Dans un entretien paru dans l’Obs le 30 mars Jacques Toubon, Défenseur des droits, donne l’alerte et analyse les dangers de l’accroissement de la surveillance par les gouvernements pour lutter contre la pandémie Covid-19 grâce aux technologies du traçage des citoyens par la géolocalisation.
Dans de nombreux pays le recours aux drones, à la géolocalisation des téléphones portables, sources potentielles de danger pour les libertés civiles, deviennent désormais des technologies objets de tous les désirs.de gouvernements tétanisés par une catastrophe sanitaire grosse de bouleversements politiques et sociétaux.
Edward Snowden, père spirituel de tous les lanceurs d’alerte, a fait de même très récemment en déclarant que « l’urgence a tendance à se pérenniser, » pour des autorités étatiques qui se familiarisent vite avec ce nouveau pouvoir technologique et politique.
« Ils savent ce que vous regardez sur Internet, où votre téléphone se déplace et maintenant ils sont au fait de votre rythme cardiaque» (Snowden le 23 mars à Copenhague par vidéo conférence).
Même si Jacques Toubon rappelait dans son entretien la légalité en droit européen de telles mesures, en particulier en situation d’épidémie et même sans le consentement des personnes, il pointait également le caractère nécessairement exceptionnel, temporaire, et proportionné de telles mesures.
Parmi bien d’autres exemples le maire de Moscou annonce un suivi téléphonique en temps réel, Singapour innove avec « Trace Together », la Corée du Sud – où n’importe qui peut ainsi lire sur le site d’un arrondissement de Séoul que le « numéro 23, hospitalisé le 30 mars, habitant la quartier de Banpo 2‑dong, se trouvait dans un magasin Paris Baguette le 28 mars, entre 13h et 13h 02, avec un masque et sans avoir eu des contacts », ou encore « dans les bureaux d’agences immobilières, Bapozai Plaza, entre 13h 14 et 14h 02 « (Reuters le 25 mars) – est le bon élève de la classe reconnu dans la lutte contre le virus comme l’État israélien qui applique désormais à tous ses citoyens ses technologies adaptées directement des outils mis en oeuvre par ses services secrets depuis longtemps pour la surveillance et la répression de la société palestinienne, deviennent des références pour nos gouvernements affolés par la catastrophe sanitaire et les enjeux de pouvoir induits.
Italie, Royaume-Uni, Allemagne, ont déjà conclu des accords avec des opérateurs télécoms pour la création de cartes thermiques virtuelles des mouvements de personnes.
En Pologne les citoyens doivent télécharger une application gouvernementale qui les oblige à répondre à des demandes périodiques d’identification et Taïwan a introduit un système de « clôture électronique », qui alerte la police si les patients mis en quarantaine quittent leur domicile…
Si les techniques sont nombreuses et diverses le principe et leurs risques liberticides sont les mêmes. Les candidats développeurs de ces technologies se bousculent sur les rangs de ce marché si prometteur et rivalisent d’inventivité.
Notre Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a déclaré le 27mars « étudier l’impact du confinement sur la mobilité des populations pour explorer la manière dont l’usage des données agrégées issues des téléphones mobiles pourrait permettre de mieux prédire l’évolution de la pandémie de Covid-19 »
Un traçage numérique « à la française » qui ne serait donc plus personnalisé, par type de populations, non individualisé et moins intrusif ?
Mais surveillance sanitaire et lutte contre la pandémie, facteurs viraux (qu’on me pardonne…) d’une future surveillance de masse « totalitaire » ? Le risque est bien réel.
Personne ne le nie: l’enjeu sanitaire a évidemment ses exigences.
Mais quid des garde-fous légaux ? Quid de la généralisation de ces technologies, profondément intrusives, grosses d’atteintes à nos vies privées, à nos libertés civiles ?
(* pour mémoire : pour la Cour de Cassation et le Conseil d’État l’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail des salariés n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut être fait par un autre moyen, même moins efficace que la géolocalisation, et les deux Cours font référence aux dispositions du règlement européen pour la protection des données personnelles; la CNIL (commission nationale informatique et liberté, quasiment sans moyens, a depuis longtemps montré ses limites dans la protection des données personnelles en matière informatique).
Après se lit avec le prisme d’hier : depuis des années les dispositions liberticides s’accumulent et s’ajoutent dans un arsenal sécuritaire impressionnant, lutte contre le « terrorisme » oblige (?) mais petites dérives au passage pour aider à bloquer des mouvements sociaux, intimider, au cas où…
La loi du 23 mars sur l’urgence sanitaire renforce cette logique, débordant largement du seul champ sécuritaire pour créer le sécuritaire santé.
Pour une durée limitée, nous dit-on, à une menace virale qui n’est pas censée durer plus de …. ?
Notre gouvernement déclare officiellement par la bouche de son Premier ministre privilégier l’option du volontariat individuel pour la mise en place d’un (plusieurs ?) dispositif de ce type de traçage choisi, de géolocalisation consentie. Il promet volontiers toutes les garanties sur la non conservation des données personnelles.
L’opinion publique ira dans le sens de la sécurité promise, et on peut l’entendre dans une phase où l’enjeu de la sécurité sanitaire est vital.
Mais nombre de politiques font et feront feront leur miel de ces dispositions de contrôle, oublieux des libertés individuelles ou publiques et on les entend déjà tous les jours qui appellent au couvre-feux, au durcissement des mesures de contrôle, etc…
Géolocalisation aux fins de lutte contre la pandémie, traçabilité de tous et partout dans un contexte exceptionnel et catastrophique, sans doute, peut-être.
Mais pour le temps d’un confinement ? L’espace d’un déconfinement régional, national, européen, planétaire ? Pour tous, partout, pour toujours ?
Big data et Big Brother renvoyés au magasin des accessoires dès après la séquence santé publique, alors que fleurissent ces techniques et technologies si prometteuses d’avenirs “politiquement corrects”? Un retour après la tempête virale à nos vieilles lunes de libertés individuelles, de contrôle des juges, de séparation des pouvoirs, de Droits de l’Homme (Droits humains serait mieux dit) ?
Snowden bénéficierait de l’asile politique en France pour bien démontrer que la protection des libertés individuelles et collectives est encore un enjeu pour nos pouvoirs ?
La vertueuse Europe déjà si faible avec certains de ses membres, friands de contrôle total de leurs médias, de leurs systèmes de Droit et d’indépendance de la Justice, abandonnerait ces extraordinaires pouvoirs sur ses peuples dès le cyclone passé ? Dans un avenir où la tornade économique et donc sociale menace déjà ?
On nous le dit.., on nous l’explique..on nous l’assure, on nous le susurre… En ces temps où applaudir de son balcon les soldat.e.s qui montent au front de la lutte contre Covid-19 est l’exutoire principal proposé aux citoyens inquiets qui regimbent déjà.
Et les technologies de l’intrusion systématisées et pérennisées sont prêtes, si d’aventure ils se rebellaient.
Le temps est déjà (surtout?) à la restauration d’un contrôle citoyen, à la restauration de nos mécanismes démocratiques, à une expression politique et médiatique déconfinée, à la recherche des responsabilités… pas aux promesses.
Un proverbe arabe rappelle que « Les promesses de la nuit sont faites de beurre et fondent au soleil »
Georges Brassens, autre style, avait écrit une fort jolie chanson sur « le temps ne fait rien à l’affaire » et « quand on est c…, on est c… ».