Un an après l’incendie de l’usine Lubri­zol de Rouen, un col­lec­tif s’est consti­tué dans le Haut-Rhin autour des dan­gers indus­triels en Sud Alsace, dont nous avions évo­qué un aspect avec notre série d’articles rela­tive aux dépo­toirs de lin­dane pré­sents dans l’ag­glo­mé­ra­tion mulhousienne. 

Le « col­lec­tif 26 sep­tembre Sud Alsace », (en réfé­rence à la date anni­ver­saire de l’ex­plo­sion de Lubri­zol), a notam­ment fait le choix de se consa­crer aux condi­tions de tran­sit et de sto­ckage d’ammonitrate agri­cole sur le site por­tuaire d’Ottmarsheim.

L’ammonitrate qui s’y trouve entre­po­sé est la prin­ci­pale forme d’engrais azo­té uti­li­sée dans l’a­gri­cul­ture. La France en pro­duit plu­sieurs mil­lions de tonnes chaque année et en consomme envi­ron un mil­lion de tonnes par an. 

Le nitrate d’am­mo­nium est doté d’un fort pou­voir oxy­dant. Les ammo­ni­trates sont clas­sés comme com­bu­rants par la légis­la­tion rela­tive au trans­port de mar­chan­dises dan­ge­reuses. C’est éga­le­ment un pol­luant (modé­ré) de l’air. 

De nom­breuses catas­trophes ont impli­qué des stocks d’am­mo­ni­trate. Ce fut le cas avec AZF à Tou­louse en sep­tembre 2001, occa­sion­nant 31 morts et plus de 2 000 bles­sés, ou encore récem­ment dans le port de Bey­routh, au Liban, le 4 aout der­nier, tuant 171 per­sonnes et en bles­sant plus de 6000. 

Ces risques par­ti­cu­liers, connus depuis le début du 20ème siècle, impliquent donc une règle­men­ta­tion par­ti­cu­lière rela­tive au sto­ckage de ce produit.

En France, cent-huit sites clas­sés « Seve­so » stockent des ammo­ni­trates, seize entre­pôts sont recen­sés « Seve­so seuil haut » (plus de 2 500 tonnes d’ammonitrates).

Tout près de Mul­house, un site est lui éga­le­ment sur la sel­lette, et on aime­rait à pen­ser qu’il fait l’ob­jet de sur­veillances rap­pro­chées de la part des auto­ri­tés pré­fec­to­rales, ce qui est loin d’être avéré. 

Ain­si, c’est notre confrère Repor­terre qui confir­mait en sep­tembre 2018 les craintes que beau­coup avaient déjà à pro­pos du dépôt d’Ott­mar­sheim, situé à une ving­taine de kilo­mètres de Mulhouse. 

Un lan­ceur d’a­lerte ano­nyme tra­vaillant chez l’as­su­reur Grou­pa­ma décou­vrait alors dans une coopé­ra­tive agri­cole 1250 tonnes de nitrate d’ammonium, et dix non-confor­mi­tés aux règles de sécu­ri­té. Un cock­tail poten­tiel­le­ment explo­sif décrit par le menu dans une enquête à épi­sodes publiée par notre confrère spé­cia­li­sé en éco­lo­gie.

Preuve du com­por­te­ment erra­tique de l’ex­ploi­tant : on y décou­vrait notam­ment une palette de sucre sto­ckée au des­sus d’une palette de sacs d’ammonitrate dans le han­gar de la coopé­ra­tive, alors même que le mélange des deux pro­duits per­met la créa­tion de puis­sants explosifs !

Si le nitrate d’ammonium n’est pas dan­ge­reux tant qu’il reste pur, à tem­pé­ra­ture peu éle­vée, il « peut se décom­po­ser à par­tir de 210 °C et déton­ner dans un espace confi­né », ain­si que l’expliquait Repor­terre à ceux qui dou­taient de sa dan­ge­ro­si­té réelle. Les concen­tra­tions peuvent d’ailleurs varier légè­re­ment entre producteurs. 

À Ott­mar­sheim, le lan­ceur d’alerte notait par exemple la « mise hors ser­vice volon­taire de la détec­tion incen­die par l’exploitant » ou encore « l’absence de deux lances à incen­die » et le manque « d’évacuation des fumées. »

Pour l’inspecteur de Grou­pa­ma Grand Est, « l’ammonitrate est un sujet tabou dans le milieu de l’agriculture. ». Un tabou qui com­mence à dater, puisque les engrais azo­tés sont lar­ge­ment à la base du modèle pro­duc­ti­viste agri­cole issu de l’a­près-guerre. Et plus lar­ge­ment à l’o­ri­gine de l’a­gro­chi­mie, dont les effets délé­tères sur la san­té et la régu­la­tion hor­mo­nale sont aujourd’­hui lar­ge­ment documentés. 

Inter­ro­gée par Repor­terre, la coopé­ra­tive agri­cole de céréales d’Ottmarsheim affir­mait que les normes étaient res­pec­tées. Celle-ci accueillait même un pool de jour­na­listes pour ten­ter, en vain, de le prouver. 

La Direc­tion régio­nale de l’environnement (DREAL), qui fait office de gen­darme des règles envi­ron­ne­men­tales, on réagis­sait mol­le­ment, en rele­vant certes des « non confor­mi­tés » mais en assu­rant que l’exploitant pro­met­tait d’y mettre fin. 

Comble de l’i­ner­tie et de la mau­vaise foi de l’ad­mi­nis­tra­tion: alors que les rap­ports de la DREAL se doivent d’être publics, les pires dif­fi­cul­tés sont oppo­sées à la jour­na­liste de Repor­terre, obli­gée de faire le dépla­ce­ment depuis Paris pour consul­ter les docu­ments incri­mi­nant l’ir­res­pon­sa­bi­li­té de la coopé­ra­tive, chez le chef du bureau des enquêtes publiques et des ins­tal­la­tions clas­sées de la pré­fec­ture du Haut-Rhin, capable d’af­fir­mer : «Le pré­fet tient à ce que nous soyons trans­pa­rents sur ce dossier » !

Un res­pect des règles de sécu­ri­té qui inter­ro­geait déjà en Alsace au mois de juin 2018: un silo à grain y explo­sait dans le port du Rhin à Strasbourg.

On ne déplo­ra que 4 bles­sés. Mais le bilan aurait pu être plus sévère si les pom­piers n’avaient pas éva­cué un stock de 447 tonnes d’ammonitrates situé à proxi­mi­té du site… 

A ce jour, il nous est tou­jours impos­sible d’ob­te­nir un état pré­cis des stocks de nitrate d’am­mo­nium entre­po­sés dans les han­gar de la coopé­ra­tive agri­cole d’Ott­mar­sheim, laquelle est tou­jours en activité. 

L’en­semble de l’enquête réa­li­sée par notre confrère est consul­table ici.