J’ai reçu la semaine dernière un courrier du facteur, m’avisant que j’étais destinataire en instance d’un courrier recommandé. Mon incoercible curiosité, doublée d’une sainte horreur pour les mauvaises surprises dont ces missives comminatoires sont porteuses en général, me pousse toujours, en pareil cas, à scruter minutieusement la provenance de la correspondance, en me servant du code barre de suivi.
Je découvre alors avec surprise que le code alphanumérique, flanqué sur ma lettre d’avisement, commence et se termine par deux lettres. C’est inhabituel, car d’ordinaire un recommandé commence par un chiffre suivi d’une lettre puis de onze chiffres. Ici, les deux dernières lettres m’apparaissent significatives : IT.
Là, j’en suis sûr, le recommandé vient d’Italie, le pays d’origine de mes parents, dont je suis resté titulaire de la nationalité, au même titre que la citoyenneté française, que je revêts depuis ma naissance.
L’évidence m’apparut alors, avec l’assurance inepte du bouffeur de pâtes qui ajoute de l’huile dans l’eau de cuisson, et s’en gargarise avec l’eau de vaisselle. Ce doit être le protofasciste Salvini, sinistre de l’Intérieur de Ma Botte, qui vient m’annoncer le déchoiement de ma transalpinité ancestrale, à coup de pied dans le postérieur, et le bras tendu jusqu’à son reliquat de cervelet. Bien fait pour ma dégaine de binational à matrice culturelle gauloise !
Le lendemain, en ouvrant ledit courrier, sujet de tant de conjectures politico-fantasmatiques, je découvre en effet une communication émanant du ministère de l’Intérieur italien. Mais il s’agit d’un certificat d’autorisation de vote aux élections européennes 2019, envoyé par la direction centrale des services électoraux basée à Rome, avec en-tête du Consulat général d’Italie située à Metz (Mulhouse ne disposant plus que d’un « guichet consulaire », sans grandes prérogatives et surtout sans présence d’un Consul).
Le feuillet m’informe de ce que je suis autorisé, en me munissant du talon au bas de la page, à prendre part au vote pour l’élection des membres du Parlement européen relevant de l’Italie, qui aura lieu vendredi 24 mai entre 17 et 22 heures, et samedi 25 mai de 7 à 18 heures. Le lieu de vote étant situé au gymnase du Norfeld, 43 avenue Alphonse Juin, à Mulhouse.
Modérément surpris par tant de formalisme, les italiens entretenant une passion équivoque pour les rituels bureaucratiques, je m’apprête à jeter le document, car il ne me viendrait pas à l’esprit de voter ailleurs que dans le cher pays de mon enfance, et celui de mes ancêtres : la France. Mes parents étant en effet inhumés en Alsace.
Mais voilà que, tournant machinalement la feuille avant de la déchirer, je m’aperçois qu’il y figure un titre étonnant : « come si vota ? », c’est-à-dire « comment on vote ? ». Saisi par tant de sollicitude à l’égard du citoyen électeur italien que je pourrais me résoudre à devenir, je me dis que le rituel de l’isoloir doit revêtir, dans la péninsule, une forme sacrée et prodigieuse. Qui nécessiterait des préventions et un protocole extrêmement réglé. Peut-être matérialisé par une révérence, inspirée par la grâce de la démocratie représentative bicamérale, devant un président de bureau de vote thaumaturge, qui viendrait me confesser à l’entrée du temple de l’expression citoyenne, puis oindre gracilement mon crâne de vaseline, de sorte à préparer mes sens à la prochaine enculade électorale ? Mais rien n’est moins sûr.
Je me mis à lire intégralement le texte au dos, formé de 8 paragraphes, puis commençai soudainement à m’autodissoudre, ce qui provoqua instantanément la chute de mon corps élégant du haut de l’armoire où je l’avais perché le matin même.
Ce que je lisais était en réalité un exercice d’une bravoure masochiste inouïe, qui rendait immédiatement caduque le principe du suffrage universel, et transformait en pantalonnade le spectacle de religiosité électorale à la morbidité savante, où l’urne sacrée ne servirait plus qu’à recevoir les déjections mafieuses.
On m’objectera que bien des rituels électoraux à travers le monde souffrent d’être passablement douteux, voire simplement crapuleux. Certes, mais on le sait assez pour le souligner, ou le dénoncer vertement. Y compris lorsque le ridicule électoral affecte les démocraties supposément achevées et surpuissantes, à l’instar des États-Unis. Comme ce fut le cas en 2000, et la première élection-nomination de George Walker Bush, moins par le peuple souverain, que par les juges de la Cour suprême.
Mais le fait demeure que l’on connait très peu les détails prosaïques des bureaucraties électorales qui ornent le quotidien aplani des citoyens européens. Si bien que cela ne sert pas vraiment d’amuse-bouche politique aux éditocrates de l’un quelconque des pays de l’Union, qui préfèrent se persuader que tout est sacrément bon dans les cochonnailles électorales.
A ce titre, on ne saurait pas plus soutenir que le modèle français fut l’un des plus exemplaires. Comparé à la pratique italienne, il est confondant de simplicité. Mais il y existe également des situations insupportablement scandaleuses, dont Mulhouse, est, une fois n’est pas coutume, l’une des meilleures représentantes. En tant que propriétaire et utilisatrice désespéramment obstinée d’« ordinateurs de vote », totalement obsolètes technologiquement, et aisément piratables, lesquels bafouent le fondement démocratique par toutes les fentes imaginables.
Pourtant, pour en revenir à notre bella Italia, il se trouve que l’on y assiste à une expression paroxystique du ridiculisme électoral en phase terminale. A point tel que l’on peut justement se demander si elle n’a pas été ourdie par quelque parlementaire apostat, travaillant en réalité pour les bons soins de l’internationale libertaire !
Jugez-en plutôt:
Pour exprimer sa préférence démocratique, l’électeur italien doit:
1° Préalablement tracer une croix dans la case spécialement prévue à cet effet sur la liste de son choix, en utilisant exclusivement un crayon de papier (effaçable !).
2° Ce faisant, il doit ensuite choisir 1, 2 ou 3 candidats de son choix présents sur la liste présélectionnée.
3° Une exception : une liste relevant d’une minorité linguistique ne peut faire l’objet que d’une seule préférence en terme de candidature.
4° Pour manifester ses préférences en terme de personnalité, l’électeur doit renseigner, à proximité de la croix qu’il a tracé pour sélectionner la liste ayant sa préférence, le nom et le prénom du candidat
5° Il peut décider de n’apposer que le nom ou, le cas échéant, les noms du ou des candidat(s) ayant sa préférence.
6° En cas de similarité patronymique au sein d’une liste, l’électeur doit apposer le nom et le prénom du ou des candidats, assorti cette fois de la date et du lieu de naissance de chaque candidat choisi !
7° En cas de sélection multiple de candidats, l’électeur doit s’astreindre à alterner sexuellement ses préférences, de sorte à respecter le principe de parité !
8° Si l’électeur ne respecte pas le point 7, il s’expose à voir annulé ses préférences n°2 et n°3
9° Cela n’est pas précisé dans le mode d’emploi mais, de source bien informée, il apparait que l’électeur doit se présenter en connaissant de mémoire l’orthographe des noms des candidats, ainsi que leur âge, sauf à voir annulé son choix en cas d’erreur de transcription !
10° Cependant, en cas de doute, les listes, les noms et caractéristiques des candidats admis dans la circonscription pour lesquels l’électeur a le droit de voter, figurent sur une affiche apposée dans le bureau de vote.
11° Enfin, avec un sens affuté de l’incohérence juridique dont l’Italie conserve jalousement le secret, le fait de voter à la fois pour la fraction italienne du scrutin européen et pour la fraction d’une liste du pays d’accueil dans lequel le ressortissant italien est installé, est passible d’une peine de 1 à 3 ans de prison et de… 51 euros d’amende (et au maximum de 258 euros) !
Des situations toutes susceptibles de générer des biais socio-éducatifs d’importance entre électeurs, provoquant des nullités en nombre, eu égard à la complexité de la procédure de vote. Un mode de scrutin qui ne concerne que la circonscription des italiens de l’étranger, sachant que des variantes existent pour les italiens vivant dans la péninsule…
Le résultat se vérifie notamment à la dernière élection européenne de 2014, où les votes nuls dépassaient les 5% en Italie, contre un peu plus de 1% en France. A ce sujet, la dernière loi électorale italienne date de 2017. Une précédente avait été instaurée en 2015, et se nommait « Italicum », mais les italiens la nommait « Porcelum », c’est à dire peu ou prou « loi des porcs »…
Je ne sais pas ce qu’il en serait pour vous en pareil cas, mais il me parait assez clair que l’exercice de haute volée gymnastico-institutionnelle décrit ci-dessus ne fait pas tout à fait le poids face à une bonne partie de pêche…
A moins de considérer qu’un rituel démocratique, formalisé jusqu’à l’absurde, doive être préservé pour lui-même. Toujours est-il que l’élection ne fait certainement pas la qualité démocratique pour autant, comme on le constate empiriquement à travers le monde. Et quelle qu’elle soit, l’élection nationale ne constitue que l’une des modalités du politique. Les résistances actives, légales ou extra-légales, les protestations, occupations, manifestations, en sont d’autres. Quelquefois moins légales, mais aussi légitimes en soi.
Une anecdote pour conclure cette pignolade électorale. On dit que l’humaniste et philosophe Érasme aurait « emprunté aux gens du commun » l’expression: « le poisson pourrit par la tête », pour signifier « les mauvais princes, dont la contagion infecte le reste de leur peuple ». Ne laissons pas nos élus supposément représentatifs abimer ou ridiculiser le principe démocratique et social dans son ensemble, car il est à craindre que l’on ne fasse pas de meilleure pêche…