L’Alterpresse68 s’y trouvait.

Nous publions ici le témoi­gnage de Nicole ROELENS, mili­tante éco-fémi­niste, éga­le­ment par­ve­nu à ses amies de la sec­tion fran­çaise de la Ligue Inter­na­tio­nale des Femmes pour la Paix et la Liber­té (LIFPL).

Aper­çu du contre-som­met du G7

Il s’est pas­sé énor­mé­ment de choses au contre-som­met du G7 des confé­rences simul­ta­nées, des ate­liers, des débats, en plu­sieurs lieux  à Hen­daye et dans la ville d’Irun en Espagne, ain­si qu’au camp d’Urrugne ins­tal­lé pour accueillir les nom­breux par­ti­ci­pants dési­reux de cam­per et où les Gilets jaunes avaient ins­tal­lé leur stand et orga­ni­saient des débats. Nous avons mar­ché beau­coup pour rejoindre les dif­fé­rents lieux et avons dû faire des choix entre des thèmes qui étaient trai­tés en même temps. Par­fois il y avait trop de monde à une confé­rence pour pou­voir y entrer ou des chan­ge­ments d’horaire.  J’ai donc, comme les autres par­ti­ci­pants, une vue par­cel­laire de cet évè­ne­ment qui cepen­dant m’a beau­coup intéressée.

 Ce qui m’est appa­ru signi­fi­ca­tif dès le pre­mier jour, c’est la forte inter­pel­la­tion des mou­ve­ments poli­tiques par les mili­tant-e‑s enga­gé-e‑s dans des mou­ve­ments sociaux ; Les repré­sen­tants du NPA, de la France Insou­mise, des Verts, des orga­ni­sa­tions syn­di­cales ont été copieu­se­ment hous­pillés sur leur inca­pa­ci­té à s’unir et « sur leur guerre d’égos ». Il y a à la base un désir gran­dis­sant de construire des conver­gences entre les mou­ve­ments sociaux et de trou­ver des relais poli­tiques. L’organisation actuelle des par­tis poli­tiques ne leur per­met pas de répondre à ces aspi­ra­tions. Elles s’expriment plus for­te­ment du fait, sans doute, des revers de la gauche et de l’accès au pou­voir de diri­geants auto­ri­taires dans de nom­breux pays. La demande de plus d’horizontalité res­sort me semble-t-il d’une réac­tion de survie.

A tra­vers ces inter­pel­la­tions s’exprimait aus­si  le refus, en par­ti­cu­lier par les Gilets jaunes de l’organisation pyra­mi­dale de la socié­té et de la sphère poli­tique. Moi qui ait com­men­cé ma for­ma­tion poli­tique dans la mou­vance auto­ges­tion­naire, je ne peux qu’être en accord avec ce refus. La dis­tance désor­mais énorme entre les gou­ver­nants et les gou­ver­nés est une source d’impuissance col­lec­tive ; le rap­port entre  une petite mino­ri­té de déci­deurs et une masse d’exécutants empêche les trans­for­ma­tions sociales et éco­lo­giques indis­pen­sables, mais,  et c’est dans ce sens que je suis inter­ve­nue, il nous faut enfin prendre au sérieux le défi que nous pose l’organisation hori­zon­tale de la socié­té. Il faut tis­ser des liens orga­ni­sa­tion­nels  qui per­mettent réel­le­ment un par­tage et un exer­cice des res­pon­sa­bi­li­tés sociales et poli­tiques, sans se ber­cer d’illusion sur  l’unité popu­laire a prio­ri :  la socié­té et les mou­ve­ments sociaux eux-mêmes sont tra­ver­sés par des conflits et des anta­go­nismes qu’il faut abor­der. Il faut créer de nou­veaux liens d’appartenance entre les indi­vi­dus qui sont actuel­le­ment cou­pés du social. Les ras­sem­ble­ments de masse, même s’ils sont craints par le pou­voir ne suf­fisent pas à pro­duire de l’organisation pérenne. Ils risquent de faire appel à des chefs cha­ris­ma­tiques et d’évoluer vers le tota­li­ta­risme. Le désir de l’horizontalité et d’autogestion m’a sem­blé au cœur du contre sommet.

Ce qui était aus­si récon­for­tant à l’anti G7 c’est le désir de s’organiser concrè­te­ment à par­tir des ter­ri­toires et dans la vie quo­ti­dienne. Les basques compte tenu de leur sen­ti­ment d’appartenance à une iden­ti­té col­lec­tive qui est celle de la langue et de l’histoire sont entrés, après la lutte armée, dans une créa­ti­vi­té ins­ti­tu­tion­nelle. A ce pro­pos un pay­san nous a par­lé de la créa­tion d’une chambre d’agriculture alter­na­tive en Eus­ka­di (pays basque ) qui s’est construite à côté de la chambre d’agriculture pro­duc­ti­viste influen­cée par la FNSEA. Cette chambre alter­na­tive a fina­le­ment conquis une légi­ti­mi­té après plu­sieurs pro­cès inten­té par l’Etat. Elle sou­tient effi­ca­ce­ment l’agriculture pay­sanne et bio­lo­gique qui per­met aux pay­sans locaux de vivre et de four­nir une ali­men­ta­tion de qua­li­té à leur concitoyens .

La recherche de pra­tiques alter­na­tives qui dimi­nuent l’emprise du sys­tème néo­li­bé­rale sur l’alimentation, la san­té , le loge­ment etc.. a le vent en poupe. Elles sont pen­sées aus­si dans la pers­pec­tive d’une résis­tance face au pou­voir des multinationales.

Un des grands moments du contre G7 a été pour moi le jeu­di où toute une jour­née de témoi­gnages, de débats et de mobi­li­sa­tion a été orga­ni­sée par un ensemble d’organisations fémi­nistes; Elle a eu un suc­cès inat­ten­du la salle qui nous a été allouée était trop petite. Ce qui m’a frap­pée et réjouie, c’est l’afflux des jeunes femmes et leur forte moti­va­tion pour les luttes fémi­nistes. La posi­tion des ani­ma­trices de l’atelier était de se démar­quer de la ten­ta­tive de récu­pé­ra­tion du fémi­nisme par le gou­ver­ne­ment et le G7. Nous avons eu des témoi­gnages très impor­tants sur les condi­tions de tra­vail inac­cep­tables et la pau­pé­ri­sa­tion des femmes de ménage pré­ca­ri­sées et sur­ex­ploi­tées par l’externalisation des tâches d’entretien que ce soit dans l’hôtellerie ou les ins­ti­tu­tions. La sous-esti­ma­tion de l’importance des tâches réa­li­sées par les femmes est sys­té­ma­tique. La socié­té ne pour­rait pas fonc­tion­ner sans ce tra­vail actuel­le­ment invi­sible. D’autres témoi­gnages ont ali­men­té la réflexion sur la per­sis­tance voire l’aggravation de l’inégalité éco­no­mique ain­si que sur les vio­lences sexistes ; J’ai pu inter­ve­nir pour sou­li­gner la mul­ti­di­men­sion­na­li­té et la péren­ni­té du sys­tème sexiste que j’analyse comme un sys­tème de colo­ni­sa­tion. Mon inter­ven­tion a trou­vé une très bonne écoute auprès des jeunes femmes en particulier.

Dans cet ate­lier a été pré­sen­té un texte préa­la­ble­ment éla­bo­ré et signé par plu­sieurs orga­ni­sa­tions fémi­nistes. Je me suis pré­sen­tée comme membre de la LIFPL et les ani­ma­trices dont Yve­line Nico­las d’Adéquation m’ont dit qu’elles avaient cher­ché à nous joindre mais ne nous avait pas trou­vé. Je leur ai pro­po­sé de m’envoyer ce texte de façon à ce que nous puis­sions le dis­cu­ter et déci­der si nous en sommes signa­taires. Les ani­ma­trices ont expri­mé que cette signa­ture de la LIFPL est   vive­ment sou­hai­tée. (comme quoi nous avons encore une place par­mi les mou­ve­ments fémi­nistes). Cette jour­née du jeu­di s’est ter­mi­née par une mani­fes­ta­tion fémi­niste avec une majo­ri­té de jeunes femmes qui semblent très déci­dées et très en colère. Beau­coup ont dénu­dé leur poi­trine où elles avaient ins­crit des mot d’ordre.  Elles ont vou­lu une manif non mixte ce qui a déçu les hommes qui se vou­laient soli­daires mais qui don­nait une force spé­ci­fique à cette masse de femmes radi­cales. Elles ont aus­si refu­sé les jour­na­listes hommes, ce qui a pro­vo­qué leur irri­ta­tion et qui fait qu’aucun médias n’en a ren­du compte. Pour ma part, j’ai été très émue par cette mani­fes­ta­tion qui marque l’incroyable sur­saut fémi­niste après des années d’effacement. Les jeunes femmes sont en colère, elles pour­raient bas­cu­ler dans l’affrontement violent. Il faut leur don­ner des pistes d’action, une stra­té­gie pour sor­tir de ce monde sexiste faute de quoi les rap­ports de sexes vont beau­coup se dur­cir ; C’est à ça que je travaille. 

 J’ai aus­si fait une inter­ven­tion dans l’atelier « Guerres, mili­ta­ri­sa­tion arme­ments » sur le Trai­té d’interdiction des armes nucléaires, la cam­pagne menée par ICAN  ain­si que sur notre péti­tion. J ‘espère qu’il y aura de nou­velles signa­tures. Cet ate­lier a sur­tout por­té sur les nou­velles formes de guerre qui sont des guerres de dis­lo­ca­tion qui détruisent les états et les sociétés

L’autre ate­lier sur la géo­po­li­tique n’a pas été très riche en infor­ma­tions et d’une façon géné­rale,  la ques­tion de la paix et du désar­me­ment n’a pas été beau­coup abor­dée dans ce contre G 7, alors même que le contexte inter­na­tio­nal est plus dan­ge­reux que jamais.

La dimen­sion inter­na­tio­nale semble pas­ser  au second plan par rap­port à l’effort de reprendre la main concrè­te­ment sur la vie quo­ti­dienne de nos socié­tés. Est-ce juste une cen­tra­tion sur ce qui est fai­sable ou bien est-ce une forme de repli ? La soli­da­ri­té avec les migrants  par contre est pré­sente. Elle relève de ces ques­tion inter­na­tio­nales mais envi­sa­gées à l’échelle locale.

Pen­dant toute la durée des ren­contres, il y avait une pré­sence poli­cière mas­sive à Hen­daye mais pas sur les lieux de débats  car les orga­ni­sa­teurs avaient affir­mé leur non-vio­lence et deman­dé que les forces de l’ordre soient tenues éloi­gnées. Cette demande a été res­pec­tée. Per­son­nel­le­ment je ne me suis pas sen­tie cer­née mais peut être est-ce une accou­tu­mance par rap­port à l’Etat policier.

Seul  le blo­cage non pré­vu du rond-point à Urrugne qui menait vers l’autoroute d’Hendaye  par un groupe pos­si­ble­ment des Gilets jaunes ( à véri­fier) a pro­vo­qué un affron­te­ment, des bles­sés et des inter­pel­la­tions, ain­si que l’entrée de la police dans le cam­pe­ment d’Urrugne. Les orga­ni­sa­teurs du contre G7 se sont déso­li­da­ri­sés de cette ini­tia­tive qui aurait pu enclen­cher le cercle pro­vo­ca­tion-répres­sion et rendre la manif du same­di plus agres­sive. Il n’en a rien été : Elle a réuni 15000 per­sonnes dans le calme. Le matin l’espèce de pro­ces­sion vers le ren­dez-vous était là aus­si émou­vante, elle était impré­gnée d’une cer­taine fer­veur, les basques fran­çais et espa­gnols l’ont mar­quée de leur empreinte culturelle.

Cette mani­fes­ta­tion très digne et paci­fique est un suc­cès pour les orga­ni­sa­teurs, mais elle est pas­sée qua­si inaper­çue dans les médias. Quand il n’y a pas d’affrontements, il n’y a pas de cou­ver­ture média­tique. C’est vrai­ment un encou­ra­ge­ment socié­tal à la violence.

La mani­fes­ta­tion s’est ter­mi­née par la pré­sen­ta­tion du docu­ment de syn­thèse du G7 négo­cié entre les orga­ni­sa­tions.

N. Roe­lens