En ce 28 avril 2020, une trentaine d’infirmières et de soignants manifestent devant le bureau du district de l’Ortenau à Offenburg.
Les hôpitaux du district de l’Ortenau sont en ébullition, mais ce n’est pas l’épidémie de Covid qui en est la cause, elle n’est que que le déclencheur d’un mécontentement qui a grandi de longue date.
Le district dispose de cinq hôpitaux, à Offenburg, Lahr, Ettenheim, Kehl et Oberkirch. Un sixième, à Gengenbach, a été fermé récemment. Le district Ortenau envisage de n’en conserver que deux (Offenburg et Lahr). La construction d’un hôpital géant à Offenburg est prévu pour un coût (provisoire) de 1,3 milliards d’euros.
« Que nous a appris le corona ? » est le titre du tract diffusé par les soignants des établissements hospitaliers de la région qui, du Rhin à la Forêt-Noire, avec Offenburg comme centre, s’étend en vis-à-vis de Sélestat à Brumath.
Les raisons de la colère sont nombreuses : la revendication d’une prime « corona » de 1500 euros – pourtant accordée dans les hôpitaux du district voisin de Baden-Baden – est accueillie par l’étonnante réponse suivante : « les hôpitaux de l’Ortenau font déjà beaucoup pour leur personnel en leur offrant la gratuité des repas dans les cantines ».
Puis il fut question de verser une prime de 300 euros, et aux dernières nouvelles, enfin 1500 euros, mais uniquement aux salariés les plus exposés, assortis de conditions de durée horaire d’exposition au risque. Reste au conseil d’entreprise de se prononcer.
La polémique sur la prime n’est qu’une des pierres d’achoppement d’un conflit larvé ravivé par des choix désastreux, dont la fermeture hâtive de l’unité d’Oberkirch, soi-disant pour concentrer les personnels sur quelques structures, alors que le Land cherchait un établissement pour accueillir les patients non-Covid. Le recours à une quinzaine de soldats de la Bundeswehr – dont les infirmières ne savent en outre pas à quoi les employer – est une preuve, aux yeux des personnels en colère, de l’impréparation du système de santé et des sous-effectifs endémiques.
À peine quelques jours après le début de la pandémie, le matériel de protection est venu à manquer.
Une note de service recommanda d’utiliser les deux masques mis à disposition aussi longtemps que possible. Pendant que l’un était utilisé, l’autre était entreposé dans des serviettes désinfectantes et séché pour être à nouveau utilisé.
Le tract rappelle que, pendant que la Suède stockait massivement des masques, les hôpitaux allemands cherchaient par tous les moyens à réaliser des économies.
Et le texte continue : « nous ne pouvons plus faire confiance à nos politiques, il n’y a rien à en attendre », « il nous faut rétablir le collectif », le « nous », « si nous ne nous mettons pas en grève, rien ne changera ».
Parmi les revendications, (la liste n’est pas exhaustive) figurent des problèmes connus chez nous, auxquels s’ajoutent toutefois une originale exigence de démocratie dans l’entreprise :
- Équipement des hôpitaux de l’Ortenau au mininum de niveau 1 de soins d’urgence de base
- Maintien de tous les hôpitaux de l’Ortenau
- Recrutement de personnel supplémentaire et augmentation substantielle des salaires de tous les soignants et des agents d’entretien
- Réouverture de l’école d’infirmiers/ères de Kehl
- Réouverture de la maternité d’Oberkirch
- Démocratisation des structures hospitalières, élection par le personnel des supérieurs hiérarchiques
Et cette autre revendication : le limogeage du directeur des hôpitaux de l’Ortenau.
Troublantes similitudes de part et d’autre du fleuve. Conditions et préfiguration d’une convergence transfrontalière des luttes, et de solutions à trouver ensemble dans le bassin du Rhin supérieur, dans un premier temps, en prélude au passage à l’échelle du continent, puis du monde ? On peut rêver. Il faut rêver.
René Schickele ne disait-il pas que la plaine du Rhin lui apparaissait comme les deux pages d’un même livre ?
Remerciements à Hans-Peter GOERGENS qui nous a transmis les informations, documents et photos nécessaires à la rédaction de cet article.