Épilogue géopolitique européen à le mesure du fantasme et de l’instrumentalisation politique dont la question migratoire est devenue l’illustration caricaturale, le navire humanitaire Ocean-Viking accostait vendredi matin dans la rade de Toulon, après trois semaines d’attente en Méditerranée centrale, et le refus de l’Italie d’offrir un port sûr aux 234 rescapés venus d’Afrique, dont 57 enfants dont 44 mineurs non accompagnés à son bord.
Une période de temps impensable, principalement liée à la stratégie de pyromane de la part du gouvernement italien, lequel a manifestement ignoré les appels de détresse du navire en recherche d’un pays où débarquer les personnes recueillies en mer méditerranée.
Paris dénonçait aussitôt une attitude « inadmissible » de Rome. Un «choix incompréhensible» et une attitude «inhumaine» de l’Italie, qui a «pris le parti de ne pas se comporter comme un État européen responsable» en refusant d’accueillir les passagers du navire de sauvetage.
Baiser de bâbord
Dans la foulée, Rome s’indignait quant à elle contre une réaction française « agressive, incompréhensible et injustifiée ». Facteur aggravant : la première ministre Meloni a fait preuve d’un coupable amateurisme fondé sur un malentendu, en se reposant sur une dépêche de l’agence de presse ANSA, de source anonyme, qui indiquait que la France allait accueillir le navire, à Marseille, sans autre considération.
De là, Meloni s’est sentie obligée de remercier le gouvernement français pour sa contribution, ce qui ne manqua pas d’être perçu par Paris comme une provocation italienne…
Par mesure de rétorsion, Paris a décidé de suspendre l’application du mécanisme de solidarité, exposé plus bas, lequel prévoyait la relocalisation de 3500 migrants de l’Italie vers la France, et de renforcer la présence gendarmesque à la frontière italienne. Car à défaut de souplesse française, les autorités italiennes ont appris à favoriser l’évaporation des personnes souhaitant se diriger vers la France, l’Allemagne ou encore le Royaume-Uni…
Il est vrai que la crise diplomatique ouverte entre la France et l’Italie laisse surtout transparaitre l’inconséquence terminale des positionnements politiques adoptés sur cette question des deux côtés des Alpes, dans le contexte où l’extrême droit imprègne toujours davantage les débats publics et en hystérise les enjeux, notamment sur le sujet de l’immigration.
La meilleur illustration en est, du côté français, le verrouillage complet de la communication autour de l’arrivée du navire de l’ONG dans le port de Toulon pour partie militarisé.
Les images du navire sont prises de loin, et on l’aperçoit placé sous escorte jusqu’à son arrivée. Pas une seule image du débarquement n’est disponible.
Pavillon de malfaisance
De toute évidence, la situation est plus qu’embarrassante pour Macron. Non seulement c’est bien la première fois qu’un navire humanitaire débarque sur un port français depuis le début de la crise migratoire en 2015, mais cet « accueil » reste on ne peut plus glacial.
N’en déplaise aux jobards de gauche, tel Antoine Léaument député de la France insoumise, lequel estime que la Grande Nation est bien « à la hauteur de ce qu’incarne son drapeau pour le monde ».
Car derrière le geste d’humanité valant slogan publicitaire : « nous le faisons pour sauver des vies », pris sous la férule de Gérald Darmanin, « l’homme fort du gouvernement sur la question », comme aiment à le répéter nos illustres confrères, et grand humaniste de tradition, il n’y a bien que fermeté et contrôle inhumains.
Provoquant la protestation de diverses associations, dont la Ligue des Droits de l’Homme, l’accueil des 234 migrants de l’Ocean Viking ne se fera en effet que sous conditions draconiennes : ceux qui ne répondent pas à l’asile seront raccompagnés hors des frontières. Quant à la « hauteur » de prise en charge par la Grande Nation, elle ne se bornera qu’à une cinquantaine de personnes, tout au plus.
Au demeurant, aucun ministre ne s’est rendu dans le Var pour les y accueillir.
Grand emballement (de charognards)
Un boulevard médiatique est donc laissé au seul profit des dirigeants d’extrême droite. Le vautour Zemmour se précipitant sur les lieux pour y dénoncer une illustration pratique du « grand remplacement », quand Marine Le Pen y fustige une «immigration massive et anarchique» bien au confort depuis sont compte Twitter.
Et parce que le gouvernement Macron doit se faire violence pour se montrer modérément accueillant, il lui faudra le justifier auprès d’une opinion publique réservée, pour ne pas dire plus, sur l’accueil de naufragés en provenance d’Afrique.
La fanfaronnade humaniste française devra donc se doubler d’une disqualification de son voisin transalpin, auprès de qui on a les égards d’un seigneur envers un vassal.
Aux noms d’oiseaux dont la France pare en ce moment l’Italie, s’ajoute la pierre publiée aujourd’hui dans « Le Parisien dimanche ». Catherine Colonna, ministre des affaires étrangères, y déclare en effet : « Il y aura des conséquences si l’Italie persiste dans cette attitude. De notre côté, nous avons suspendu le dispositif de relocalisation de migrants provenant d’Italie et renforcé les contrôles aux frontières franco-italiennes. Il faut rappeler Rome à son devoir d’humanité. En espérant qu’elle comprenne le message ».
Aurait-on eu la même souplesse de vocabulaire à l’endroit de notre puissant voisin germain ? On va se permettre d’en douter.
Là encore, c’est une occasion perdue pour le gouvernement français de se faire tout petit, sauf à supposer, et c’est bien le cas, que l’opinion publique, et partant les citoyens, demeurent d’indécrottables amnésiques.
C’est que beaucoup ont oublié le précédent de 2018 avec le navire « Aquarius » et ses 630 migrants, refusé par la France pour ne pas céder aux «provocations des extrêmes», et parce qu’un tel scénario n’était «pas soutenable, même politiquement, en France pour nos propres équilibres» (le navire débarquera à Valence, en Espagne).
Bataille navale d’emplumés
Le ton avait alors pareillement monté entre la France et l’Italie. Emmanuel Macron dénonçant « le cynisme et l’irresponsabilité du gouvernement italien » (à l’époque présidé par Giuseppe Conte), lequel refusait de laisser accoster le navire. Gabriel Attal, alors porte-parole LREM, estimant en outre que la position de l’Italie était « à vomir ».
A Emmanuel Macron perché sur ses ergots qui évoque la « lèpre qui monte », Matteo Salvini (ministre « Ligue du Nord » de l’Intérieur du gouvernement Conte) finit par répondre que la France devrait accueillir des migrants avant de faire la leçon. 78 réfugiés seront finalement accueillis dans l’Hexagone. Cocorico !
Pourtant les fanfaronnades de ce type permettent à tout le moins de se racheter à bon compte une virginité humaniste dont les jobards de gauche, déjà énoncés plus haut, ne sont pas insensibles, au nom de la patrie universelle aux fragrances de patchouli.
De sorte que la prise en charge des 340 personnes arrivées avec l’Ocean Viking est répartie entre onze pays européens, dont près de la moitié se rendent en Allemagne, mais aussi au Luxembourg, en Bulgarie, Roumanie, Croatie, Lituanie, Malte, Portugal, Irlande, Finlande et Norvège.
Ce faisant, l’Italien passe ainsi pour le repoussoir idéal, consensuellement réputé pour son inhospitalité.
Pour preuve, de janvier 2022 à aujourd’hui, selon les chiffres du Ministère de l’Intérieur italien, 87 370 migrants sont arrivés sur le sol transalpin… On évoque quelques dizaines de personnes en France.
Le comble étant que 10 276 personnes seulement parmi elles l’ont été en débarquant d’un bateau humanitaire, soit 11,5 % du total.
Pour référence antérieure, on comptait 11 471 personnes migrantes arrivées en Italie en 2019, 67 477 en 2020, et 34 154 en 2021.
Au delà de ce chiffrage, qui illustre par lui-même le caractère délirant des arguments décrivant une submersion migratoire, quand l’essentiel des personnes migrantes arrivent, aussi bien en Italie qu’en France, sous le sceau de visas parfaitement légaux, il convient surtout de dénoncer l’absence de toute législation européenne fondée sur une immigration légale du travail, dont la plupart des pays européens ont besoin, et qui permettrait à tout le moins d’ajouter de la cohérence à la supposée humanité dont la France se ferait soudainement la championne.
Citoyens sécurisés
Profondeur d’humanité dont il est toutefois permis de douter, tant la « zone d’attente internationale temporaire » qui attend les débarqués de l’Ocean Viking a été créée spécialement pour que les migrants qui y sont accueillis ne puissent se considérer comme étant sur présents sur le territoire français : il leur est en effet interdit d’en sortir avant une première évaluation de leur demande d’asile…
« Dignité et humanité dans un cadre sécurisé et fermé » se targue d’ailleurs le Ministère de l’Intérieur sur son site.
Au delà du cas italien, et de son gouvernement ultra-droitier, il reste que les pays de première ligne ont pleinement raison de protester et de réclamer une prise en charge équitable et effective des personnes arrivées au sein d’un pays de l’Union européenne.
La France prétend s’appuyer sur les dispositions d’un mécanisme « volontaire de solidarité » européen adopté en juin au Luxembourg, et qui prévoit notamment qu’une douzaine d’États, dont la France, accueillent de manière volontaire 8000 migrants arrivés dans des pays dits de « première ligne » comme l’Italie.
Néanmoins, ces dispositions ne sont pas appliquées automatiquement. À ce jour, c’est à dire 5 mois après son activation, à peine 117 personnes ont été relocalisés au sein de l’UE.
Sans même compter les 1891 personnes officiellement disparues en Méditerranée, en tentant de rejoindre l’Europe, selon l’Organisation internationale pour les migrations, depuis le début de l’année.
A cet effet, un récent communiqué signé par les ministres de l’intérieur d’Italie, de Malte, de Chypre et de Grèce, pays en première ligne de l’accueil, demandent une intervention de la Commission européenne pour engager rapidement de nouvelles discussions au niveau européen.
Les quatre ministres y déplorent un résultat « décevant » du « mécanisme volontaire de solidarité », créé sous l’égide de l’UE, et qui devrait permettre la relocalisation de 10 000 personnes la première année dans d’autres pays que ceux de première entrée.
Pour eux, « le mécanisme est lent » et l’objectif fixé n’a pas été atteint. Seule « une part très petite du chiffre effectif d’arrivées irrégulières au cours de cette année » a été pris en compte. Ils plaident depuis plusieurs années en faveur d’un système de relocalisation obligatoire, sujet particulièrement lourd de polémiques entre États membres depuis la crise migratoire de 2015.
Les quatre ministres dénoncent en outre l’idée que « les pays de première entrée puissent être les seuls points de débarquement européens possibles pour les immigrés illégaux », ce que Meloni a souligné lors de sa conférence de presse, et pointent du doigt les ONG humanitaires dont les « navires privés agissent en totale autonomie par rapport aux autorités d’État compétentes ».
L’opposition de gauche en Italie, ainsi que des centristes socio-libéraux comme Carlo Calenda, chef du parti europhile « Azione » sont au diapason. S’il condamne la dureté du gouvernement actuel, et tout principe de sélection parmi les migrants, ce dernier rappelle ce faisant que la teneur des « déclarations de la France ont à voir avec la politique intérieure », car la problématique que pose les pays de premier accueil est légitime.
Derrière les postures d’humanité et les rodomontades nationalistes, le gouvernement français va devoir sérieusement virer de bord et prendre à bras le corps les nécessités de poser et proposer la mise en œuvre d’un mécanisme d’immigration légale du travail au sein de l’Union Européenne (outre un plein respect du droit d’asile), et considérer sérieusement la requête urgente des pays de premier accueil, sans pomper l’air foireux de sa moraline hypocrite habituelle, à défaut de tomber de Charybde en Scylla.
Bonjour à tous,
Comme toujours, le texte est (presque) parfait et le dossier solide. Du très bon journalisme d’investigation, comme cela devrait être le cas de tous les organes de presse ou prétendus comme tels. Certes, ce n’est pas sur la télé Bolloré que ce genre d’enquête fouillée sera visible ou audible, car cette dernière est habituée aux « clashs » et aux « un-faux », sans que le gendarme du PAF, le défunt CSA, n’ait ramené son pif, pour y mettre un peu d’ordre et de décence dans tout ça !
Quant à employer le terme de « jobard », concernant un élu de la Nation, même si au niveau approche politique ou analyse, on peut être en désaccord avec cette partie de l’opposition … attention de ne pas tomber dans le syndrome « Hanouna » quand même. Cela serait dommage et totalement contre-productif, de mon point-de-vue.
Ceci dit, ce qui est dramatique c’est la différence que l’on fait au niveau des demandeurs d’asile. Certes, en Ukraine, c’est la guerre et les gens s’enfuient comme ils peuvent. Il faut évidemment les aider, ce que nous faisons et c’est très bien.
Mais en Afrique c’est aussi la guerre … à cause de qui ? De plus, le continent est pillé depuis des décennies et les méthodes des occidentaux, pour mettre en coupe réglée les richesses de ce continent, au détriment de leurs populations respectives, en soutenant les dictateurs divers et variés – la France y contribue encore largement aujourd’hui et elle n’est pas la seule – n’améliorent en rien le standard de vie et les conditions climatiques, la famine, la maladie etc.
Mais ce qui compte c’est le foot-ball au Quatar – une aberration écologique – le pétrole des émirats et de l’Arabie Saoudite, au détriment de la liberté de penser des peuples concernés … Tout le monde n’a pas la chance d’être ukrainien pour être soutenu par l’Europe, qui fait le choix d’un alignement systématique sur nos « amis » d’outre-Atlantique. Ces derniers réclament à corps et à cris, la tête d’Assange, que l’on oublie en attendant.
L’oncle Sam impose ses vues sur ce qui est – selon lui – une démocratie exemplaire, à laquelle il est important de vendre du gaz de fracturation tout en l’espionnant sans vergogne … au nom de la liberté et de la démocratie, ça va sans dire. C’est la « Pax Americana » !
La guerre – qui est totalement injuste et scandaleuse en Ukraine, j’en suis d’accord – ne fait toutefois pas que des perdants apparemment, vu la flambée des prix et la flambée des ventes d’armes américaines, qui équiperont désormais la plupart des pays en Europe.
En attendant, les autres pauvres diables, tout aussi humains que ceux d’Ukraine, pourront continuer à être rançonnés par les passeurs, quand ils ne se noieront pas en mer !
Bonne journée, amicalement à tous – pierre dolivet
excellent commentaire bien fouillé, il ne serait pas trop de dire que le gouvernement MACRON
est à vomir.
COLONNA devrait faire profil bas et respecter le vote de la population.
Effectivement nous n’avons reçu que quelques immigrés et l’Italie quelque milliers.
Quelle honte !!!!
Amicalement et à très bientôt de vous lire