Enregistrée le 20 mai par la Présidence de l’Assemblée nationale cette résolution a été proposée par des députés – dont Monsieur Bruno Fuchs député de la 6ème circonscription du Haut Rhin – et vise à« lutter contre l’antisémitisme ».
Après un rappel de l’augmentation statistique des actes antisémites en France elle développe l’assimilation de l’antisionisme à une nouvelle forme d’antisémitisme:« Si le vieil antisémitisme français a subsisté, de nouvelles formes se sont développées et avancent « aujourd’hui masquées » lit-on dans l’exposé des motifs.
Dans ces motifs la résolution se réclame du travail réalisé par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste qui a proposé une définition « opérationnelle » de l’antisémitisme,dite I.H.R.A.
Elle cite le Président de la République: « il s’agit de préciser et raffermir les pratiques de nos forces de l’ordre, de nos magistrats, de nos enseignants, de leur permettre de lutter contre ceux qui cachent derrière le rejet d’Israël la négation même de l’existence d’Israël ».
Après le retrait d’une proposition de loi visant à interdire l’antisionisme le 19 février revoilà donc une nouvelle tentative d’instrumentalisation de la lutte, évidemment légitime et nécessaire, contre l’antisémitisme par la mobilisation contre « l’antisionisme », qui serait donc le faux – nez d’un nouvel antisémitisme.
S’il ne s’agit pas de nier l’existence et la gravité des actes antisémites – même si les évolutions statistiques citées ont pu être contestées – il convient par contre de dénoncer sans hésitation l’assimilation de l’antisionisme à de l’antisémitisme:
- l’antisionisme est certainement la condamnation de la politique d’occupation, de répression massive, de colonisation, de déni du Droit et des droits de près de 3 millions de Palestiniens de Cisjordanie occupée poursuivie depuis plus de 70 ans par l’État hébreu
- l’antisionisme est certainement la condamnation du mépris absolu de L’État d’Israël pour le Droit international rappelé par plus de 240 résolutions onusiennes, dont il n’a jamais respecté une seule en 70 ans d’existence
- l’antisionisme est certainement la condamnation des crimes de guerre dont se rend régulièrement coupable ce même État, notamment en imposant un blocus quasi complet aux 2 millions de Palestiniens vivant dans une bande de Gaza qui devrait être absolument invivable d’ici peu d’années, toujours selon les rapports onusiens.
- l’antisionisme est certainement la demande du respect du droit au retour de près de 7 millions de réfugiés vivant à ce jour à l’étranger après, notamment, la « Nakba « (catastrophe) qui a vu près de 700 000 palestiniens expulsés de force de leurs villages, chassés de leurs terres ancestrales en 1948, lors de la guerre israélo ‑arabe.
- l’antisionisme est aussi une interrogation forte sur le caractère supposé démocratique d’un État israélien qui a officialisé le 19 juillet 2018 son caractère d’ « État-Nation du peuple juif » par une loi fondamentale votée par son Parlement…et donc officialisé les discriminations dont sont victimes près de 20% de sa population, non juive.
- l’antisionisme est aussi le refus de voir la Ville de Jérusalem annexée par le seul État israélien, encore une fois au mépris des droits palestiniens sur une partie de la ville, mais également au mépris des accords organisant le statut particulier des Lieux Saints pour plusieurs religions.
L’antisionisme c’est aussi, et peut être surtout, de rappeler que la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCH), désignée par la loi de puis 1990 comme rapporteur national indépendant sur la lutte contre le racisme sous toutes ses formes, a publié en avril 2019 son rapport complet exprimant son opposition à la définition de l’IHRA de l’antisémitisme pris comme critique du sionisme.
La Commission a notamment rappelé que la tradition française ne définit pas chaque forme de racisme, égaux en indignité, et dénonçait justement le risque d’ouverture de la boîte de Pandore encourageant d’autres groupes victimes de racisme à revendiquer une pareille reconnaissance (islamophobie, négrophobie, romaphobie, etc..).
Elle pointait également le risque d’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme et de qualification de « raciste » de la critique légitime d’un État, de sa politique, droit fondamental que les opposants au gouvernement israélien essaient de mettre en oeuvre dans un pays qui oublie de plus en plus les principes fondamentaux de la démocratie .
Pas trace d’antisémitisme dans ces constats, ou si ?
Les représentants des colons israéliens officiellement reçus par Monsieur Sylvain Maillard – député porteur de la résolution – la veille de la présentation à l’Assemblée nationale de cette résolution sont par contre des acteurs et des représentants actifs d’une politique que le droit international qualifie de crime de guerre.
Les députés français qui ont signé cette proposition de résolution contre l’antisémitisme sont, dans le meilleur des cas, manipulés par un État étranger.
Ils sont, consciemment ou non, acteurs d’une instrumentalisation du combat contre le racisme.
Ils contribuent, consciemment ou non, à aggraver des tensions intercommunautaires dans notre pays, à y importer un conflit qui n’a que trop duré.
Le combat contre le racisme sous toutes ses formes (dont l’antisémitisme) est l’affaire de l’État et de la société civile et d’eux seuls. Les interférences et tentatives de manipulation d’un État tiers, Israël en l’occurrence, ne sauraient être tolérées.
L’adoption de cette définition IHRA est un élément important de la stratégie israélienne de communication pour la justification de sa politique.
Son adoption par le Parlement européen le 1er juin 2017 s’est déjà traduite par une invitation aux États membres à adopter cette définition; les conséquences en matière de liberté de réunion, de multiplication d’attaques personnelles dans des grands pays européens qui s’y référent sont déjà sensibles (Grande Bretagne, Allemagne…).
Mieux, si l’on peut dire, la définition de IHRA s’accompagne souvent d’exemples proposés …qui font très largement référence à l’État d’Israël.
Certains des députés qui ont signé cette proposition de résolution ont depuis retiré leur signature (pas Monsieur Fuchs à notre connaissance).
Même des députés de la LREM hésitent à cautionner cette résolution.
Ce qui est en jeu est notre liberté d’expression, notre capacité de citoyens responsables à distinguer antisionisme comme dénonciation de politiques condamnables d’un État et antisémitisme véritable, expression d’un racisme insupportable.
Ce qui est en jeu c’est de pouvoir contester librement une politique de l’État israélien qui a renoué officiellement avec l’apartheid et intensifie sa politique de négation des droits du peuple palestinien.
Faire savoir ce qui se cache derrière cette proposition de résolution « visant à lutter contre l’antisémitisme » est un impératif !
Pour découvrir le nom des députés alsaciens signataires de la résolution, vous pouvez vous référer à notre précédent article consacré au sujet.