Dur, (encore plus) dur d’être étudiant en 2021 !
Jean-Yves Causer, professeur à l’Université de Haute Alsace (UHA), depuis laquelle est paru l’appel des Derniers confinés, rédigé par un collectif d’étudiantes et d’étudiants issus de ses rangs, a réagi à la publication de notre entretien avec Nathan Tedga, l’un de ses signataires.
L’entretien aborde avec profondeur et honnêteté intellectuelle, quatre thèmes que je souhaite commenter : L’institution elle-même, l’environnement social comprenant des conditions de vie inégalitaires, une organisation pédagogique dysfonctionnelle et, au final, la perte de sens.
Toute institution éducative a pour fonction la socialisation par la mise en place de conditions d’accueil et d’accompagnement qui soient a minima satisfaisantes et dignes. Or, comme le suggère Nathan Tedga : « On se sent mis à l’écart »… Il faut donc se faire entendre en hurlant son désespoir avec une « pétition cri « qui ne doit aujourd’hui pas rester lettre morte.
L’université est devenue ce campus blues que nous pouvions prévoir et redouter. Ce qui explique ce sentiment partagé d’abandon et d’injustice.
Récemment, à France Info, le Président de l’UNISTRA déclarait : « La détresse morale de l’étudiant tuera plus à terme les étudiants que le virus » et il soulignait, à juste titre, l’inégalité de traitement entre les filières du supérieur : « nous n’avons jamais compris pourquoi les CPGE, les classes préparatoires aux grandes écoles, ou les BTS, avaient le droit d’être [en présentiel], comme par hasard, dans des lycées où souvent les mesures ne sont pas plus drastiques que chez nous, et où même parfois les salles de classes sont plus petites. On n’a jamais compris cette différence. Je n’ose pas croire que la République considère que les jeunes de prépas valent plus que nos étudiants. »
Comment ne pas avoir le sentiment d’être oublié et de ne pas se sentir être sérieusement pris en compte par les instances ministérielles… par l’État ?
En second lieu, l’importance de l’environnement relationnel est rappelée avec la problématique d’une souffrance généralisée même si certains sont, comme le suggère Nathan Tedga, plus à la peine que d’autres. L’isolement contraint, contrairement à une solitude qui peut parfois être recherchée, concerne particulièrement les étudiants étrangers.
Lors du premier confinement, Il avait été, par exemple, recommandé aux étudiants étrangers de bien vouloir quitter leur logement par écrit. Ce qui pouvait terriblement inquiéter certains d’entre eux déjà désemparés et contraints de rester dans des espaces de 9m².
Cela renvoie aussi aux possibilités matérielles également très inégalement réparties comme celles concernant la possibilité de suivre les cours à distance : « Avoir une connexion stable, c’est primordial ».Cependant, c’est loin d’être toujours le cas.
Le troisième élément concerne un point « aveugle » du courrier adressé au Président de la République. Il s’agit, selon moi, de l’« inorganisation » pédagogique qui pourrait bien renvoyer à un manque récurent de coordination. Les propos de l’étudiant viennent utilement compléter le tableau décrit dans le courrier.
Ce dernier est très critique à l’encontre du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche alors qu’il est clairement plus compréhensif à l’égard des difficultés d’adaptation du corps professoral. Cependant, il n’est plus seulement question, pour le président de l’AFED, de revenir sur « l’importance du lien entre professeurs et étudiants dans l’apprentissage et la formation de citoyens éclairés » (thématique valorisée dans un courrier probablement corrigé, annoté et supervisé par certains collègues), mais d’affirmer que «le second confinement est pire que le premier ».
C’est, en fait, le décalage entre un discours institutionnel et la réalité qui surgit plus fortement lors du second confinement : « Là on a eu des cours très poussés. On était assommé par notre masse de cours » ou encore : « Ce qui est difficile aussi, c’est de voir aussi que même si on nous dit « on sera bienveillant avec vous », on a l’impression que l’université ne s’est pas arrêtée de tourner. Ils nous ont dit « on passe au distanciel », mais on est resté comme si on était resté en présentiel c’est-à-dire qu’on a eu le même volume horaire […]. Selon eux , on avait que cela à faire de toute façon… ».
En fait, cette pandémie agit comme un puissant révélateur de nos dysfonctions et, plus particulièrement, d’un manque dramatique d’écoute de nos étudiants et d’une méconnaissance de leurs conditions d’étude. Alors que nous devrions nous concerter collectivement et nous adapter à des contraintes ou à des difficultés demandant à être plus sérieusement analysées et autrement mieux prises en compte, nous restons englués dans un fonctionnement inadapté tout en nous déchargeant sur les directions universitaires ou les instances gouvernementales.
Nous trouverons, d’ailleurs, toujours un « responsable » à la pédagogie d’une composante universitaire pour nous en faire la promotion et en souligner l’excellence. Ce qui fait, d’ailleurs, écho à l’autosatisfaction et à l’optimisme de l’ancienne Présidente de l’Université de Haute-Alsace, Christine Gangloff-Ziegler, qui affirmait, lors du premier confinement, avoir été impressionnée par les capacités d’innovation de collègues universitaires et se déclarait à cette occasion « ravie de voir que l’enseignement à distance s’est déployé très vite et que cela fonctionne ».
Pourtant, l’UHA propose trop tardivement des formations pour les enseignants qui en sont pourtant très demandeurs, mais se révèlent être notoirement insuffisantes en termes de propositions de places.
Le dernier point à relever concerne, à mon avis, la question cruciale du sens à donner à ses études et à laquelle il nous faudra trouver très rapidement des réponses. Pour Eugène Enriquez, nous avons trois types de sens à donner à toute forme d’engagement :
- un sens émotionnel qui renvoie au plaisir et à la fierté d’un travail dont on peut être satisfait et aussi aux habituelles possibilités de décompression et de détente. Or, le parcours de l’étudiant semble être principalement constitué d’épreuves plutôt pénibles et très dures à vivre ;
- un sens « orientation » qui ramène à un monde professionnel plus qu’incertain quant aux perspectives de s’y intégrer. Or, les difficultés étaient déjà conséquentes pour suivre une formation en alternance ;
- un sens « motivationnel » qui manque singulièrement de contenu en matière de suivi et qui donne envie de revenir, au plus vite, à du vivre-ensemble, à du partage.
Cette perte problématique de sens exige de mentionner ce qui peut éventuellement y remédier :
- une revalorisation du statut de l’étudiant qui pourrait effectivement être monétaire comme le propose Nathan Tedga ;
- une cellule d’écoute, constituée de divers profils professionnels en plus d’un service social renforcé, pour venir de toute urgence en aide à un précariat étudiant qui ne cesse de sombrer ;
- une prise de conscience d’un véritable travail de coordination et de concertation à mettre en place dans une optique de bientraitance de l’apprenant ;
- un bilan sur toutes les mesures pédagogiques mises en place depuis trente ans dans une démarche volontairement participative et constructive ;
- une prise en compte des publics les plus fragiles, car c’est par ce biais qu’il devient possible d’améliorer l’ensemble du système organisationnel.
Quand j’ai pris connaissance des propos de Nathan Tedga, j’ai été vraiment impressionné par son courage. Une telle capacité d’analyse est réconfortante et je lui en suis reconnaissant. Pour avoir déjà eu le plaisir de le lire, je ne suis pas surpris par l’ampleur et la beauté de son engagement d’homme de gauche. Une citation de l’anthropologue Mark Anspach illustre parfaitement sa posture : « On ne donne pas pour recevoir, mais pour faire vivre une relation ».
Jean-Yves Causer
Une pétition du collectif d’étudiants est également disponible via le site change.org