Réélu le 1er décembre 2020 pour un quatrième mandat de président à la tête de la CAC 68 (coopérative agricole de céréales du Haut-Rhin), Jean-Michel Habig (le fils de Michel Habig, maire d’Ensisheim, et prédécesseur au poste), semble avoir décidé de jouer le jeu de la transparence, comme on se souvient l’avoir vu à l’oeuvre en 2018.

Le 7 janvier dernier, il recevait à ce sujet neuf invités (dont le maire d’Ottmarsheim et Fabian Jordan, président de M2A), ainsi que deux élus d’opposition de l’assemblée communautaire : Joseph Simeoni et Jean-Yves Causer, représentant le groupe « Mulhouse cause commune ».

Les élus ont notamment souhaité connaitre le niveau d’information dont disposait la population sur les risques éventuels liés à la présence et au stockage d’ammonitrates.

Ils informèrent les dirigeants de la coopérative que l’étude de dangers (EDD) réalisée en 2005 était introuvable. Ils apprirent alors de la bouche du directeur que celle-ci était accessible… mais en préfecture.

Une aberration, auxquels sont également confrontés de plus en plus de journalistes à l’endroit des services de l’État (c’était déjà le cas de notre confrère de Reporterre, qui publia le premier sur l’affaire), cela même s’agissant d’un document daté, alors que les services de l’État, en particulier ceux de la DREAL, sont censés placer les documents à la libre disposition du public.

Au regard des accidents anciens et récents il paraitrait alors judicieux d‘effectuer une nouvelle étude. A ceci près qu’une expertise récente a bien été menée en 2018, mais n’est toujours pas rendue publique !

Interpellé sur le sujet, Jean-Michel Habig répondit qu’il rendrait public le document de 2018… aussitôt que le Préfet du Haut-Rhin aura fait le déplacement sur le site, comme il le lui a demandé dans un récent courrier.

S’agirait-il d’amener le préfet, et à travers lui, l’État, à ratifier les résultats de ladite expertise ?

Toujours est-il que Fabian Jordan, président de la communauté d’agglomération, surenchéri in petto, en affirmant qu’il en ferait de même. Ouf !

Un sujet explosif

Bien entendu, les échanges se concentrèrent surtout autour de la question des risques immédiats liés à l’ammonitrate.

Le dirigeant de la CAC et ses collaborateurs répondirent que la coopérative ne stockait plus l’ammonitrate 32 (le plus explosif), et cela de longue date.

L’argument de l’entrepreneur consiste alors à soutenir que l’ammonitrate 27, stocké jusqu’à quelques 3600 tonnes, selon les normes de vigueur affirme-t-il, n’est pas un explosif. Et que, par ailleurs, le marché connait de nouvelles tendances, à la faveur de modes de production agricole plus respectueux de l’environnement.

Ainsi, la part des ammonitrates dans le total des engrais stockés serait orienté à la baisse, entre 15 à 20%, tandis que la part de l’urée (en tant qu’engrais azoté) augmente tendanciellement, et représente plus d’un tiers des demandes agricoles.

Enfin, placé devant le fait que, sous certaines conditions, l’ammonitrate 27 pourrait, lui aussi, devenir explosif, il a été répondu que l’expérience quotidienne démontrait le contraire. Un argument pour le moins spécieux.

“Le point technique fondamental concerne le passage du [de l’ammonitrate] 32 au 27. Effectivement le nitrate d’ammonium 27 détonne moins vite que le 32. Mais il reste explosif en cas d’incendie et de présence de 0,2% de matière organique (poussières, copeaux de bois ou vapeur d’eau par exemple !)”.

Interrogé sur le sujet, M. Paul Poulain, spécialiste en risques industriels, et également à l’origine de « Notre maison brûle », « une plateforme d’autodéfense populaire face aux dangers industriels », est quant à lui franchement réservé sur cette conclusion empirique :

« Le point technique fondamental concerne le passage du [de l’ammonitrate] 32 au 27. Effectivement le nitrate d’ammonium 27 détonne moins vite que le 32. Mais il reste explosif en cas d’incendie et de présence de 0,2% de matière organique (poussières, copeaux de bois ou vapeur d’eau par exemple !).

Sa capillarité est moindre. Cependant, lorsqu’il est soumis à une température de 60°C, cette capillarité augmente de 70%. Cette variation s’explique par la réorganisation des cristaux de nitrate d’ammonium en fonction de la température, notamment passé 32°C.

Compte tenu du climat en France, il est fort probable que cette température soit dépassée conduisant à un rapprochement de la capillarité entre le nitrate d’ammonium 32 et le 27.

Exposé durablement à plus de 32°C le nitrate d’ammonium agricole tend à se rapprocher du nitrate d’ammonium servant à la fabrication d’explosif. Cette sensibilité à la chaleur se retrouve dans les fiches de données de sécurité (FDS) du produit.

En tout cas, la proximité avec Boréalis qui stocke également du nitrate d’ammonium montre que les nouvelles directives nationales ne sont pas suffisantes ! Suite à l’accident de Lubrizol, le ministère de la transition écologique demande d’inspecter les sites dans la bande de 100 mètres autour des sites SEVESO.

On voit bien que cette distance n’est pas suffisante. Néanmoins, il demande en 2021 d’inspecter toutes les coopératives stockant du nitrate d’ammonium agricole. Donc, vous pourrez demander le rapport d’inspection de la DREAL. Si le site est inspecté en priorité c’est bien qu’il y a un risque significatif ! »

Voir ce lien vers le point règlementaire.

Dans ces conditions, difficile d’adhérer à la simple narration des responsables de la CAC, (tout comme à celle de l’exécutif de M2A, qui se veut rassurante), quant à la non-dangerosité des ammonitrates stockés dans les entrepôts de la coopérative.

Mais puisque Jean-Michel Habig s’est désormais résolu à confronter son jugement devant l’opinion publique, il a prévu d’organiser une visite des installations pour le compte de la presse, pour la fin janvier 2021.

Deux journalistes, qui travaillent sur le dossier depuis quelques semaines, semblent attendus de pied ferme : Benoît Collombat, journaliste de la cellule d’investigation de France Inter, et Maud de Carpentier, de Rue89 Strasbourg.

L’Alterpresse68 souhaite vivement accompagner ses confrères lors de ce tour guidé. Le maitre des silos y consentira-t-il ? Suspense !

En attendant, le Collectif 26 septembre Sud Alsace (C26S), dont nous parlions ici, et auquel Joseph Simeoni est membre, souhaite obtenir transparence et sécurité, à l’aune des conséquences dramatiques que le produit est susceptible d’occasionner, comme on l’a vu dans le port de Beyrouth en août 2020.

La sécurité face aux risques industriels dans le secteur d’Ottmarsheim mérite une attention et une mobilisation particulières des élus de l’agglomération”.

Il réitère ainsi sa demande de réalisation d’une nouvelle étude de dangers, disant craindre un possible « effet domino » dans la zone d’Ottmarsheim.

Ce faisant, il rappelle également que : « Les moyens de contrôle insuffisants, la mise en œuvre défaillante d’une réglementation parfois laxiste et les réactions décevantes des autorités publiques après les révélations du lanceur d’alerte il y a deux ans – et, plus récemment, celle du Préfet du Haut-Rhin et de la DREAL suite à une interpellation d’un collectif – nous rappellent que la sécurité face aux risques industriels dans le secteur d’Ottmarsheim mérite une attention et une mobilisation particulières des élus de l’agglomération ».

Cette ressource est accessible gratuitement pour une période de 10 jours. Pour nous permettre de continuer à vous proposer articles, documentaires, vidéos et podcasts, abonnez-vous à partir de 3 euros seulement !