Afin de valoriser l’info de proximité, 57 quotidiens régionaux français se sont associés, sous l’égide de “366“, la régie publicitaire partagée, dans une publicité diffusée en décembre sur TF1 et M6.

Beaucoup, y compris parmi les lecteurs réguliers de la presque quotidienne régionale ont dû manquer ce grand moment de télégénie publicitaire, au service d’un “produit” éditorial passablement défraichi.

C’est que l’heure est grave, et le balancier tombe toujours plus lourdement sur la tête des dirigeants des groupes de presse régionaux.

Entre 2015 et 2016, la diffusion moyenne payée des titres de la presse quotidienne régionale (PQR) a reculé de 3,4%. En 10 ans, celle-ci a même connu une baisse de 22%. Une crise qui s’explique par un lectorat vieillissant et par une baisse des recettes publicitaires, représentant un tiers du budget moyen d’un titre de presse.

Aujourd’hui, comme on le voit dans le tableau publié par l’Alliance pour les Chiffres de la Presse et des Médias (ACPM), l’association professionnelle française dont le rôle est de certifier la diffusion, la distribution et le dénombrement des journaux servant du support publicitaire, la situation n’a guère évolué pour la période 2019-2020 pour le support papier.

Ainsi, Les Dernières Nouvelles d’Alsace perd ainsi 4,71% de sa diffusion, avec 128 800 exemplaires, et L’Alsace est encore plus mal loti, avec un recul de 5,07 %, avec 62 300 exemplaires quotidiens.

Évidemment, la régie publicitaire de l’ensemble des titres régionaux, qui n’a d’yeux que pour “Brand” (marque), et “Devices” (supports de lecture), souhaite accélérer la mutation vers le digital.

A l’en croire : “43 millions de français lisent la PQR chaque mois, sur l’ensemble des supports (print, web, mobile et tablette), soit 81,4% de la population. Une audience puissante, qui se répartit entre 48% de lecteurs bimédia print + digital, 26% d’exclusifs print et 26% d’exclusifs digitaux. Ces derniers progressent d’ailleurs de 4,5% sur les six derniers mois, soit un gain de 488 000 lecteurs supplémentaires, 100% digitaux. Une audience au profil particulièrement attractif car plus jeune et plus actif, qui permet à la PQR de gagner encore en couverture sur les cibles stratégiques du marché publicitaire”.

Un tableau est présent dans un rapport de synthèse, pour en faire état :

Et pour croire à son avenir, la presse régionale réalise ce qu’elle s’imagine être un coup de jeune publicitaire grâce à un clip.

Un film publicitaire qui met en scène un modeste club de football local sans résultats, dont l’entraîneur découvre l’exemplaire d’un quotidien régional sur le banc de touche. Grâce à la lecture sur papier et/ou smartphone de titres successifs, il va permettre à son équipe de réaliser l’improbable : marquer un but, qui les verra toutefois perdre la partie !

“L’exploit” étant censé marquer l’utilité de l’information de proximité, et s’achève par un slogan : “On gagne toujours à lire la presse quotidienne régionale” avant d’afficher les logos des 57 journaux membres de la régie publicitaire.

Un spot qui voudrait, de surcroit, s’inspirer du film “Full Monty“, voire de l’œuvre de Ken Loach, comme si le génial cinéma social anglais pouvait être réduit à un ectoplasme de pur marketing. Quoi de plus normal quand on saura que les références émanent de Bruno Ricard, directeur général adjoint marketing, études & communication de la régie publicitaire, lequel a mandaté l’agence Havas pour sa réalisation.

Le clip promotionnel

Selon les commanditaires du clip publicitaire, les 57 quotidiens régionaux dont s’occupe la régie 366 touchent chaque jour 20 millions de personnes, emploient 5.800 journalistes et plus de 25.000 correspondants. 35.000 articles différents sont ainsi produits en moyenne par jour par l’ensemble de la PQR. “Les Français ont une confiance beaucoup plus élevée dans l’info locale de proximité.”

Pour autant, rien n’est moins sûr que cette assertion.

La publicité locale a été très impactée par la crise du Covid-19 et le confinement, de sorte que l’année s’est achevée avec une baisse globale des recettes publicitaires de l’ordre de 15 à 20%, pour l’ensemble des quotidiens. La dépendance très nette aux recettes publicitaires est le premier talon d’Achille de cette offre de presse.

D’après l’Institut de recherches et d’études publicitaires (IREP), la publicité rapportait 937 millions d’euros en 2010 à la presse quotidienne régionale. Ce chiffre n’était plus que de 583 millions sept ans plus tard, soit près de deux fois moins

Ces deux facteurs ont entrainé une nette diminution du chiffre d’affaires de la PQR, et la disparition de certains journaux. Au reste, depuis 1992, le nombre de titres est passé de 62 à 52. On en dénombrait 153 à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale.

Et peu importe que celle-ci ait élargi son audience grâce au numérique par un illusoire renouvellement générationnel, dont leurs dirigeants aimeraient à tirer les marrons publicitaires, notamment grâce au ciblage et au traçage algorithmique.

Un renouvellement à l’aveugle

Car le second, et plus essentiel point faible de la PQR, est caractérisé par son incapacité systémique à se renouveler éditorialement. Et ce n’est évidement pas à force de grimoires sur les technologies et techniques commerciales à l’heure du big data que cela risque de changer.

Et pourquoi donc ce si désirable jeune lecteur digital continuerait-il de payer pour de l’information uniformisée jusqu’à la caricature, comme tel est le cas avec les DNA et L’Alsace, puisque les deux titres alsaciens sont littéralement interchangeables : les rédactions étant désormais confondues, alors que la radio ou la télé publique régionale remplit déjà des fonctions comparables, en investissant d’ailleurs les mêmes outils du numérique, le tout en étant accessible gratuitement ?

Le fait avéré est que le pluralisme de presse est à l’agonie au niveau local et régional. Et ce ne sont pas les accointances de ces journaux avec les baronnies locales, ni l’inertie d’un certain lectorat fidèle qui pourra faire illusion très longtemps.

Car ce n’est pas simplement en ajustant leur modèle économique, notamment en concentrant leurs actifs capitalistiques, en absorbant la concurrence, et en les orientant vers le tout-numérique, que les groupes de presse régionaux pallieront leur manque foncier d’attractivité.

Ces monopoles de presse incarnés par ces titres sont une anomalie monstrueuse en matière de pluralisme démocratique, et ont un effet désastreux sur la situation sociale et professionnelle des journalistes et personnels.

Source : INA “La revue des médias”

Et en Alsace, comment peut-on admettre se satisfaire d’un double quotidien unique (2 marques – ou Brand– et un même contenu) dont le propriétaire est un banquier ?

La PQR va devoir réinventer son modèle d’affaires, mais bien plus encore. Les nouveaux modes de consommation des médias – chez les jeunes tout particulièrement – mettent au défi son modèle éditorial. Elle devra donc fournir de bonnes raisons aux jeunes générations qui souhaitent s’informer de lâcher les réseaux sociaux et les notifications push…

Elle peut aussi naturellement parier sur la diversification, notamment vers les start-up, dans une logique financière accrue, comme le groupe “Le Télégramme” a entrepris de le faire, mais elle risque surtout de diluer son coeur de métier, et démobiliser ses salariés.

Le meilleur des choix consiste à dynamiser l’offre de presse, et renouer avec l’intérêt public et social que la presse quotidienne a perdu de vue, si tant est qu’elle y ait jamais attaché de l’importance. Cela suppose de prendre le risque de déplaire, et quoi qu’il en soit, de ne plus servir la narration des représentants des exécutifs locaux et régionaux, tout en servant les intérêts de proximité. Et le cas échant, investiguer envers et contre eux au nom de l’engagement social et environnemental.

C’est bien le seul trophée qui vaut pour nous la peine d’être remporté.

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