Face à un nombre croissant d’infections – 80% des lits des soins intensifs sont occupés par des patients du Covid-19 – les citoyennes et les citoyens suisses ont approuvé dimanche 28 novembre par des majorités confortables deux propositions en rapport avec la pandémie :
- Un complément de la « Loi Covid-19 » par un article sur le « passe sanitaire » (appelé « Certificat » en Suisse) et un autre sur le « contact tracing », c’est-à-dire le suivi rétroactif des infections. La modification de loi a été approuvée par 62% de oui
- L’initiative populaire [1] « Pour des soins infirmiers forts » qui vise à améliorer les conditions de travail du personnel dans les hôpitaux et les homes pour personnes âgées. Cette initiative qui doit encore être complétée par une loi a recueilli 61% de oui.
La Suisse a voté ce même dimanche sur une deuxième initiative sans rapport avec la pandémie qui visait à désigner les juges au niveau fédéral par tirage au sort au lieu de leur élection par l’Assemblée fédérale (les deux chambres du Parlement réunies). Cette initiative a été rejetée par 68% de non.
- Loi Covid-19
La première version de cette loi avait été approuvée par le Parlement en septembre 2020. Outre les mesures sanitaires, elle règle le soutien financier aux secteurs affectés par la pandémie et aux personnes qui y travaillent. Suite aux développements de la pandémie, elle a été modifiée plusieurs fois et approuvée par les citoyens et les citoyennes dans un premier référendum[2] le 13 juin 2021 par une majorité de 60%.
Avant ce vote, le Parlement avait approuvé en mars 2021 une modification qui visait à élargir les aides financières et qui contenait un article sur le « contact tracing » et un autre établissant un certificat pour des personnes vaccinées, testées et guéries. Ce sont surtout ces deux articles qui ont provoqué un deuxième référendum qui était à la base de la votation de dimanche dernier. C’était la première fois que les Suisses ont voté sur le même sujet en moins d’une demi-année.
Ce deuxième référendum avait été pris par plusieurs groupements qui s’étaient en partie constitués spontanément sur les réseaux sociaux et qui étaient composés par le noyau dur des opposants à toutes les mesures anti-pandémie prises par les autorités, des personnes aux idées proches de l’extrême droite de l’échiquier politique et d’adhérents aux théories de complot.
Le seul parti politique en faveur du référendum était le parti national-conservateur SVP/UDC (Schweizerische Volkspartei/Union démocratique du centre), avec 25% des sièges au Parlement le plus important du pays. La campagne avant le vote a été la plus vive depuis celle de 1992 autour de l’Espace Économique Européen (EEE), mais avec des éléments jusqu’ici inconnus en politique suisse, dus surtout aux médias sociaux, comme des insultes et même des menaces de mort contre les politiciens et politiciennes en faveur de la loi.
Les opposants reprochaient au gouvernement de vouloir vacciner les gens par la force et de les surveiller en permanence. Le climat était extrêmement tendu et l’agitation s’est exprimée par des manifestations violentes, y compris sur la place devant le siège du Gouvernement et du Parlement, le Palais fédéral de Berne qui a dû être protégé par une barrière devant laquelle la police est intervenue par des canons à eau.
Les provocations des opposants à la loi n’ont pas cessé après le dimanche de vote, certains de ses représentants mettant en doute la validité des résultats en criant à la manipulation, sans doute inspirés par le « Trumpisme » américain – du jamais vu en Suisse, où ceux qui ont perdu une votation en acceptent le résultat sans aucune discussion.
Malgré ces agissements, les Suisses ont approuvé la modification de loi par 62% de oui contre 38% de non avec un taux de participation de 65%, le plus fort depuis le vote de 1992 qui avait atteint presque le 80%. Seul deux des 26 cantons ont voté contre, Schwyz (qui a donné son nom à tout le pays) et Appenzell-intérieur, le plus petit des cantons avec moins de 20 000 habitants. A l’autre extrême, Bâle-Ville a approuvé la loi avec 70%.
Il est intéressant de noter qu’il y a une certaine corrélation entre le taux des « oui » et celui des vaccinations. Les cantons où celui-ci est faible sont aussi ceux avec la plus forte proportion des « non : C’est surtout le cas des cantons de Suisse centrale et orientale qui ont aussi le plus fort taux de cas de Covid-19.
Par contre, Cette fois, il n’y a pas eu de divergence entre la Suisse alémanique et la Suisse francophone, mais plutôt entre les villes et les campagnes, un phénomène qui s’est aussi manifesté lors d’autres votations. Les Suisses ont une fois de plus prouvé leur sens civique et ont fait confiance à leurs autorités, mais le débat n’est pas fini pour autant, car les presque 40% qui ont voté contre la loi vont continuer à critiquer les autorités.
La polarisation continuera, et ceci d’autant plus que la situation sanitaire est presque aussi critique qu’en Autriche. Le Conseil (gouvernement) fédéral envisage d’ores et déjà d’élargir la liste des lieux et des circonstances où il faudra montrer le certificat et porter un masque. Ces mesures devraient éviter des restrictions plus graves comme l’obligation de se faire vacciner et un confinement.
- Initiative pour des soins infirmiers
Cette initiative a été lancée par des organisations syndicales du personnel soignant des hôpitaux et des homes pour personnes âgées particulièrement sous pression depuis le début de la pandémie avec le but d’améliorer les conditions de travail, la formation et les salaires, sans entrer dans les détails qui devront être fixés par une loi.
Le Gouvernement et le Parlement ont élaboré une contre-proposition dont le but principal était la formation pour combler la pénurie de personnel soignant et pour laquelle un milliard de francs était réservée. Cette contre-initiative aurait eu l’avantage que cette somme aurait pu être disponible immédiatement après la votation, alors que l’élaboration d’une loi à la base du texte de l’initiative aurait pris plusieurs années.
Malgré cette différence dans la mise en oeuvre, une majorité de 61% contre 39% a accepté l’initiative qui profitait aussi de la grande sympathie du public pour les soignants depuis le début de la pandémie. C’est la première fois qu’une initiative provenant d’un milieu syndical a été approuvée. Il n’est pas exclu que le Parlement, en préparant la loi, reprenne certains éléments de la contre-proposition, notamment dans le domaine de la formation, et il est à espérer que son élaboration prenne moins de temps qu’une loi « ordinaire » !
- Initiative pour la désignation des juges fédéraux par tirage au sort
L’initiative critiquait le fait que seuls des membres d’un parti sont éligibles, alors que seul 5% des Suisses adhèrent à un parti. Cet état de choses pourrait rendre les juges dépendants de leur parti et mettre en péril leur réélection si un de leurs jugements venait à déplaire à celui-ci.
Cette initiative a été lancée par un petit comité autour d’un avocat déçu par plusieurs jugements du Tribunal fédéral à Lausanne, la plus haute instance judiciaire du pays. Les 30 juges de ce tribunal sont élus par l’Assemblée fédérale pour une période de six ans renouvelables. Les partis politiques proposent des candidats et candidates parmi leurs membres qui sont retenus par une commission parlementaire avant d’être élus par l’Assemblée.
De plus, les initiateurs critiquaient le fait que les juges doivent verser chaque année une certaine part de leur rémunération à leur parti, une sorte d’ « impôt» informel.
A l’origine de la discussion se trouvait le cas d’un juge du parti SVP/UDC que son parti proposait de ne pas réélire après un jugement contesté, mais étant donné que ce parti n’avait pas de majorité au Parlement, le juge en question avait pu garder son poste.
Pour parer à ces défauts, les initiateurs proposaient qu’une commission indépendante établisse une liste de candidats et candidates non-partisanes parmi lesquels les futurs juges fédéraux seraient tirés au sort. Ils ne seraient pas soumis à réélection mais pourraient rester en poste cinq ans au-delà de l’âge général de la retraite.
L’initiative a été rejetée par 68% contre 32%, entre autres car le tirage au sort en politique est étranger aux habitudes suisses et parce qu’en 150 ans, aucun juge fédéral n’a perdu son poste en raison d’une non-réélection.
[1] Une initiative est soumise au vote populaire si 100’000 citoyens et citoyennes le demandent.
[2] Un référendum doit avoir lieu si 50’000 citoyens et citoyennes le demandent.