Ce gou­ver­ne­ment met en œuvre des mesures d’urgence. La lutte contre l’épidémie de coro­na­vi­rus oblige et qui s’indignerait de la pro­mul­ga­tion de textes légaux adap­tés aux exi­gences du temps ?

Mais se poser des ques­tions sur les dis­po­si­tions légales qu’il met en œuvre, même à titre pro­vi­soire, est déjà nécessaire.

Des droits fon­da­men­taux des citoyens que nous sommes sont-ils mena­cés par ces mesures ?

Cer­tai­ne­ment pour la liber­té de cir­cu­la­tion, d’entreprendre, de réunion, de mani­fes­ta­tion, voire le droit à la vie privée…

L’état d’urgence décré­té pour faire face à l’épidémie les réduit à ce qui est auto­ri­sé par le gou­ver­ne­ment, alors que la règle juri­dique nor­male dans notre pays est l’inverse.

La Cour euro­péenne des droits de l’Homme dira peut-être un jour si ces res­tric­tions prises dans un contexte de pan­dé­mie mon­diale consti­tuaient bien « un but légi­time dans une socié­té démocratique ».

Quels fon­de­ments juri­diques pour la notion même d’urgence juridique ?

De fins juristes ont immé­dia­te­ment poin­té une approche juri­dique ambi­guë : des mesures d’urgence atten­ta­toires à des liber­tés publiques fon­da­men­tales dis­cu­tables, pour celles prises avant la loi du 23 mars 2020, mais sans garan­ties contre des dérives futures d’arbitraire après ce texte.

Déjà des décli­nai­sons pré­fec­to­rales variables de ces inter­dic­tions avaient été prises dans un cadre juri­dique encore hési­tant (le pré­fet du Haut-Rhin, par exemple, a fon­dé des arrê­tés de limi­ta­tions diverses – notam­ment pour les fer­me­tures d’établissements sco­laires- sur le code de la san­té publique, dans des domaines où ils n’étaient pas basés sur les res­tric­tions à la liber­té de ras­sem­ble­ment pré­vues par le ministre de la santé). 

La notion de « cir­cons­tances excep­tion­nelle » évo­quée rapi­de­ment par le gou­ver­ne­ment a per­mis en par­tie de jus­ti­fier ces réponses de pré­fets affron­tés à la gra­vi­té d’une situa­tion dans les dépar­te­ments les pre­miers tou­chés par l’épidémie.

Mais si l’épidémie pré­sen­tait ce carac­tère excep­tion­nel (ain­si que l’a confir­mé impli­ci­te­ment le Conseil d’État en reje­tant la requête de méde­cins sol­li­ci­tant une aggra­va­tion des mesures de confi­ne­ment), cela ne per­met pas d’oublier que ces liber­té ont valeur consti­tu­tion­nelle et sont aus­si garan­ties par la conven­tion euro­péenne de sau­ve­garde des Droits de l’homme et des liber­tés fon­da­men­tales… et donc doivent être pro­por­tion­nées au but visé. 

La loi du 23 mars 2020 a dépas­sé ces ambi­guï­tés pour créer un « état d’urgence sani­taire » et per­mettre des mesures réel­le­ment atten­ta­toires aux liber­tés publiques : 

Le gou­ver­ne­ment a fait appel à la notion  de « catas­trophe sanitaire ».

Mais la catas­trophe n’est pas si « natu­relle », la dégra­da­tion de notre sys­tème sani­taire étant lar­ge­ment impu­table à un fac­teur humain la ren­dant sinon pré­vi­sible, du moins très possible.

Les capa­ci­tés de pro­tec­tion de la popu­la­tion ont été réduites par des choix suc­ces­sifs poli­tiques, rai­son­nés, sinon rai­son­nables, et ce gou­ver­ne­ment n’a pas été le moins ardent à la manœuvre de réduc­tions dras­tiques des bud­gets, des moyens, dans le domaine.

Par ailleurs le Par­le­ment ne fut invi­té à se pro­non­cer sur « l’état d’urgence sani­taire » qu’au bout d’un délai bien long d’un mois et la consul­ta­tion du Conseil consti­tu­tion­nel volon­tai­re­ment écartée.

Et le ministre de la San­té, les préfets ?

Désor­mais habi­li­tés à prendre « toute mesure indi­vi­duelle néces­saire à l’application des mesures pres­crites par le Pre­mier ministre » (dont les mesures indi­vi­duelles de qua­ran­taine, d’isolement, de per­qui­si­tions, d’assignations à rési­dence, d’interdiction de mani­fes­ter) on abou­tit à une concep­tion de la police admi­nis­tra­tive oublieuse des garan­ties qui sont recon­nues à la per­sonne en matière pénale… dont cer­taines res­sus­ci­tées de la loi sur l’état d’urgence en vigueur entre novembre 2015 et octobre 2017, cen­su­rées par le Conseil Consti­tu­tion­nel. alors…. mais res­sus­ci­tées pour la circonstance. 

Et la Justice ?

Le texte adop­té n’apporte aucune garan­tie, aucun pré­ci­sion sur la durée, les moda­li­tés de recours, les droits des per­sonnes, dans ce nou­veau régime pro­vi­soire d’exception.

Le syn­di­cat de la Magis­tra­ture a poin­té le 26 mars que les modi­fi­ca­tions de pro­cé­dures dans tout le champ d’application du droit civil oubliaient les garan­ties essen­tielles que doivent res­pec­ter ces pro­cé­dures. Nous ne sommes plus dans la réduc­tion des contacts phy­siques entre les per­sonnes et le gou­ver­ne­ment a volon­tiers oublié des garan­ties essen­tielles de ces pro­cé­dures (ain­si a‑t-il res­sus­ci­té un de ses fan­tasmes, « la pro­cé­dure sans la pré­sence du jus­ti­ciable », et donc ne plus trai­ter les cas en audiences mais sim­ple­ment par écrit.

Et les plaintes contre des politiques ?

Elles se mul­ti­plient et visent des res­pon­sables direc­te­ment impli­qués : Édouard Phi­lippe et Agnès Buzyn sont ain­si dans le col­li­ma­teur d’un col­lec­tif de 600 méde­cins et soi­gnants accu­sés d’avoir su pour l’épidémie à venir dès le mois de jan­vier et de ne pas avoir agi, de ne pas avoir pris les mesures néces­saires pour la four­ni­ture de masques en particulier.

D’autres col­lec­tifs se consti­tuent (notam­ment malade, soi­gnants, pom­piers…) qui auraient été vic­times de fait de la mau­vaise ges­tion poli­tique de l’épidémie.

Les plaintes relèvent de la Cour de Jus­tice de la Répu­blique, com­pé­tente pour ces ministres désor­mais visés pour « men­songe d’État » dans l’exercice de leurs fonctions.

Là encore les manques de pré­pa­ra­tion en maté­riels et struc­tures diverses, en per­son­nels, devraient être évo­qués (mais aus­si et à leur décharge le carac­tère aléa­toire, voire contra­dic­toire, des avis d’ experts et scien­ti­fiques de tous ordres sur le sujet).

Depuis sa créa­tion, y com­pris dans ce domaine de la san­té, la Cour de Jus­tice de la Répu­blique a pri­vi­lé­gié les déci­sions de non culpa­bi­li­té (cf. affaire du sang conta­mi­né  par exemple). La rare­té des condam­na­tions et des peines sym­bo­liques ont mani­fes­te­ment ména­gé les gouvernants.

Situa­tion d’exception certes, extrême dif­fi­cul­té de prendre les meilleures réponses dans un contexte fort peu maî­tri­sable certes, bri­co­lage juri­dique impro­vi­sé dans un pre­mier temps… mais aus­si (sur­tout ?) cette ten­ta­tion de l’autoritarisme récurrente.

Après la phase « ter­ro­risme » et ses cadrages juri­diques écor­nant sys­té­ma­ti­que­ment l’État de droit, voi­ci donc la pan­dé­mie et l’état d’urgence sani­taire aux fon­de­ments juri­diques excep­tion­nels, « légi­times dans une socié­té démo­cra­tique » comme dit par­fois la Cour euro­péenne des droits de l’homme ?

Et demain ? L’épidémie endi­guée ver­rons-nous pros­pé­rer une épi­dé­mie de régimes auto­ri­taires sur une pla­nète qui en compte déjà beau­coup trop, et dont le nôtre ne serait pas le moindre ?

Veiller aujourd’hui à une appli­ca­tion stricte, exer­cer un contrôle citoyen pour ne pas lais­ser demain confi­ner nos liber­tés fondamentales !

Pour aller plus loin. Retrou­vez ci-des­sous l’en­tre­vue don­née par Fran­çois Sureau, ancien haut fonc­tion­naire, écri­vain et avo­cat, sur France Inter le 1er avril:

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