Tan­dis que le coro­na­vi­rus frappe cruel­le­ment l’I­ta­lie, l’ex­cellent quo­ti­dien indé­pen­dant « Il fat­to quo­ti­dia­no » s’est inté­res­sé à la stra­té­gie mise en oeuvre par l’Al­le­magne afin de com­battre le covid-19. Il s’a­git notam­ment de com­prendre les res­sorts sani­taires et motifs ins­ti­tu­tion­nels expli­ci­tant la moindre mor­ta­li­té que connait le pays (660 morts), res­pec­ti­ve­ment à l’I­ta­lie (+ de 11500 morts), l’Es­pagne (+ de 8100) et la France (+ de 3000)… 

De pre­miers dépis­tages effec­tués début jan­vier. La stra­té­gie alle­mande pour réa­li­ser des tests covid19 s’ap­puie aujourd’­hui sur l’Abs­tri­ch­zen­trum, c’est à dire des labo­ra­toires dis­sé­mi­nés sur l’en­semble du ter­ri­toire: dans cer­tains cas, comme à Bochum ou Düs­sel­dorf, ceux-ci sont en capa­ci­té de réa­li­ser les pré­lè­ve­ments direc­te­ment depuis la fenêtre de votre voiture. 

Dès le début, l’im­pli­ca­tion du méde­cin géné­ra­liste est capi­tale. Il est le réfé­rent prin­ci­pal du patient et, s’il est en situa­tion de le faire, réa­lise per­son­nel­le­ment le pré­lè­ve­ment par écou­villon à envoyer aux laboratoires. 

L’Al­le­magne a donc déci­dé de mener sa bataille par un sui­vi ser­ré et en pro­té­geant au mieux ses hôpi­taux de la pan­dé­mie.

La semaine qui vient de com­men­cer repré­sente le pre­mier véri­table « stress-test » pour Ber­lin, depuis le début de l’ur­gence sani­taire. Les mesures de confi­ne­ment – qui ont figé la vie publique en Alle­magne – viennent d’être pro­lon­gées jus­qu’au 20 avril. Dans l’in­ter­valle, le nombre total d’in­fec­tions a dépas­sé les 60 000 cas, avec une aug­men­ta­tion d’en­vi­ron 5 000 cas par jour au cours de la der­nière semaine. 

Grâce au grand nombre de pré­lè­ve­ments effec­tués (jus­qu’à 500 000 par semaine), les infec­tions confir­mées se rap­pro­che­raient tou­te­fois très près du nombre de cas réels. Cela explique pour par­tie le faible taux de mor­ta­li­té en Alle­magne. Le ministre de la San­té Jens Spahn a jus­qu’à pré­sent fait preuve d’op­ti­misme, sur la base de ces don­nées et des 28 000 lits de soins inten­sifs dont dis­pose le sys­tème de santé. 

Aidé par le fac­teur temps, qui a per­mis d’a­mé­lio­rer la stra­té­gie avant le déclen­che­ment des épi­dé­mies dans le pays, le gou­ver­ne­ment fédé­ral est convain­cu que le sys­tème de san­té alle­mand est prêt à faire face à la situa­tion. Dans son entre­tien du dimanche avec la Frank­fur­ter All­ge­meine Zei­tung, le pré­sident de l’Ins­ti­tut Robert Koch, Lothar Wie­ler, a tou­te­fois été pru­dent : «Nous ne pou­vons pas exclure que nous arri­ve­rons éga­le­ment ici dans une situa­tion simi­laire à l’i­ta­lienne, et avoir plus de patients que la capa­ci­té en sièges et res­pi­ra­teurs dis­po­nibles. « 

Des écou­villons dis­po­nibles immé­dia­te­ment - Un modèle mathé­ma­tique déve­lop­pé par la Lon­don School of Hygiene & Tro­pi­cal Medi­cine estime qu’en Alle­magne le nombre de cas posi­tifs détec­tés cor­res­pond à 66% des cas réels de Covid-19. En com­pa­rai­son, le même modèle confère à l’I­ta­lie une capa­ci­té de sui­vi de 5%. L’ex­pli­ca­tion a été four­nie dans une inter­view à Der Spie­gel, par le viro­logue de l’hô­pi­tal uni­ver­si­taire de la Cha­ri­té à Ber­lin, Chris­tian Dros­ten. Il a expli­qué que près d’ « un demi-mil­lion d’é­cou­villons » sont ana­ly­sés chaque semaine en Alle­magne: un chiffre supé­rieur au total des tests effec­tués par l’I­ta­lie depuis le début de la pan­dé­mie. Par ailleurs, Dros­ten a révé­lé que les pre­miers tests effec­tués sur des per­sonnes issues de zones à risques remontent au début du mois de jan­vier.

Des tests jamais effec­tués à l’hô­pi­tal - L’Al­le­magne dis­pose d’un vaste réseau de labo­ra­toires indé­pen­dants, dont beau­coup ont déjà com­men­cé à tes­ter dans les pre­mières semaines de 2020. C’est pour­quoi il est plus facile d’ef­fec­tuer un grand nombre de dépis­tages. Depuis début mars, un Abs­tri­ch­zen­trum (centre d’a­na­lyse) spé­cial a éga­le­ment été créé, où il est pos­sible d’ef­fec­tuer le test sur ren­dez-vous, mais uni­que­ment s’il a été clas­sé comme cas sus­pect par le ser­vice de san­té ou par le méde­cin de famille. 

L’Ins­ti­tut Robert Koch a déter­mi­né qu’une per­sonne pré­sen­tant des symp­tômes est un cas sus­pect et s’il a été en contact avec un patient posi­tif au cours des 14 der­niers jours, ou s’est trou­vée dans une zone indi­quée comme étant à risque. Dans la plu­part des centres, il est pos­sible d’être tes­té direc­te­ment depuis son véhi­cule.

Impli­ca­tion pri­mor­diale des méde­cins géné­ra­listes - Avant le mois de mars, ou dans tous les cas où il n’est pas pos­sible de prendre ren­dez-vous dans l’un des centres, la pro­cé­dure alle­mande pré­voit que le méde­cin géné­ra­liste réa­li­se­ra le pré­lè­ve­ment. Il est la pre­mière per­sonne à contac­ter en cas de symp­tômes et, s’il dis­pose de l’é­qui­pe­ment de pro­tec­tion indi­vi­duelle néces­saire, il peut se rendre au domi­cile de son patient pour le test. De manière alter­na­tive, il est pos­sible de contac­ter le ser­vice de san­té qui se char­ge­ra ensuite du test à domi­cile, direc­te­ment sur le pas de la porte. 

Le fac­teur temps pour cor­ri­ger les défi­ciences – Plu­sieurs médias natio­naux, à com­men­cer par exemple par Der Spie­gel, ont signa­lé plu­sieurs défi­ciences dans la chaîne de contrôle déve­lop­pée par le Robert Koch Ins­ti­tute (impli­quant des méde­cins géné­ra­listes, le méde­cin et les ser­vices locaux) il y a envi­ron un mois, comme des infor­ma­tions contra­dic­toires ou la néces­si­té d’in­nom­brables appels télé­pho­niques afin de pou­voir effec­tuer le test. 

De la même manière, ce n’est que début mars que les dif­fé­rents Län­der ont com­men­cé à équi­per les hôpi­taux de tentes pour le pré-triage. Bien qu’ils soient encore plus récents, comme l’ex­pli­quait le chef bava­rois Cle­mens Wendt­ner à Deut­schland­funk, la créa­tion de ser­vices Covid-19 dans des hôpi­taux, où pour­tant aucun cas n’a encore été enre­gis­tré, comme celui de Munich-Schwabing. 

Pour déve­lop­per et amé­lio­rer sa stra­té­gie, l’Al­le­magne a pris en consi­dé­ra­tion le fac­teur temps: le nombre actuel d’in­fec­tions totales, com­bi­né au nombre éle­vé de tests, conduit à la conclu­sion que les pre­mières épi­dé­mies alle­mandes se sont déve­lop­pées beau­coup plus tar­di­ve­ment qu’en Ita­lie et d’autres pays euro­péens. Ber­lin, mal­gré l’hé­si­ta­tion ini­tiale sur les mesures de res­tric­tion, a donc eu l’oc­ca­sion de remé­dier et de pro­té­ger les hôpi­taux de la contagion.

Soins inten­sifs – Envi­ron 15 à 20% des per­sonnes séro­po­si­tives sont hos­pi­ta­li­sées dans des hôpi­taux alle­mands et un tiers d’entre elles ont besoin de soins inten­sifs (comme dans les autres pays euro­péens). À ce jour, il n’y a pas d’ur­gence, car le nombre de patients Covid-19 qui ont besoin de réani­ma­tion « peut encore être géré par le sys­tème de san­té ». Le ministre de la San­té Jens Spahn a jus­qu’à pré­sent fait preuve d’op­ti­misme, ren­for­cé par les 28 000 lits de soins inten­sifs dont l’Al­le­magne dispose. 

L’é­pi­dé­mie est à la traîne par rap­port à d’autres pays, mais cepen­dant les auto­ri­tés sani­taires sont déjà en état d’a­lerte car elles pensent que chez la plu­part des gens, la mala­die n’a pas encore atteint un stade avan­cé. Comme en Ita­lie, toutes les inter­ven­tions chi­rur­gi­cales non urgentes ont été repor­tées et un registre natio­nal des postes occu­pés et dis­po­nibles a été créé. L’ob­jec­tif du gou­ver­ne­ment est de dou­bler les lits en soins intensifs.

Un inves­tis­se­ment finan­cier sou­te­nu - Dans le paquet d’aide de 156 mil­liards d’eu­ros défi­ni­ti­ve­ment approu­vé par le Bun­des­rat ven­dre­di, il y a 50 000 euros de primes pour chaque nou­veau lit de soins inten­sifs créé par hôpi­tal, en plus d’un for­fait jour­na­lier de 560 euros pour chaque poste de réani­ma­tion main­te­nu gra­tui­te­ment et dis­po­nible pour tous les patients Covid. Pour les autres frais sup­plé­men­taires tels que l’a­chat d’é­qui­pe­ment de pro­tec­tion indi­vi­duelle, les hôpi­taux rece­vront un sup­plé­ment de 50 euros par patient du 1er avril au 30 juin. La mesure approu­vée par le Par­le­ment pré­voit éga­le­ment une modi­fi­ca­tion de l’Infek­tions­schutz­ge­setz (loi sur les infec­tions) qui confère au gou­ver­ne­ment fédé­ral de plus grands pou­voirs dans la lutte contre les pandémies.

Pénu­rie de maté­riel – Ain­si, le minis­tère de la San­té peut désor­mais cen­tra­li­ser la ges­tion des urgences. C’est un fac­teur notam­ment déter­mi­nant dans la dis­tri­bu­tion du maté­riel sani­taire. Le jour­nal ber­li­nois Tagess­pie­gel rap­porte que les hôpi­taux, les méde­cins géné­ra­listes et les cli­niques ont un besoin urgent d’é­qui­pe­ments de pro­tec­tion indi­vi­duelle. Le dépu­té local Dilek Kalay­ci (SPD) a aver­ti: « Nous avons l’argent pour les achats, mais il n’y a pas de stocks. »

Par ailleurs l’Allemagne connait éga­le­ment des pénu­ries de masques: il en man­que­rait six mil­lions, que le minis­tère de la San­té avait com­man­dé sur le mar­ché étran­ger, mais qui ne sont jamais arrivés.

L’hy­po­thèse du pis­tage tech­no­lo­gique - Bien que de pre­mières ten­sions com­mencent à sur­ve­nir sur les stocks d’é­cou­villons dis­po­nibles, l’Al­le­magne est convain­cue par sa stra­té­gie de tests mas­sifs. Le groupe alle­mand Bosch vient en effet de réa­li­ser un test rapide de coro­na­vi­rus qui pour­rait don­ner les résul­tats en 2 heures et demie. L’ap­pa­reil per­met­tant le test auto­ma­ti­sé de la marque alle­mande devrait être com­mer­cia­li­sé début avril, et le groupe garan­tit une pré­ci­sion de 95%. 

Pen­dant ce temps, un docu­ment du minis­tère de l’In­té­rieur révé­lé par Der Spie­gel et Sued­deutsche Zei­tung démontre l’in­ten­tion du gou­ver­ne­ment d’u­ti­li­ser les télé­phones por­tables afin de suivre la posi­tion et les mou­ve­ments des per­sonnes atteintes par le virus, à la manière de la stra­té­gie mise en oeuvre par la Corée du Sud. Si la confi­den­tia­li­té des don­nées était assu­rée (rien n’é­tant moins sûr), le pro­jet pour­rait com­bi­ner un nombre encore plus éle­vé de tests, au contrôle des per­sonnes en qua­ran­taine par voie d’ou­til tech­no­lo­gique, afin de pré­ve­nir l’ap­pa­ri­tion de nou­veaux foyers épidémiques. 

Sources : Il fat­to quo­ti­dia­no