Photos de Martin Wilhelm
Cela n’est pas très connu du grand public, mais les panneaux publicitaires dans leurs divers formats ou autres enseignes commerciales resplendissant de criardise dans le cadre urbain, répondent pour l’essentiel à un cahier des charges défini par un règlement local de publicité intercommunal.

L’ensemble est régi par le Code de l’Environnement, puisque la publicité impacte l’ensemble de nos paysages, quand elle n’engendre pas un coût en termes de surconsommation énergétique lié à son fonctionnement quotidien.
Les objectifs du décideur politique, en l’occurrence ceux de l’intercommunalité mulhousienne, y paraissent aussi contradictoires que possible, dès lors que l’on cherche à ménager la chèvre et le chou, c’est à dire dynamiser les pôles commerciaux les plus actifs, tout en tenant compte des enjeux liés au développement durable.
D’ordinaire, on l’exprime par une formule du type « préserver la trame verte et bleue », c’est-à-dire assurer la préservation de la biodiversité dans les décisions d’aménagement du territoire.
Ici, il est en outre question de « réduire l’empreinte carbone de la publicité en encadrant le développement des nouvelles technologies d’affichage » et en même temps de « maintenir et renforcer l’attractivité des zones commerciales périphériques ».
Mardi 6 juillet à 18 heures au Parc des expos de Mulhouse, ces enjeux étaient livrés par Rémy Neumann, délégué à l’Urbanisme pour M2A (Mulhouse agglomération), et accessoirement maire de Lutterbach.
Il était notamment flanqué d’Emmanuel Risser, chargé d’étude au service urbanisme prévisionnel de M2A, et de Christelle Barlier, pour l’AURM (agence d’urbanisme de la région mulhousienne).
Les diapositives présentées constituaient la synthèse des travaux de la refonte règlementaire censée supplaneter les règlements particuliers de chacune des communes de l’agglomération, à l’exception de Morschwiller-le-bas, qui a déjà adopté le sien :
Lors de cette réunion publique était énoncé l’ensemble des règles et modalités définies pour encadrer les dispositifs publicitaires.
Pour Rémy Neumann il s’agisssait d’un exposé technique, où le fond, c’est-à-dire la contestation du principe publicitaire, n’aurait pas voix au chapitre, puisque des échanges à ce sujet avaient déjà eu lieu lors d’une réunion rassemblant l’ensemble des parties prenantes.
Dans le compte-rendu des premières réunions de concertation, le maire de Lutterbach l’énonce ainsi :
« Le RLPi [règlement local de publicité intercommunale] sera le fruit d’un compromis entre le respect de la liberté d’expression, le droit et la nécessité pour les acteurs économiques de pouvoir communiquer et la volonté d’améliorer la qualité de l’environnement urbain. Il rappelle notamment que la qualité de vie d’une agglomération, dont les paysages font partie, concoure à son attractivité auprès des acteurs économiques et à son développement ».
Pourtant, le tunnel publico-explicatif que l’assistance était censée traverser de part en part sans broncher, ou presque, ne débouchera pas sur la mer des platitudes délibératives, ou le soleil des certitudes itératives.
C’est que des militants de Résistance à l’agression publicitaire (RAP), Paysage de France, Alsace Nature, ou encore Alternatiba, ont en effet entrepris de retourner la réunion, sinon de la pirater, en la politisant, c’est-à-dire en la réinvestissant par une problématisation systémique des choix opérés, et en interrogeant le sens et les contraintes règlementaires actuelles.
Les questions centrales, déjà posées en réunions de concertation sont les suivantes :
- La publicité altère la qualité des paysages et de l’environnement
urbain,
⦁ Elle incite à surconsommer, au détriment de la protection de
l’environnement. Elle promeut des produits parfois inutiles ou
néfastes pour la santé, notamment en matière d’alimentation,
⦁ Elle véhicule des valeurs que les associations condamnent :
favorisant l’individualisme, elle donne l’illusion d’une possible
réalisation de soi à travers la consommation, au détriment de
l’adhésion à des valeurs collectives,
⦁ A l’inverse des autres supports publicitaires, la publicité extérieure
s’impose à tous : implantée sur l’espace public, on ne peut y
échapper.
⦁ Elle participe au développement des écrans : alors que de
nombreux parents tentent de limiter l’usage des écrans pour leurs
enfants, la collectivité permet leur installation sur l’espace public.
⦁ Son efficacité accroit ses effets néfastes : par sa capacité à solliciter
le regard des passants, les dispositifs numériques renforcent les
effets négatifs de la publicité.
⦁ Elle constitue un danger en matière de sécurité routière car elle
distrait davantage les automobilistes que les dispositifs papiers.
⦁ Elle consomme de l’énergie électrique inutilement, à l’heure de
l’urgence climatique.
Les représentants des affichistes (Clear Chanel, JC Decaux, Exterion Media, Oxialive, Urba city & Publimat) ne se sont pas faits entendre, ou modestement, lors de la réunion publique du 6 juillet, sinon pour poser la question des couts pour les comptes publics, dans le cas où la publicité se ferait plus rare, voire disparaitrait.
Lors de l’exposé, l’une des diapositives faisait apparaitre un passage pour le moins stupéfiant, surligné en gras.
Plutôt que d’invoquer le principe de libre concurrence, qui prévaut traditionnellement dans le domaine commercial, il est noté qu’il est « interdit d’interdire l’affichage publicitaire » par souci de « respect de la liberté d’expression » !

Il est vrai qu’associer libre concurrence et liberté d’expression ne pouvait qu’apparaitre explosif aux yeux du parterre associatif, présent en nombre dans cette modeste salle du parc exposition.
Comment trouver plus incongrue cette assimilation du fait commercial-publicitaire, à l’exercice civique de la libre expression ?
Le démenti le plus éloquent, par excellence, étant matérialisé par les centres-villes des mégalopoles chinoises, recouvertes de placards publicitaires, qu’ils soient faits de papier ou en version numérique.
Pour autant, les citadins chinois n’ont pas encore eu la chance d’être exposés aux principes de la liberté d’expression, puisque seule la vérité placardisée par la voie du parti communiste chinois est garante du bonheur (capitaliste et consumériste) de la population…
Compte tenu les gloussements d’une partie de l’assistance, à l’issue de l’invocation de cette liberté d’expression publicitaire, on pouvait se douter que la soirée ne suivrait pas tout à fait le cours prévu.
De ce fait, les échanges se sont faits vifs, voire houleux, à partir de cette agglutination contre-nature. Les questions et prises de parole fusant en escadrille, de sorte que les animateurs du débat se sont peu à peu délestés de leur position de surplomb, et donc du pouvoir de régenter le cadre discursif.
Rémy Neumann donnant quant à lui l’impression de s’enfoncer dans une sorte d’apathie sourde et hostile, passant une partie de son temps, tête baissée, soit à noter quelques phrases, soit, le plus souvent, à barbouiller nerveusement sur son carnet.
Cela dit, il apparaissait évident qu’il était lui-même engoncé dans une logique de compromis dont il semblait vouloir prendre par moment de la distance.
En témoigne sa perméabilité à quelques arguments qui lui étaient exposés. Ainsi, la proposition des associations de limiter, voire interdire, la publicité aux abords des écoles a été jugé favorablement par l’élu, tout comme la remise en cause des bâches publicitaires de chantier.
Climax attack
Mais les attaques contre les élus, et leur inertie face au péril climatique, fut souvent le leitmotiv des interventions les plus critiques.
A l’heure de ce péril, pourquoi prenait-on autant de temps pour réagir, en s’attaquant frontalement au parasitisme énergétique à caractère commercial et publicitaire, à la surconsommation, et à l’enlaidissement du monde de manière générale, dont les générations futures seront comptables ?
Cécile Germain (EELV) exprima fébrilement cette idée en lisant ses notes sur un cahier. Elle acheva son intervention en interpelant les animateurs :
- « Vous, vous serez morts dans 30 ans, mais les autres, que deviendront-ils ?! »
Vaste question, à laquelle Rémy Neumann préféra céder l’audace de la réponse à Jean-Philippe Bouillé, adjoint mulhousien à l’urbanisme et au cadre de vie, qui depuis un moment griffonnait quelques notes sur un mini calepin qu’il tenait en l’air, à bout de bras tendu, assis au premier rang.
Avec beaucoup d’aisance, il se leva, se saisit du micro, mais ne resta pas à sa place, contrairement aux autres intervenants dans la salle. Il s’exprima alors en balayant latéralement une bonne partie de l’espace, ce qui traduit un savoir-faire certain en matière de communication.
Dans un exercice d’humilité lucide, il se livre :
- « Oui, c’est vrai, je serai sans doute mort dans 30 ans ! »,
Mais ne peut s’empêcher de remettre l’insolente écologiste à sa place :
- « Vous parlez souvent comme ça à vos parents ? »
Une petite voix, presque lasse, raisonne alors de l’élue au Conseil régional EELV :
- « Non… »
Le voici alors s’enhardissant de sa jeunesse non encore tout à fait perdue, déroulant un discours compassionnant, savamment pondéré par un souci de réalisme gestionnaire, si parfaitement redondant et prévisible :
- « Je suis d’accord avec vous, ça va trop lentement, mais… le réel de l’économie… les impôts qui pourraient augmenter… et je comprends ce Monsieur qui en a parlé… »
Silence de catacombe à la fin de la leçon managériale, pour ce membre de LREM. A l’unisson du rejet que l’écurie présidentielle inspire nationalement.
Puis les questions s’orientent vers une volonté de compréhension générale des mécanismes d’implantation.
Les modalités du débat public sont discutées :
- « Pourquoi ce débat ne fait-il pas l’objet d’une large communication ? »
- « Il a été annoncé sur le site de M2A », répond Rémy Neumann
Le site internet institutionnel de l’agglomération orienté « services », avec une dimension multimédia omniprésente, est un exemple remarquablement abouti de machine à susciter le plus vaste désintéret des citoyens, quant au fonctionnement démocratique de leur collectivité territoriale ! Est-il possible que cela ne soit pas intentionnel ?
Ou alors les élus se seraient-ils laissés convaincre par un discours techno-naze-tech de la part de prestataires numériques qui n’ont eux-même aucune espèce de conscience civique, sauf à profiter des effets personnels et politiques de l’accumulation capitalistique ?
Un simple défi pour vous en convaincre : tentez de rechercher les procès-verbaux des assemblées communautaires sur le site de M2A, sans vous y perdre, ou désespérer !
Mais face à cela, la réponse la plus délicieusement surréelle, fut celle de la journaliste de L’Alsace :
- « Et si on faisait confiance aux journalistes pour relater les débats ? »
Silence des lectrices et lecteurs, qui n’ont pas été convaincu par l’idée de rendre le double journal unique du Crédit Mutuel représentant d’une population désireuse de changements radicaux… D’autant qu’au moment où nous publions, son article n’est toujours pas disponible !
Pourtant, le mot de la fin sera trouvé par Rémy Neumann, encore lui, qui semble s’être résolu contre lui-même d’une certaine évidence :
- « Merci à toutes et tous d’être venus, ça fait plaisir, parce que beaucoup de citoyens ne s’intéressent pas souvent à nos débats… »
Ci-dessous la galerie photographique proposée par notre collaborateur Martin Wilhelm :