa commune, a fait clairement état de son opposition à ce projet, le conseil municipal de sa ville ayant rejeté toute idée de fermeture de l’infrastructure communautaire. Quant au maire d’Illzach, présent au bureau de l’assemblée, il a été remarquable de mutisme. Selon toute apparence, la perspective de fermeture de la piscine des Jonquilles ne semble pas mériter son indignation publique.
SÉVICES PUBLICS
Mais rien n’est décidé, répète, la bouche en coeur, l’exécutif de M2A. Pourtant, la sémantique ne trompe pas. Fabian Jordan utilisant d’ailleurs déjà le terme de « réaffectation », s’agissant de la piscine Pierre et Marie Curie.
Précisons d’emblée que le projet n’est pas né voici quelques semaines, mais a désormais le mérite de s’appuyer sur un rapport de 80 pages estampillé le 20 juillet 2017 par la Cour régionale des comptes. Cette somme diffuse une chatoyante terminologie techno-bureaucratique pour illustrer un fait sensationnel, au regard des équipements aquatiques à disposition des 272 000 habitants des 39 communes formant l’agglomération mulhousienne. Les magistrats de la cour financière exposent en effet dans le détail comptable, ce que l’on sait de toute éternité administrative : les services publics, à quelques exceptions près, ne sont pas rentables. Et les piscines, moins que d’autres, ne sauraient échapper à cette loi d’airain budgétaire. D’où le « coût social résiduel » que les collectivités doivent engager, afin de compléter les recettes de chacun des établissements.
DÉGRADATION PUBLIQUE
Évidemment, les disparités budgétaires sont nombreuses entre les centres aquatiques. Certains sont nettement déficitaires, tandis que d’autres le sont à peine moins. Le rapport ne recommande pour autant aucune fermeture. Il note par ailleurs une légère augmentation de la masse salariale entre 2011 et 2013 (passant de 137 à 147 agents chargés du fonctionnement et de la sécurité), mais ce nombre décroît en même temps que M2A décidera d’une consolidation de sa gestion des ressources humaines à ce sujet (en clair, faire des économies de personnel). On passe ainsi à 123 agents dédiés aux équipements pour l’année 2015.
Mais quelques passages du rapport semblent signifier clairement le besoin de mesures drastiques, au regard de la dépense : « La chambre relève qu’un des établissements communautaires [la piscine des Jonquilles], moins fréquenté (10024 usagers en 2015, soit 56 personnes par jour) et fortement déficitaire (-476 787 € en 2015), ne semble plus répondre à sa vocation de service public ». Bigre ! Puisque l’infrastructure est dégradée, la voici qui perdrait donc sa « vocation de service public ». La vision budgétaire de la juridiction financière est certes rigoureuse, mais depuis quand un établissement communautaire perdrait-il cette vocation, au seul prétexte que sa fréquentation fléchirait ?
OUVERTURE EXCEPTIONNELLE LA SEMAINE DES QUATRE JEUDIS
Par ailleurs, comment ne pas s’interroger sur la dégradation délibérée, voire programmée, d’une infrastructure publique, en observant la nette réduction des amplitudes d’ouverture ?
Ainsi, la piscine des Jonquilles est ouverte 3 jours par semaine au public, et uniquement le matin ! Sur l’année, le rapport de la Cour régionale des comptes y comptabilise un total de 180 jours de fermeture par an ! Enregistrer 80 % de chute de la fréquentation en seulement 4 années, cela pourrait légitimement interroger les élus de l’agglomération. Quels sont donc les motifs d’un tel désintérêt ? Pourquoi fermer l’installation 6 mois par an ? Quant à Pierre et Marie Curie, elle n’ouvre ses portes aux particuliers qu’à raison de 19 heures par semaine, et 8 mois par an. Et l’accueil est loin d’être irréprochable…
JE NAGE DONC J’ESSUIE
Mais l’interrogation qui sous-tend l’ensemble de ces questions est celle du consentement à voir disparaître des lieux de sociabilité et d’agrément, qui, s’ils nécessitent des investissements d’importance (Ungersheim a 40 ans, soit l’âge d’un important entretien, la piscine des Jonquilles dépérit à grandes brassées dans l’indifférence générale des élus illzachois, et Pierre et Marie Curie est une infrastructure sans pareil, mais qui coûte cher), relèvent de la nécessité publique (apprendre à nager c’est très utile), et du bien-être collectif (se relaxer, ou pourvoir simplement à son hygiène quand on est pauvre ‑fonction première de Curie‑, c’est essentiel).
Pourtant, à l’heure d’un consumérisme frénétique et égocentré, toutes les familles sont loin de disposer des moyens, ni même de l’habitat nécessaire pour se bâtir une piscine privative en dur, voire même une simple installation temporaire. Et c’est heureux, eu égard à la soutenabilité écologique qu’une telle perspective supposerait !
Alors ce projet de fermeture n’assure‑t-il pas la persistance, ou la droite continuité d’une ligne frontière, qui aurait une fonction sélective, tant géographiquement que sociologiquement ?
A BOIRE ET A NAGER
Il se trouvera donc, d’une part, les installations intégrées, type centre nautique, vouées essentiellement à l’agrément des classes moyennes, de construction récente, et si possible desservies par une bretelle autoroutière (centre nautique de l’Île Napoléon, centre nautique Aquarhin à Ottmarsheim, ainsi que le projet de nouvel équipement du « bassin potassique », dont on sait, secret de mauvais polichinelle, qu’il sera construit, s’il l’est effectivement, sur une friche de Wittenheim).
A ceci s’ajoute une installation publique (qui a coûté 5 millions d’euros) vouée à l’élite sportive et/ou aux 2000 membres du club « Mulhouse olympic natation » qui le gère, à des tarifs socialement discriminants (à partir de 240 euros + prix de la carte par an minimum pour 1 créneau par semaine).
Poursuivons notre croisière sur pataugeoire en considérant des établissements chargés d’accueillir le tout-venant mulhousien, et dont l’un croule sous la demande, un peu trop-venante. La piscine de l’Illberg draine à elle seule 25 % des recettes totales, et sa fréquentation a bondi de 115 % entre 2011 et 2015 ! Le stade nautique qui date de 1962, et dont il est question de recouvrir à très grands frais l’un des bassins… afin de suppléer à l’insuffisance d’infrastructure mulhousienne ! A Mulhouse encore, mais moins fréquentée (notamment parce que fermée durant toutes les vacances scolaires), la piscine Pierre et Marie Curie, centrée sur la forme et le bien-être, souffre de se situer dans un hors du temps proustien. Pour partie classée à l’inventaire des monuments historiques, couverte de mosaïques et de cuivre, équipée d’une chaudière à charbon (comme s’il était impossible d’en changer ?), et ne laissant pas même une large place à la bagnole ! Le rapport de la Cour régionale des comptes semble d’ailleurs complaisant par moment à son égard : « l’effectif le plus important est celui de la piscine Curie, avec 32 ETP [emplois à temps plein] en 2015, soit 25% de l’effectif total des piscines. Son équipe d’entretien, qui compte 17 personnes, et les 6 agents chargés de la maintenance des installations techniques, sont justement dimensionnés au regard des contraintes architecturales de l’édifice ». Le charme intemporel du hammam aura-t-il endormi l’acuité budgétaire de nos magistrats financiers ?
Enfin, hormis les deux petites piscines d’initiation (Bourtzwiller et Illzach), il se trouve les Jonquilles, dont la vocation fut le loisir sportif, et qui a pour déshonneur de se situer dans un quartier populaire d’Illzach (donc pourquoi la défendre ?). Elle disparaîtra donc, à défaut de soutien financier et politique. Quant à la petite structure d’Ungersheim, elle accueille notamment un public scolaire, ne coûte pas cher au regard des autres équipements, connaît une hausse de la fréquentation, mais elle sera fermée ! Sans doute pour rendre hommage au village en transition écologique qu’est Ungersheim, M2A préfère sans doute voir transiter sa clientèle vers les équipements aquatiques derniers cris disponibles à Guebwiller (c’est à dire hors M2A), en attendant la piscine-tout-bagnole de Wittenheim, auprès de laquelle on se rendra au futur cinéma-multiplexe-tout-bagnole de Wittenheim !
Une phrase du rapport de la Cour régionale des comptes rappelle pertinemment à nos élus que : « l’analyse des causes des variations de fréquentation pourrait être utile à l’agglomération ». Oui, mais non merci, semble répondre l’écho. Peut-être parce qu’ils ne fréquentent que leur piscine ?
NOUVELLES NEUVES
Le plan piscine a été précipité, à la suite des « fuites » irréparables projetées jusque dans les médias. On vient à peine d’apprendre, de source autorisée (« L’Alsace » du 10 novembre 2018), que les faits honteusement allégués par des journalistes stipendiés par leurs lecteurs… se confirment ! Un vote du conseil communautaire entérinera le plan le 5 novembre 2018. La « réaffectation » est donc engagée pour Pierre et Marie Curie, les Jonquilles sont condamnées du fait d’une gestion « sensible » et d’un « intérêt » qui « pose question ». C’est le moins que l’on puisse dire, dès lors que l’on choisit de fermer un établissement 180 jours par an. Enfin, la piscine d’Ungersheim, qui n’a que ses 40 ans de service à se reprocher, laissera place à la nouvelle horreur-dédiée-au-tout-bagnole-dans-une-zone-commerciale (de Wittenheim) mentionnée plus haut. Bref, on a bien la tête sous l’eau à M2A !
P.S. Ami-e‑s entends-tu ? Le combat ne fait que s’amorcer. Voici qu’une conspiration chlorée se lève et marche sur Mulhouse, dans le but de sauvegarder la piscine Pierre et Marie Curie ! Voici un lien vers une pétition d’opposant-e‑s à la fermeture de l’établissement:
bonjour
je ne sais qui a écrit cet article mais il manque une partie du débat sur les piscines à la M2A, vous y étiez ?? si oui vous n’avez pas pu manquer mon intervention…
cordialement,
Cléo Schweitzer
Bonjour,
Oui, nous y étions ! Vous avez effectivement souligné que la fermeture de PM Curie posait problème, mais il n’y a pas eu de vrai débat, puisque D. Bux n’a cessé de botter en touche. JC Mensch (maire de Ungersheim), que nous avons rencontré quelques jours avant l’annonce précipitée de D. Bux, ne croyant pas même que le plan était déjà arrêté… Le vrai débat ayant eu lieu au conseil municipal de Mulhouse, le 18 octobre 2018, porté effectivement par votre motion. Cordialement.