Cré­dit pho­tos et audio : Mar­tin Wilhelm

Les congrès de la CGT ont rare­ment été des longs fleuves tran­quilles ! Mais celui qui vient de s’achever à Cler­mont-Fer­rand, le 53e de la série, fut par­ti­cu­liè­re­ment « dur et dif­fi­cile » du mot de la nou­velle secré­taire géné­rale élue, Sophie Binet, inat­ten­due mais pas tota­le­ment sur­pre­nant non plus, qui aura fort à faire pour retis­ser des liens au sein de la plus ancienne orga­ni­sa­tion syn­di­cale française.

DÉFINIR LES DÉSACCORDS

Ce fut une pre­mière : le bilan d’activité de la direc­tion sor­tante a été reje­té à quelques voix près ! Un coup dur pour Phi­lippe Mar­ti­nez et qui, dès lors, modi­fia le sens du congrès. Mais quelles sont les rai­sons pro­fondes du rejet du bilan ?

Ce congrès se passe dans une période inédite mar­quée par une confiance retrou­vée des orga­ni­sa­tions syn­di­cales auprès de la popu­la­tion pre­nant tota­le­ment à contre-pied les fameux « obser­va­teurs » des pla­teaux télé qui consi­dé­raient que le syn­di­ca­lisme était défi­ni­ti­ve­ment mis hors-jeu auprès du salariat.

La rai­son cen­trale de ce renou­veau syn­di­cal tient évi­dem­ment au rejet d’une poli­tique sociale désas­treuse des 3 pré­si­dences de la Répu­blique pas­sées mais éga­le­ment, et sur­tout, à l’unité syn­di­cale qui pré­vaut depuis des mois à présent.

Toutes les enquêtes d’opinion au sujet des syn­di­cats expri­maient cette incom­pré­hen­sion des Fran­çais de voir des syn­di­cats, œuvrés pour­tant pour un même but, ne pas réus­sir à s’unir et donc à s’affaiblir.

Tous les syn­di­cats béné­fi­cient de cette image d’unité retrou­vée et le pre­mier qui la met­tra en cause, aura per­du une part impor­tante de cré­di­bi­li­té dans le monde du travail.

L’UNITÉ SYNDICALE PLEBISCITéE

Qui, dans ces condi­tions, est prêt à jouer à ce jeu-là ? Per­sonne, et sur­tout pas la CGT qui a fait de l’unité syn­di­cale un mar­queur dans le cadre d’une réflexion dia­lec­tique propre à la cen­trale : la divi­sion engendre auto­ma­ti­que­ment le besoin de s’unir… L’histoire de ce syn­di­cat lui impose cette orientation.

Il est vrai qu’il y a tou­jours eu, au sein de la CGT, une frange qui consi­dé­rait que l’unité ne pou­vait se faire qu’au sein d’elle-même et que tout contact avec des syn­di­cats « réfor­mistes » condui­sait à un affai­blis­se­ment du carac­tère de « classe » de l’organisation.

Cette ten­dance est deve­nue, depuis belle lurette, mino­ri­taire au sein de la CGT. D’ailleurs, si le rap­port d’activité a été reje­té par 50,32% des voix, le rap­port d’orientation (en clair, le pro­gramme de la confé­dé­ra­tion pour les trois années à venir) a été voté par 72% des voix. Et ce docu­ment pré­voit expli­ci­te­ment la pour­suite de l’unité d’action avec les autres organisations.

Les argu­ments avan­cés par cette mino­ri­té (agis­sante !) se nour­ris­saient de dif­fi­cul­tés objec­tives que ren­contrent la CGT dans son acti­vi­té : impos­si­bi­li­té d’empêcher les reculs sociaux, recul de la syn­di­ca­li­sa­tion et de la confiance qui lui accorde les sala­riés, amoin­dris­se­ment de sa base his­to­rique de syn­di­qués… Ces pro­blèmes de confiance dans le syn­di­ca­lisme rejaillissent sur les orga­ni­sa­tions de la confé­dé­ra­tion : syn­di­cats, Fédé­ra­tion de sec­teurs d’activités, Unions dépar­te­men­tales ou locales.

DES PROBLÈMES MAINTES FOIS Évoqués

Ces dif­fi­cul­tés ont été maintes fois décrites et ana­ly­sées par des socio­logues, des ins­ti­tu­tions, par les syn­di­cats eux-mêmes lors de leur congrès… sans jamais réus­sir à les trai­ter sur le fond.

Les pré­cé­dents congrès de la CGT ont tous été cha­hu­tés entre autres sur ces ques­tions. Mais jamais un cer­tain cou­rage poli­tique n’a pris à bras le corps les trans­for­ma­tions qu’il fal­lait opé­rer pour ten­ter de résoudre les pro­blèmes. Ain­si, devoir modi­fier sa stra­té­gie reven­di­ca­tive par trop basée sur la « défense des avan­tages acquis » qui ne par­lait pas au nou­veau sala­riat plon­gé dans la pré­ca­ri­té. Ou modi­fier son orga­ni­sa­tion, tou­jours encore basée sur les fon­da­tions ini­tiales de la CGT de 1895, consti­tuée à par­tir des deux struc­tures syn­di­cales de l’époque, les Fédé­ra­tion d’industrie (voire de métiers) et les Bourses du Tra­vail, struc­ture départementale.

Aujourd’hui encore, le nombre de voix dont dis­posent les struc­tures dans la direc­tion de la CGT, se base sur cette dicho­to­mie. Ain­si, les voix d’un syn­di­cat sont por­tées par sa Fédé­ra­tion de sec­teur (à dimen­sion natio­nale) et par son Union dépar­te­men­tale. Si ces deux struc­tures sont en désac­cord et votent dif­fé­rem­ment sur un sujet, le syn­di­cat, répu­té sou­ve­rain, expri­me­ra… deux opi­nions tota­le­ment contraires ! Il y a donc urgence à réforme et les struc­tures et l’expression démo­cra­tique au sein de la CGT !

UNE DIRECTION CONFéDéRALE ENFERMÉE DANS CES CONTRADICTIONS

Si on se refuse à trai­ter des sujets essen­tiels sur le fond, on doit donc les gérer le plus habi­le­ment pos­sible. C’est à quoi s’emploient les dif­fé­rentes direc­tions confé­dé­rales depuis quelques années maintenant.

Et les contra­dic­tions s’enchaînent. Et la plus com­plexe réside bien dans les condi­tions nou­velles de créa­tion d’un rap­port de force.

Il est inté­res­sant de consi­dé­rer qu’un des reproches faits à Phi­lippe Mar­ti­nez est d’engager la CGT dans le col­lec­tif « Plus jamais ça ! » dans lequel le syn­di­cat côtoie Green­peace et Alter­ni­ba entre autres. Exac­te­ment la démarche qu’a fait la CFDT dans un autre col­lec­tif avec Nico­las Hulot, et 17 orga­ni­sa­tions pour lan­cer « un appel pour un pacte social et écologique ». 

Ces démarches répondent à un constat irré­fu­table : le « social » et l’« envi­ron­ne­men­tal » sont des com­bats com­muns et les orga­ni­sa­tions syn­di­cales ne peuvent igno­rer le monde asso­cia­tif et les orga­ni­sa­tions non gou­ver­ne­men­tales qui agissent dans ce domaine. Et les conflic­tua­li­tés qui peuvent sur­gir entre des ana­lyses et actions dif­fé­rentes ne peuvent se régler que si on tra­vaille ensemble.

La direc­tion de la CGT l’a bien com­pris en consta­tant que la jeu­nesse en par­ti­cu­lier se sen­tait autant concer­née par l’avenir de la pla­nète que celui des retraites !

Mais au lieu d’en faire un sujet de débat au congrès pour inté­grer les syn­di­cats dans la démarche, Phi­lippe Mar­ti­nez a sou­vent pris des déci­sions dans un comi­té res­treint com­po­sé uni­que­ment de per­sonnes acquises à sa cause, négli­geant une consul­ta­tion plus larges de ses orga­ni­sa­tions concernées.

Ain­si, le tra­vail avec Green­peace, tota­le­ment jus­ti­fié et com­pré­hen­sible, fut consi­dé­ré comme un aban­don des fon­da­men­taux de la CGT par quelques Fédé­ra­tions et pas des moindres.

Cette césure entre la direc­tion confé­dé­rale et cer­taines Fédé­ra­tions par­ti­cu­liè­re­ment, a conduit au vote de défiance au congrès.

CONTINUER LE TRAVAIL ET RETISSER LES LIENS AU SEIN DE LA CGT

Ce qui plaide que la condam­na­tion de l’action de Phi­lippe Mar­ti­nez repose plus sur la « forme » que le fond, est bien l’engagement pris par celle qui lui suc­cède, Sophie Binet, de conti­nuer à s’engager dans une uni­té d’action avec les autres syn­di­cats et de conti­nuer à trai­ter des ques­tions envi­ron­ne­men­tales. Et de faire par­tie de l’intersyndicale ren­con­trant la Pre­mière ministre le mer­cre­di 15 avril avec un man­dat iden­tique à celui que s’est fixé Laurent Berger.

Mais cela ne sera pas suf­fi­sant pour sur­mon­ter les plaies et dégâts occa­sion­nés par des débats âpres et vifs qui ont émaillé les débats sur­tout lors des réunions des ins­tances confé­dé­rales (non publiques) pour élire un Bureau confé­dé­rale et la secré­taire générale.

La nou­velle secré­taire géné­ral a les capa­ci­tés à effec­tuer ce tra­vail. En outre, l’image qu’elle va pro­je­ter d’une jeune femme, cadre, issue du mou­ve­ment étu­diant qui a réus­si à empê­cher l’application du Contrat de Pre­mière Embauche, va modi­fier la vision d’une CGT mas­cu­line, indus­trielle, datée…

Il faut espé­rer que cette tâche puisse être assu­mer rapi­de­ment car le mou­ve­ment syn­di­cal fran­çais à besoin d’une CGT forte et source de réflexions nou­velles et nova­trices qui était, jusque-là, l’apanage de la CFDT qui n’a pas, pour autant, pu convaincre la masse de non-syn­di­qués de rejoindre le syndicalisme.

Le mou­ve­ment syn­di­cal fran­çais a tou­jours mar­ché sur deux jambes : l’une contes­ta­trice, l’autre adepte des évo­lu­tions au sein du sys­tème éco­no­mique domi­nant. C’’est tou­jours quand ces deux ten­dances se sont retrou­vées que les grandes avan­cées sociales ont été obte­nues. Aucune des deux ne peut s’affirmer la déten­trice de la « véri­té » : cha­cune doit être humble en consta­tant que l’une a besoin de l’autre pour réus­sir… Que cela plaise ou non !

Michel Mul­ler s’en­tre­tient avec Natha­lie Kern, secré­taire de l’U­nion dépar­te­men­tale CGT du Haut-Rhin à pro­pos de la CGT, son fonc­tion­ne­ment et les ensei­gne­ments à tirer du der­nier congrès.