L’audience a été reportée au 17 mars à 8h30
Le 21 janvier à la Cour d’appel de Colmar, le principal journaliste indépendant de la page Facebook « NTV68 » passera en jugement une nouvelle fois.
Il fut condamné le 9 septembre 2019 en première instance, pour diffamation envers Antoine Homé, maire de Wittenheim, vice-président de M2A, et Fabian Jordan, président de M2A.
Lieu d’échange informationnel de proximité de plus en plus consulté, avec près de 38 000 personnes qui suivent régulièrement sa production, il a pour mode de fonctionnement quasi exclusif de s’appuyer sur le dispositif « Facebook live », proposé par le réseau social, et qui permet de diffuser de la vidéo en direct, depuis l’évènement couvert, et sans aucune forme de montage ou de post-traitement (à de rares exceptions près).
Ce parti pris « éditorial » n’en est certes pas vraiment un, de sorte que ce sont les choix en amont, privilégiant l’actualité sociale ou les sociabilités festives, et l’humanité des personnes de manière générale, qui prévalent pour l’équipe, sans compter la technique de diffusion centrée sur la spontanéité, qui prime sur toute autre considération.
Expression (trop) directe
Pourtant, lorsqu’il suit de près le mouvement des gilets jaunes, entre la fin 2018 et l’année 2019, le média est rattrapé par la justice, précisément en raison de son modus operandi.
Le 1er décembre 2018, le journaliste filme la manifestation des gilets jaunes présents sur le rond-point du Kaligone, à Kingersheim, pendant 47 minutes.
Comme il le fait habituellement, le journaliste interpelle l’un d’entre eux, qui pendant 7 minutes environ, expose ce qu’il appelle « une escroquerie » liée à la taxe d’enlèvement des ordures (TOM), dont serait coutumière M2A, sous le couvert de Fabian Jordan, son président, et Antoine Homé, en tant que vice-président en charge des finances.
Bien que cela ne soit pas dit explicitement, la personne interpellée fait référence à des informations sujettes à caution, qu’elle a dû lire dans des journaux comme « Capital ». Un article parait en effet le 12 juin 2018 à ce sujet. Il est titré : « Taxe ordures ménagères : votre maire vous gruge-t-il ? ». Co-écrit par Claude Jaillet, expert-comptable honoraire et coauteur de l’article, il y expliquait notamment que « le comptable public ferme les yeux » sur une comptabilité« non sincère ».
Le magazine régional « Hebdi » relaie l’information ou encore L’Alsace, qui y a consacré plusieurs articles, centrés sur M2A.
Le 21 juillet 2018, notamment, L’Alsace y consacrait un article intitulé : « Fact-checking : Non, M2A ne se fait pas (trop) de beurre avec vos poubelles », dans lequel le journaliste excluant l’idée d’une escroquerie, conclura toutefois son article, après de nombreuses interrogations, et comptes publics de M2A à l’appui, par : « Arnaque ou pas, il est vrai qu’il est difficile de connaître le coût réel du ramassage des ordures ».
Dans le même article, Antoine Homé concédera lui-même que : « l’annexe présentant les chiffres par fonction est faite sommairement ».
Bref, la façon dont le membre des gilets jaunes présente le problème peut être biaisé, mais les questions relatives à la taxe demeurent légitimes, et d’intérêt public, puisque les réponses apportées restent imprécises.
Le problème du mode de financement et de la répartition de cette taxe n’est d’ailleurs en rien nouveau, et concerne l’ensemble des collectivités françaises, comme en témoigne le reportage diffusé par France 2 en septembre 2019, intitulé: « Ordures ménagères, quand la taxe déborde », dans lequel des citoyens obtiennent par ailleurs des remboursements de trop-perçus en lien avec ladite taxe :
Condamnation du messager… par solidarité avec l’émetteur du message !
En dépit de toutes les considérations détaillés plus haut, et du fait que le journaliste de NTV68 répète à plusieurs reprises à son interlocuteur, au cours du direct, que l’accusation est grave de conséquence, le média Facebook, pris en la personne physique du journaliste ès-qualité, considéré comme « directeur de la publication », alors que la page est gérée collectivement par une association, est condamné par le TGI de Mulhouse, le 9 septembre 2019, solidairement avec le gilet jaune, pour diffamation.
Il doit, en matière de réparation, verser plusieurs centaines d’euros à Antoine Homé, et 1 euro symbolique à Fabian Jordan.
Pour sa défense, Jeanne ROTH, son avocate, fera appel à l’article 93–3 de la loi du 29 juillet 1982 qui dispose qu’un directeur de publication doit être poursuivi : « lorsque le message incriminé a fait l’objet d’une fixation préalable à sa communication au public ».
Autrement dit, l’animateur du média serait passible de poursuite judiciaire dès lors qu’il aura enregistré l’émission puis aura décidé de la diffuser. Ce qui n’est évidemment pas le cas ici.
Une jurisprudence datée de juin 2015, issue de la chambre criminelle de la Cour de cassation précise à ce titre que :
« S’agissant de la responsabilité du journaliste et du directeur de la publication, lorsqu’un organe de presse recueille les déclarations d’une personne et les publie, sous forme d’interview, dons ses colonnes, il ne saurait répondre des propos tenus par la personne qui a été ainsi été interrogée.
Et il lui suffit, pour établir sa bonne foi, de justifier qu’il était légitime de susciter les déclarations de la personne concernée et de les porter à la connaissance de ses lecteurs, dès lors qu’il est clair pour les lecteurs qu’ils ne prennent pas connaissance du fruit d’une enquête journalistique sérieuse et complète sur les faits évoques dans l’interview mais du seul point de vue subjectif de la personne qui s’exprime.
Cette exonération de responsabilité est notamment soumise à la condition que leurs déclarations ont été exactement retranscrites, sans erreur ni dénaturation »
Des ordures, et des manières d’y remédier en tant que journaliste
Il y va donc de l’exercice même de la fonction de journaliste que de pouvoir interroger une personne librement, sans devoir répondre personnellement des propos diffamants qu’elle pourrait éventuellement formuler devant vous !
Quant au sujet de fond, la taxe d’enlèvement des ordures et sa fixation par le comptable public, il est bien légitime et d’intérêt public, ayant notamment été repris par de nombreux journaux régionaux et nationaux.
Outre l’intérêt public à exposer de telles problématiques de gestion publique, l’animateur de NTV68 a agi en toute bonne foi, avec circonspection, et sans animosité personnelle pour les élus de M2A.
La presse alternative, qu’elle soit professionnelle ou non, a besoin de bénéficier des garanties juridiques notamment assurées par les lois et les jurisprudences sur la presse.
De même que la Cour de Cassation a relaxé en 2016 un journaliste et son directeur de publication, au motif que le journaliste s’est borné à retranscrire des propos émanant d’une personne qui, n’étant pas journaliste, n’était pas soumis aux mêmes exigences qu’un professionnel de l’information, la Cour Européenne des Droits de l’Homme considère également depuis 1994 que :
« Les reportages d’actualités axés sur des entretiens, mis en forme ou non représentent l’un des moyens les plus importants sans lesquels la presse ne pourrait jouer son rôle indispensable de « chien de garde » public. Sanctionner un journaliste pour avoir aidé à la diffusion de déclarations émanant d’un tiers dans un entretien entraverait gravement la contribution de la presse aux discussions de problèmes d’intérêt général et ne saurait se concevoir sans raisons particulièrement sérieuses ».
Pour soutenir cet idéal démocratique de première importance, rendez-vous donc le mardi 21 janvier à 9 heures, à la Cour d’appel de Colmar, pour soutenir l’équipe de NTV68.