Les chiffres sont implacables : la casse sociale entreprise par les gouvernements successifs (Sarkozy, Hollande, Macron) a conduit à une explosion des inégalités, à une baisse du pouvoir d’achat (eh, oui…), une précarité sans nom dans le monde du travail, une perte de confiance généralisée dans le monde politique. Là où en 2018, une simple hausse des taxes sur les carburants a engendré le mouvement des Gilets jaunes, l’explosion des prix bien au-delà de l’énergie, n’a, pour l’instant, pas conduit à une expression forte du mécontentement qui traverse la population. Que se passe-t-il donc dans le pays des soi-disant « frondeurs » ou « gaulois réfractaires » ?
DE NOMBREUX MOUVEMENTS SOCIAUX
Un sondage IFOP (20 février 2022) montre que le pouvoir d’achat est l’un des domaines où Emmanuel Macron est jugé le plus sévèrement par les Français. 69% des personnes interrogées estiment que leur pouvoir d’achat a diminué et seuls 22% des Français pensent que le Président de la République a échoué en la matière. Ce chiffre confirme une autre enquête menée en décembre 2021 par Odoxa dans laquelle ce furent 75% des Français qui estimaient que leur pouvoir d’achat diminuait.
Pourtant le gouvernement prétend que le pouvoir d’achat a… augmenté en 2021. Répétée sans cesse par les perroquets de LREM, cette affirmation démontre qu’à force de triturer des chiffres on arrive à leur faire dire ce qu’on veut.
Le calcul fait par l’INSEE est d’une complexité sans nom et à lire le boulot fait par les statisticiens, on comprend mieux les tripatouillages auxquels se livre dorénavant l’Institut National des Statistiques.
Bref, pour les ménages, le pouvoir d’achat se mesure aux dépenses qu’ils peuvent faire dans leur vie de tous les jours. Et là, les chiffres sont implacables à tel point que le gouvernement veut parler, comme à la météo, d’un pouvoir d’achat « réel » (le leur !!!) et le « ressenti », bref celui découlant d’une impression subjective. Il faut ne pas avoir à se soucier de faire des courses ou de remplir son réservoir de voiture pour arriver à de telles balivernes.
Et le mécontentement grandit, amplifié par les mensonges gouvernementaux pour masquer la réalité.
Le 27 janvier 2022, les syndicats ont pu réaliser une convergence des différentes professions, de la jeunesse concernant les aspirations salariales. Plus de 150 000 manifestants, avec de multiples débrayages sur les lieux de travail, ont mis les questions sociales et salariales si prégnantes pour la majorité de la population en évidence en demandant une augmentation générale des salaires, du SMIC, des pensions, des minimas sociaux, allocations, bourses étudiantes, ainsi que le dégel du point d’indice. Une nouvelle journée de grève et des manifestations interprofessionnelles sont prévues le 17 mars.
Dans l’agroalimentaire, les appels à la grève se sont multipliés chez Danone, Lactalis, Cooper ou encore Pasquier. Dans l’industrie, les débrayages s’enchaînent chez Michelin, Naval group et Alstom. Dans la grande distribution, des mouvements sociaux ont secoué le groupe Mulliez, une première même dans l’enseigne d’articles de sport Decathlon, et chez Cora. Dans le proche Jura, les salariés de l’entreprise Bel à Dole sont en grève. Comme L’Alterpresse68 l’a révélé, les entreprises alsaciennes sont également dans l’action.
LES MOTEURS DE LA MOBILISATION
Même dans des secteurs où les conflits sont rares, les tensions se multiplient et les salariés opposent leur droit de grève pour demander des augmentations de salaire.
Dans le secteur du luxe, la colère grandit. Ainsi dans chez LVMH (Sephora entre autres), les salariésestiment que le groupe doit mieux faire en matière de salaires avec les profits records engrangés cette année : 12 milliards euros ! Année de crise, n’est-il pas !
Il n’y a pas que dans le luxe que les conflits se multiplient : ces derniers jours, il y a eu des grèves chez CNP Assurances, Crédit Mutuel Areka, des tensions dans l’assurance MMA, à la Macif, à la Matmut. On peut ajouter Dassault Aviation, Safran, dans des entreprises où habituellement le climat social est calme.
Il faut dire que les bénéfices exceptionnels des banques cette année les encouragent. Et c’est du jamais vu : cinq milliards d’euros de bénéfices pour le Crédit Agricole, 9 milliards et demi pour BNP, 3,5 milliards d’euros de bénéfices pour le Crédit Mutuel en 2021, un record, en hausse de plus de 30% sur l’année précédente !
L’énergie n’est pas en reste : 14 milliards pour Total…
En France, la fortune des milliardaires a augmenté de 86 % depuis le début de la pandémie, tandis que, dans le même temps, 4 millions de personnes supplémentaires se sont retrouvées en situation de vulnérabilité.
Sous la présidence d’Emmanuel Macron, les 1% les plus riches ont vu leur niveau de vie augmenter de 2,8% en moyenne, quand les 5% des ménages les plus modestes ont perdu jusqu’à 0,5% de leur pouvoir d’achat.
Et, en prime, les discours du Président et son gouvernement saluant l’investissement des salariés dans la lutte contre la pandémie devraient se concrétiser, en toute logique, par des augmentations de salaire. Les paroles ne suffisent pas.
Pour en finir sur ce point, selon l’Insee, l’inflation devrait atteindre au 1er semestre 2022 entre 3 et 3,5 %. Et donc une future baisse du pouvoir d’achat en vue.
DOIT-ON ÊTRE UN HÉROS POUR FAIRE GRÈVE ?
Si les manifestations du 25 février ont recueilli un certain succès, il faut bien reconnaître que les défilés étaient bien maigrelets alors que le mécontentement est considérable. Avez-vous entendu beaucoup de monde dans votre entourage à considérer que cela va bien pour eux ?
Il faut se souvenir des actions des Gilets jaunes : majoritairement, les participants étaient des retraités, des artisans, des sans-emplois… Peu de salariés.
La politique patronale et gouvernementale de ces dernières décennies a modifié considérablement la situation salariale. Les pouvoirs des patrons ont été renforcés. Les droits des salariés ont été rognés. Les réformes du Code du travail (pilotés par Macron sous Valls et mis en œuvre par la pauvre El Khomri) sont passées par là. Les licenciements ont été facilités, les pouvoirs des tribunaux Prud’hommes ont été restreints. La peur de la perte de l’emploi s’est diffusée dans le salariat. Pas vraiment encourageant pour faire grève.
L’extension du chômage, elle aussi, a conduit à fragiliser les salariés ayant un emploi.
On mesure, à partir de ce graphique, que le chômage « ressenti » comme dirait l’autre, est celui de Pôle emploi et non celui, « arrangé » de l’INSEE. Encore que Pôle emploi ne compte pas les personnes radiées… et depuis la dernière réforme ce nombre a augmenté.
Ainsi, la réalité du chômage d’aujourd’hui n’est pas celle, annoncée triomphalement par le gouvernement. Les chômeurs recensés par Pôle emploi sont ceux qui sont indemnisés. A ce titre, il y avait en France au quatrième trimestre 2021, 3.398.100 chômeurs de catégorie A (personnes n’ayant aucun emploi, mais étant en recherche active d’un contrat, quel qu’il soit) et 5.723.700 de catégorie A et des catégories B et C (ayant une activité partielle et recherchant un emploi à temps plein). Sur les mêmes bases de calcul que le taux de 8,1% produit par l’Insee, le taux de chômage ressort alors fin 2021 à 11,24% en catégorie A et à 18,93% pour l’ensemble des catégories A, B et C. Pas de quoi pavoiser.
D’autre part, la majorité des emplois créés sont des Contrats à durée déterminée, mettant le salarié sous une pression constante dans l’espoir d’un renouvellement de ce CDD. Selon les données de Pôle emploi, le nombre de chômeurs qui ont exercé une activité à temps partiel, mais sont à la recherche d’un temps plein, a dépassé le seuil des 2 millions et se situe à un pic historique. Le temps partiel pénètre maintenant la population des hommes jeunes et atteint près de 20% aujourd’hui, témoignant de la montée des petits jobs chez les plus jeunes. Il constituerait donc de plus en plus un élément du parcours d’insertion professionnelle pour les jeunes, sous une forme vraisemblablement plus contrainte que choisie.
Associons la peur du licenciement, la pression du chômage, l’angoisse générée par la crainte d’un CDD non renouvelé… il faudrait presque être un héros pour faire grève dans le secteur privé et particulièrement dans les entreprises non syndiquées.
L’APPARENTE RÉSIGNATION N’EST PAS UNE ACCEPTATION
Il y a donc des explications rationnelles aux difficultés actuelles des syndicats à organiser de grandes manifestations de rue. Le refus d’entendre et l’arrogance du gouvernement sont aussi un élément à prendre en compte. La plupart des salariés ne croient pas que ce gouvernement fera quelque chose pour eux. C’est un gouvernement pour les riches, voilà le sentiment majoritaire du monde du travail… même dans les catégories Ingénieurs, cadres et techniciens (ICT).
Mais le gouvernement aurait tort de croire que cette relative atonie des mouvements sociaux peut être associée à une relative acceptation des injustices sociales. Un mécontentement qui s’accumule s’exprimera tôt ou tard et plus il s’accumule, plus les réactions pourraient être fortes et inattendues.
Peut-on s’attendre à ce que les salariés qui ne pensent plus s’exprimer dans la rue le fassent par les urnes en sanctionnant la politique de M. Macron ?
Ce serait une occasion de se faire entendre. Mais pour cela, il faut déjà aller voter, il faut considérer le bulletin de vote comme une arme qui peut être redoutable, il faut croire que d’autres prétendants mèneraient une autre politique…
Espoirs que cette gauche de gouvernement au pouvoir avant Macron a anéantis, entraînant un discrédit de l’ensemble de la gauche…
Si, par malheur, ce président était reconduit, et n’étant pas rééligible à la prochaine présidentielle, le monde du travail n’aura plus que ses yeux pour pleurer… Car M. Macron pourra alors se lâcher totalement et le président des riches terminera le travail déjà si bien commencé lors de son premier mandat.