Par Michel Deshaies, pro­fes­seur de géo­gra­phie à l’Uni­ver­si­té de Lorraine

La pan­dé­mie de Covid-19 qui s’est pro­pa­gée depuis la Chine au reste du monde au cours de l’hiver 2020 a par­ti­cu­liè­re­ment tou­ché l’Europe occi­den­tale qui, le 21 mai 2020, concen­trait plus d’un mil­lion de cas (1 320 000), soit 26 % des cas recen­sés dans le monde. Le plus frap­pant peut-être est l’importance de la mor­ta­li­té en Europe occi­den­tale, puisque ces pays déplo­raient le 21 mai plus de 157 000 décès, soit 48 % du total mondial. 

Si la France et l’Allemagne affi­chaient à peu près le même nombre de cas (envi­ron 180 000), elles se dif­fé­ren­ciaient for­te­ment par la mor­ta­li­té : 28 135 décès liés au Covid-19, soit 431/million d’habitants en France, contre 8 144 décès, soit 97/million d’habitants en Alle­magne.

Un tel contraste peut paraître para­doxal dans la mesure où, dans les deux pays, on a consta­té une mul­ti­pli­ca­tion simul­ta­née des cas au cours du mois de février. Il appa­raît aujourd’hui clai­re­ment que les diri­geants alle­mands avaient bien anti­ci­pé la crise, ce qui n’a pas été le cas en France où l’évolution de la pan­dé­mie a rapi­de­ment satu­ré un sys­tème hos­pi­ta­lier pro­fon­dé­ment affai­bli depuis des années. Cette situa­tion a été aggra­vée par le fait que la pan­dé­mie s’est concen­trée dans cer­taines régions.

Contrastes majeurs entre régions frontalières

En Alle­magne comme en France, on observe de grands contrastes géo­gra­phiques dans la den­si­té des cas attes­tés. Mais ces inéga­li­tés cor­res­pondent à des sché­mas d’organisation spa­tiale très dif­fé­rents dans les deux pays. Il est trop tôt pour pou­voir com­prendre les méca­nismes par les­quels ces sché­mas ont favo­ri­sé, ou entra­vé, la pro­pa­ga­tion du virus. L’étude de la répar­ti­tion spa­tiale des den­si­tés de cas et de mor­ta­li­té peut contri­buer à les éclairer.

Gra­phique de Michel Deshaies

La répar­ti­tion spa­tiale de la pan­dé­mie de Covid-19 en France et en Alle­magne peut être étu­diée à tra­vers les sta­tis­tiques four­nies par San­té publique France et par l’Institut Robert Koch. La car­to­gra­phie pré­sen­tée ici repose sur un cer­tain nombre de choix qui ont pu être vali­dés par la com­pa­rai­son des régions fron­ta­lières, Sarre et Moselle d’une part, Alsace et Breis­gau d’autre part, où les den­si­tés de cas sont proches ; ce qui semble mon­trer que les échanges trans­fron­ta­liers ont joué ici un rôle dans la pro­pa­ga­tion du virus. Ces régions fron­ta­lières illus­trent aus­si les contrastes de mor­ta­li­té : alors que la Moselle et la Sarre comptent cha­cune 1 mil­lion d’habitants, on dénom­brait le 21 mai, 786 décès en Moselle contre 157 en Sarre.

Tan­dis qu’en France, ce sont les régions de l’Est et du Nord, ain­si que la région pari­sienne qui concentrent les deux tiers des cas, en Alle­magne les régions les plus frap­pées sont les deux Län­der du sud, Bavière et Bade-Wur­tem­berg, ain­si que la Rhé­na­nie-du-Nord Westphalie.

Quelles zones sont le plus dure­ment frap­pées dans les deux pays ?

La car­to­gra­phie montre deux France, de part et d’autre d’une dia­go­nale nord-ouest/­sud-est pas­sant approxi­ma­ti­ve­ment par Le Havre, Lyon et Mar­seille. Au nord de cette ligne, presque tous les dépar­te­ments ont une den­si­té de cas supé­rieure à 100/100 000 habi­tants. Au sud, au contraire, seuls quelques dépar­te­ments dépassent le seuil des 100 cas/100 000 habi­tants, le long du Val de Loire. Toute la façade atlan­tique, ain­si que l’essentiel de la Nou­velle-Aqui­taine et de l’Occitanie se carac­té­risent par une den­si­té de cas faible à très faible.

Dans la France du Nord, les deux foyers prin­ci­paux de la pan­dé­mie sont l’Alsace-Moselle et l’Ile de France qui, à elle seule, repré­sente 38 % des cas, soit deux fois plus que sa part dans la popu­la­tion fran­çaise. Entre le foyer du nord-est et l’Ile de France, tous les dépar­te­ments de l’est et du centre-est sont éga­le­ment très affec­tés. La Picar­die et la région lyon­naise appa­raissent comme des foyers secon­daires. En revanche, les Alpes, tout comme le Nord et le Pas-de-Calais, sont les régions les moins affec­tées dans cette par­tie de la France. Cela est sur­pre­nant quand on songe que ces régions sont fron­ta­lières de deux pays où l’épidémie est la plus intense au monde, la Bel­gique et l’Italie. Les cir­cu­la­tions trans­fron­ta­lières ne semblent pas avoir eu les mêmes effets qu’entre l’Allemagne et la France.

En Alle­magne, il existe aus­si de forts contrastes. L’ensemble du sud du pays est très affec­té par l’épidémie, le prin­ci­pal foyer étant le pié­mont des Alpes bava­roises jusqu’à Munich. La par­tie ouest est moins affec­tée, avec cepen­dant de forts contrastes entre des régions à faible den­si­té de cas et des foyers assez actifs, dans les régions d’Aix-la-Chapelle et de Müns­ter. Ces deux foyers sont sépa­rés par la région urbaine de la Ruhr, où la den­si­té de cas est rela­ti­ve­ment faible. Enfin, tout le nord et l’est du pays (les nou­veaux Län­der) se carac­té­rise par une très faible den­si­té de cas. C’est par­ti­cu­liè­re­ment vrai des régions lit­to­rales de la mer du Nord et de la Bal­tique, ain­si que des régions rurales de l’est. Par contre, les deux villes prin­ci­pales, Ber­lin et Ham­bourg, sont des foyers secondaires.

Quelques élé­ments d’explication

Com­ment inter­pré­ter ces dif­fé­rences spa­tiales ? En Alle­magne, beau­coup de cas attes­tés cor­res­pondent à des retours de voyages en Ita­lie du Nord, ou de sta­tions de sports d’hiver ita­liennes ou autri­chiennes, où les cas sont nom­breux ; ce qui pour­rait expli­quer pour­quoi ce sont les régions du sud les plus affec­tées, en par­ti­cu­lier le débou­ché de la voie de pas­sage prin­ci­pale vers l’Autriche et l’Italie.

On note aus­si une com­po­sante socio-éco­no­mique, dans la mesure où ce sont essen­tiel­le­ment des régions riches qui ont été affec­tées, alors que le cœur des villes pauvres de la Ruhr, ain­si que les régions les moins pros­pères du nord et de l’est, sont lar­ge­ment épar­gnées par la pandémie.

En France, si le foyer de l’est cor­res­pond à un sché­ma en lien avec la cir­cu­la­tion de la dor­sale rhé­nane, le foyer pari­sien semble répondre à une autre logique spa­tiale, peut-être en lien avec des conta­mi­na­tions en pro­ve­nance de l’international. Il est aus­si frap­pant de consta­ter que le cou­loir de cir­cu­la­tion prin­ci­pal du pays, l’axe Paris-Lyon-Mar­seille, est jalon­né par une forte den­si­té de cas. Loin d’être acci­den­telle, la répar­ti­tion spa­tiale de l’épidémie de Covid-19 est ain­si révé­la­trice des struc­tures géo­gra­phiques des deux pays.

Cet article est paru ori­gi­nel­le­ment chez nos confrères de The Conver­sa­tion.

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