C’est un petit miracle que l’on voit survenir par intermittence à Mulhouse : des organisations ou partis, de gauche ou progressistes, bien trop modestes pour former des chapelles, cheptels, écuries, ou autres animaleries, acceptent lucidement de s’unir sur la base d’une plateforme programmatique commune.
Le tour de force, que l’on n’est pas près de voir se réaliser ailleurs, mobilise les militants de La France insoumise, Europe-écologie, Générations, le Parti communiste, Place publique, Alternatives et autogestion, ainsi que des citoyens et citoyennes de la société civile. Cela dans un contexte local où la droite mulhousienne est quant à elle morcelée entre plusieurs listes.
Afin d’annoncer la mère des batailles municipales, les tenants de la “cause” organisaient samedi 16 novembre 2019 une première conférence de presse dans leur local de campagne de l’avenue Kennedy, après un tractage au marché couvert. Pour Loïc Minery, tête de liste « Mulhouse cause commune », le souci est d’abord de fédérer les énergies au service d’une ambition populaire, assez conséquente en matière de contenus.
La première parmi celles-ci étant de constituer un ensemble représentatif de la population, au sein d’une ville qui rassemble à elle seule 40% des haut-rhinois. Un chantier en cours, car la liste n’est pas totalement constituée.
Il est vrai que la sociologie de la cité du Bollwerk plaide pour l’audace politique et populaire, seule capable de faire face à l’hydre du RN. Elle est d’ailleurs rappelée par Joseph Simeoni (PCF) : une ville jeune avec plus de 68 000 habitants sur 105 000 qui ont moins de 39 ans, majoritairement peuplée d’ouvriers et d’employés, et soumise à d’immenses difficultés d’exclusion et de chômage.
Loïc Minery insiste sur la nécessité du rassemblement pour une réelle alternative, par opposition « aux jeux de chaises musicales » et aux pratiques de cumulards à droite.
Et l’heure est plutôt à l’urgence, car les fondamentaux de la ville restent inquiétants : près d’un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. D’où la transposition envisagée du dispositif « zéro chômeur de longue durée », initiée à l’origine par ATD-Quart Monde, ou la création d’un revenu social garanti, histoire de redonner du « pouvoir de vivre » et du « bien commun », à des personnes qui ont à renouer avec une forme d’existence sociale et de fierté. Laquelle passe également par une action sur la pénurie de logements disponibles, leur qualité et la présence en nombre de sans-abris.
A ce sujet on peut utilement découvrir ici une carte de la vacance des logements à Mulhouse, parue dans notre article consacré à l’immeuble Almaleggo.
Loïc Minery évoque par ailleurs la crise des urgences qui frappe Mulhouse de plein fouet depuis de longs mois (8 médecins en ce moment, contre 3 fois plus à Colmar), avec une menace de fermeture à la clé, et la nécessité d’un resserrement du maillage médical au sein des quartiers, par une politique incitative, afin ne pas voir se constituer un flux de transit sanitaire vers les hôpitaux suisses…
La réflexion se poursuit sur les enjeux de l’autonomie alimentaire pour l’ensemble d’un territoire, supérieur à celui de Mulhouse, avec relocalisation des activités maraichères, bonnes pour l’emploi et la santé, au travers notamment des jardins partagés.
En matière industrielle, Minery dénonce la variable d’ajustement constituée par les intérimaires : plus de 1000 parmi eux ayant vu leur mission se conclure à l’usine PSA de Mulhouse. Mais le candidat soutient cependant ne pas renoncer aux activités productives, dès lors qu’elles servent les domaines sociaux et environnementaux.
La responsabilité de la ville devant être proactive auprès du constructeur automobile. D’où la proposition de générer une industrie sur le modèle de l’économie circulaire, ou des filières de recyclage des véhicules. Le candidat précisant clairement que le véhicule électrique ne résoudra pas à lui seul les problèmes de pollution, mais les déplacera.
A propos de pollution et de qualité de l’air, Loïc Minery plaide pour la gratuité des transports [NDLR un sujet y sera d’ailleurs consacré dans le troisième numéro de notre version papier], au moins à titre expérimental, et en coordination avec les communes desservies. De même qu’il propose une politique des mobilités actives, autour du vélo notamment. Ce qui supposera des débats soutenus avec les élus de l’agglomération en matière d’aménagements.
Cela lui permet de rebondir pour fustiger la mésentente entre la ville centre et l’agglomération, au motif d’ambitions individuelles, en visant explicitement Jean Rottner.
Car il s’agit de: “changer de logique envers l’agglomération. Non pas de paraitre gestionnaire, mais de répondre à des situations d’urgence“.
Jean-Yves Causer, d’Alternatives et autogestion, rappelle que la logique d’écoute des membres de la liste est d’abord le produit de sa diversité, ainsi que de l’association de multiples sensibilités politiques, ce qu’appuie également Nadia El Hajjaji de Générations, en plaidant pour la co-construction, la lutte contre la précarité, et en escomptant sur la participation de la jeunesse, notamment celle qui n’est pas spontanément disposée à se mobiliser pour voter.
“La notion de « communs » c’est ce que possèdent les gens qui n’ont rien“, intervient Joseph Simeoni, en pointant les grands services publics que sont l’Éducation nationale ou l’Hôpital, qui doivent être renforcés, en conformité avec la réalité sociologique de Mulhouse, et en osmose avec des habitants, qui se désespèrent de la démocratie…
Isabelle Maurer, illustre inconnue du monde associatif mulhousien, portait la voix des citoyens engagés (volontairement) dans le bénévolat, qui veulent renouer avec la politique. Elle se présente non comme une professionnelle de la politique, mais comme “une professionnelle du partage”. Dénominateur commun de la liste, selon elle, à défaut de quoi elle ne s’y retrouverait plus.
Quand on signale, enfin, à la tête de liste, que le projet proposé est pour le moins ambitieux, et que tout ne relève pas de la compétence municipale, Loïc Minery déclare qu’il ne faut pas s’interdire d’établir des rapports de force, et d’exiger des mesures fortes, auprès des représentants de différents niveaux politiques et administratifs.
Alors, l’union dans la diversité serait-elle une martingale politique, réellement capable de mettre à mal l’attelage d’un Rottner ?
Beaucoup dépendra de la dynamique à l’oeuvre, et de la cohérence globale du programme porté par la plateforme. Quoi qu’il en soit, elle semble vouloir marcher sur 2 pieds matriciels, qui devraient prévaloir sur toute politique publique, dès lors que l’on veut s’inscrire dans le temps long: la transition écologique et la justice sociale.
A ce titre, le porte parole d’Europe-écologie Alsace ponctue presque inconsciemment son intervention par un: « il est temps d’aller au charbon ». Une recommandation sans émission de carbone, mais socialement énergique. Reste encore à faire vrombir le moteur…