Crédit photos : Martin Wilhelm
Le 5 décembre 2025, à l’Auberge de Jeunesse de Mulhouse, une conférence-débat organisée par ATTAC 68 a réuni plus de 50 personnes pour explorer les origines et les bénéficiaires de la dette publique française. Animée par Patrick Saurin, ancien employé bancaire et militant du CADTM (Comité pour l’Abolition des Dettes Illégitimes), avec Vincent Picard en tant qu’animateur, la soirée a disséqué ce mécanisme économique souvent présenté comme une fatalité inévitable.
L’événement, enrichi d’une participation d’Aurélien Crifo et suivi d’échanges animés, a mis en lumière comment la dette ne constitue pas un emballement des dépenses publiques, mais se révèle le résultat de choix politiques, profitables aux élites.
Les racines de la dette : au-delà du mythe de l’open bar
S’appuyant sur des données sourcées de l’INSEE et de rapports sénatoriaux, Patrick Saurin s’est évertué à démystifier le discours dominant relayé par les médias comme BFM ou CNews.
Contrairement à l’idée d’une dette « emballée » due à des dépenses excessives, il a expliqué que l’augmentation – atteignant 3 300 milliards d’euros en 2025 – provient principalement de pertes de recettes fiscales.
Les cadeaux aux grandes entreprises et fortunes, via la baisse de l’impôt sur les sociétés de 50 % en 1985 à 25 % aujourd’hui, ou des niches fiscales injustifiées, représentent environ 177 milliards d’euros par an en moyenne.
Ajoutez à cela les intérêts excessifs payés aux banques – souvent supérieurs à 2 % alors qu’elles se refinancent à quasi-zéro auprès de la BCE –, et le tableau s’éclaire : la dette finance le capital privé, non l’intérêt général.

Saurin a illustré cela par des exemples concrets, comme les emprunts toxiques souscrits par les collectivités locales dans les années 2000. À Nîmes Métropole, un prêt de 12,5 millions d’euros a viré au cauchemar : indexé sur des devises spéculatives (euro/franc suisse), il a grimpé à 24 % d’intérêt post-crise des subprimes.
Lors du remboursement anticipé en 2016, les 10 millions restants ont coûté 58,6 millions d’indemnités supplémentaires aux contribuables – soit près de six fois le capital dû. Ces produits « structurés », vendus par des banques comme Dexia (née de la privatisation de la CAEC en 1987), ont été validés rétroactivement par une loi de François Hollande en 2012, protégeant les institutions privées au détriment des services publics.
Pour la Sécurité sociale et les collectivités, les exonérations de cotisations patronales non compensées aggravent le tableau, transformant la dette en outil de privatisation rampante des biens communs.
L’Audit citoyen : une arme pour réclamer la justice
Au cœur de l’intervention, Saurin a plaidé pour l’audit citoyen de la dette, un outil participatif déjà testé en France (2014, révélant 59 % de dette illégitime) et en Grèce (2015, sous Zoé Konstantopoulou). Ce processus, impliquant citoyens, économistes et syndicats, permet de classer la dette en catégories annulables : illégale (violation des lois), illégitime (bénéficiant aux riches via cadeaux fiscaux), insoutenable (menace aux droits humains comme la santé ou l’éducation) et odieuse (au service d’intérêts privés connus du créancier).
En Équateur (2008), un tel audit a annulé 30 % de la dette, rachetée à bas prix sur le marché secondaire, démontrant que l’annulation n’est pas un tabou mais une réalité historique – de la Russie tsariste aux États-Unis du XIXe siècle.

Il a aussi évoqué la socialisation des banques, distincte de la simple nationalisation par son contrôle citoyen pluraliste (clients, associations, élus). Inspiré du programme du Conseil National de la Résistance (1944), qui nationalisa EDF, la SNCF et les grandes banques pour créer un « circuit du Trésor » à taux zéro, ce modèle éviterait les surcoûts actuels.
Saurin a critiqué la Banque Centrale Européenne, institution non démocratique imposée par l’Allemagne pour juguler l’inflation sans égard aux droits sociaux, et les agences de notation nées dans les années 1970 pour amplifier les pressions spéculatives.
Réactions du public : colère et appel à l’action collective
Devant une assistance engagée – militants d’ATTAC, syndicalistes et habitants locaux –, les échanges post-conférence ont vibré d’indignation. Plus de 50 participants, dont certains évoquant les 300 000 habitants impactés par les emprunts toxiques, ont questionné les moyens de pression de la BCE (fermeture de banques, amendes pour déficit excessif) et plaidé pour un rapport de forces via grèves générales reconductibles, à l’image des Gilets Jaunes (2018) ou du LKP en Guadeloupe (2009).
« Les milliardaires assument la lutte des classes, nous devons en faire autant », a lancé un intervenant, citant Warren Buffett, tandis qu’un autre soulignait l’urgence écologique : le capitalisme, via la dette, finance la déforestation et l’armement, menaçant des espèces et des territoires.
Les débats ont aussi porté sur les jubilés bibliques d’annulation des dettes tous les 50 ans, vus comme un modèle pour des actions concrètes comme refuser de rembourser les 25 % de dette détenus par la BCE. Des voix ont insisté sur la sortie des traités européens pour socialiser production et banques, rejetant les réformes « réformistes » au profit d’une prise en main populaire.
« C’est dans la rue qu’on renverse la table, avant que le climat ne nous y force », a conclu un participant, évoquant un horizon de 10-15 ans pour éviter des scénarios dystopiques. La soirée s’est achevée sur un appel à la vigilance : face à des banques mafieuses (finançant drogue ou crimes, comme HSBC), seul un service public bancaire protègera les précaires, du Livret A banalisé aux comptes Nickel comme pis-aller.
Vers une mobilisation radicale : le temps de l’audit et de la lutte
Cette conférence à Mulhouse, avec son bar à soupe et son village associatif, incarne une résistance locale à la doxa néolibérale. En dénonçant un système où les aides aux patrons (211 à 270 milliards d’euros annuels) excèdent les intérêts de la dette (166 milliards en 2024), Saurin et le public ont tracé une voie : audits citoyens pour annuler l’illégitime, socialisation pour démocratiser la finance.
L’événement, gratuit et inclusif, a souhaité rappeler que la dette n’est pas l’expression d’une culpabilité collective, mais un instrument de domination réversible par l’action collective. Dans une Alsace engagée, cette soirée préempte l’espoir d’une dette au service du bien commun, et non de l’actionnariat.













