Il y a de quoi être déso­rien­té après ce pre­mier tour des élec­tions dépar­te­men­tales ! Par les résul­tats, évi­dem­ment. Mais sur­tout par les ana­lyses et com­men­taires de la majo­ri­té des res­pon­sables poli­tiques, déve­lop­pés ensuite par les édi­to­ria­listes… et évi­dem­ment l’inénarrable « Cou­rin » de L’Alsace n’a pas failli à sa ligne de conduite : répé­ter ce qu’il a enten­du par ailleurs pour être bien dans la bonne pen­sée unique. Les « élé­ments de lan­gage » dis­til­lés par les « conseillers en com­mu­ni­ca­tion » ont ain­si fleu­ri et conti­nuent de fleu­rir pour pré­pa­rer le second tour.

timbre france 1967 - 1537 - Nobles votant pour l'election de Hugues Capet comme roi des Francs - Serie grands noms e l'Histoire

TOUT LE MONDE GAGNE ?

La tona­li­té est la même dans la qua­si-tota­li­té de la presse quo­ti­dienne : l’UMP est le pre­mier par­ti de France, le FN a subi un revers, le Par­ti socia­liste sauve les meubles, la stra­té­gie de Valls était gagnante (si, si, cela a été dit…), Europe Eco­lo­gie Les Verts, avec 2%, payent leur rup­ture avec le Par­ti socia­liste, le Front de gauche tient mieux que pré­vu… Et l’abstention est bien moindre que ce qui était craint…

Vivons-nous dans le même monde que tout ces gens-là ? Mais à y regar­der de plus près, nous sommes bien devant des « demi-véri­tés » qui sont en fait des vrais mensonges.

UNE CINGLANTE DEFAITE POUR LE GOUVERNEMENT

Tous les com­men­taires se font en fonc­tion des son­dages. C’est ain­si qu’on arrive aux ana­lyse ci-des­sus. Ce sont donc bien des « demi-véri­tés ». Mais pour être sérieux, il faut faire des com­pa­rai­sons en fonc­tion des der­nières élec­tions can­to­nales et là nous sommes loin du pal­ma­rès éta­bli par les médias bien-pensants…

La gauche a subi une défaite cin­glante et la droite a rem­por­té une vic­toire indis­cu­table. Un nombre très impor­tant de dépar­te­ment vont être per­du par la gauche et il s’agit bien d’une sanc­tion de la poli­tique gou­ver­ne­men­tale. Mais cela n’explique pas tout : pour­quoi à Mul­house, ville avec une tra­di­tion de gauche, le PS est tota­le­ment exclu dès le pre­mier tour ? Est-ce uni­que­ment en rai­son de la poli­tique libé­rale du gouvernement ?

La stra­té­gie de Manuel Valls pour contrer le Front natio­nal est aus­si un échec : la par­ti de Le Pen est bien le grand vain­queur de cette consul­ta­tion. S’il n’a pas atteint les niveaux que les son­dages lui prê­taient (sur quelle base d’ailleurs ?), il pro­gresse de dix points (15,1% en 2011).

Pré­sen­ter l’UMP comme le grand vain­queur est une nou­velle contre-véri­té : le résul­tat est à mettre au compte de deux par­tis, l’UMP et l’UDI qui ont fait une alliance de cir­cons­tance. Mais on sait bien qu’il y a des diver­gences pro­fondes entre les deux sur la droi­ti­sa­tion de l’UMP vou­lue par Nico­las Sarkozy.

MANIPULATION DU MINISTERE DE L’INTERIEUR

Mais pour conti­nuer le grand jeu de la mani­pu­la­tion, le minis­tère de l’Intérieur fait un décompte de voix très poli­tique qui n’a rien à voir avec l’exactitude des chiffres. Les Verts ont beau jeu de dénon­cer le chiffre de 2% que Ber­nard Caze­neuve leur attri­bue et d’indiquer qu’ils ont obte­nu une moyenne de 13,6% dans 450 can­tons dans les­quels ils fai­saient alliance avec le Front de gauche. Qui, lui, réfute les 6% que le minis­tère de l’Intérieur comp­ta­bi­lise et avance ses propres comptes : il en est à 9,4% !

Et, à pré­sent, la pré­pa­ra­tion du second tour balaie tout cela : un seul mot d’ordre. Faire bar­rage au Front natio­nal ! Et d’appeler au front répu­bli­cain… Qui s’interroge sur le sens du vote pour l’extrême-droite ? Le fait que des can­di­dats par­fai­te­ment incon­nus, ne fai­sant pas cam­pagne dans leur can­ton, refu­sant d’apparaître dans les médias, sont pré­sents au second tour, ne semble pas poser des ques­tions cen­trales à nos états-majors politiques ?

On peut com­prendre qu’il y a panique à bord ! Des dépar­te­ments pour­raient, poten­tiel­le­ment tom­ber entre les mains du Front natio­nal. Dans d’autres, comme le Haut-Rhin, la gauche risque de ne plus être repré­sen­tée… Et le FN serait la seule oppo­si­tion à la droite…

UNSER LAND : UNE EPIPHENOMENE ?

Tout comme la pro­gres­sion du FN est mino­rée sur le plan natio­nal, l’irruption d’Unser Land sur le ter­rain poli­tique alsa­cien est tout juste rela­tée. Pour­tant les résul­tats à deux chiffres réa­li­sés par les can­di­dats d’UL là où ils se pré­sen­taient est un évé­ne­ment poli­tique impor­tant pour notre région. Nous aurons l’occasion, dans L’Alterpresse68, d’y reve­nir pour une ana­lyse plus fine. Cela prouve du moins qu’une par­tie impor­tante de l’électorat alsa­cien est sen­sible aux dis­cours régio­na­listes qui leur semble peut être plus proche de leurs pré­oc­cu­pa­tions quo­ti­diennes ? A part quelques can­di­dats du Front de gauche, qui a mis en avant l’avenir du droit local, des acquis cultu­rels et lin­guis­tiques de notre région ? Ces reven­di­ca­tions ne vont pas dis­pa­raître du domaine poli­tique alsa­cien dans les pro­chains temps et sur­tout pas dans les élec­tions régio­nales des 6 et 13 décembre 2015. Et L’Alterpresse68 s’impliquera pour que ces sujets impor­tants ne soient pas occul­tés comme ils l’ont été pour les dépar­te­men­tales en pre­nant en compte, entre autres, les ana­lyses suivantes :

LA DEMOCRATIE EN QUESTION

Ce qui a appa­raît d’ores et déjà dans ces élec­tions, c’est une nou­velle fois la crise pro­fonde que subit notre sys­tème démo­cra­tique. Si l’abstention est moindre qu’en 2011, il n’en reste pas moins que, d’élections en élec­tions, ce sont presque une moi­tié de nos conci­toyens qui ne votent plus.

Comme on peut le voir à Mul­house, cette pro­por­tion est bien plus impor­tante dans les quar­tiers popu­laires. Ain­si, dans les Coteaux, l’abstention atteint… 70% ! A Bourtz­willer, c’est un peu mieux : elle n’est « que » de 64%…

Dans L’Alsace du jeu­di 26 mars, un très bon repor­tage dans les quar­tiers de Bourtz­willer donne la parole aux habi­tants et on com­prend que l’abstention a bien une signi­fi­ca­tion politique.

Il est vrai que l’application de la pro­por­tion­nelle don­ne­rait plus de poids à chaque bul­le­tin et per­met­trait à de nom­breux cou­rants poli­tiques exclus des diverses assem­blées de faire entendre leur voix. Mais le mal n’est-il pas plus profond ?

Des pro­po­si­tions far­fe­lues comme rendre le vote obli­ga­toire évite de se poser trop de ques­tion sur le pour­quoi. Il faut pour­tant s’in­ter­ro­ger, comme on com­mence à le faire dans un autre article, sur la pos­si­bi­li­té de dépas­ser la « démo­cra­tie » élec­to­rale clas­sique, qui a mon­tré ses limites. Les par­tis dits « gou­ver­ne­men­taux », peuvent très bien vivre avec une abs­ten­tion à 50%. Aux Etats-Unis, cela fait belle lurette qu’on ne s’embarrasse plus de ces consi­dé­ra­tions et le pré­sident de « la plus grande démo­cra­tie » est élu par envi­ron 25% des électeurs…

On constate le même phé­no­mène au Royaume-Uni : 81% des élec­teurs votaient aux légis­la­tives de 1950, 61% à celle de 2010 ; en Alle­magne : 87% des ins­crits votaient aux légis­la­tives en 1957, 64% à celle de 2009 ; ou en Ita­lie : 93% des élec­teurs ont voté aux légis­la­tives de 1948 contre 68% pour celles de 2013.

C’est donc bien que l’offre poli­tique clas­sique ne répond plus : dans un sys­tème capi­ta­liste deve­nu lui-même incon­trô­lable, les poli­tiques de droite mènent vers des impasses, la social-démo­cra­tie s’est tota­le­ment décon­si­dé­rée auprès de son élec­to­rat, la gauche est dans l’incapacité de renou­ve­ler une offre. Et les trac­ta­tions pour le second tour des élec­tions dépar­te­men­tales entre le PS au pou­voir et la gauche qui conteste (avec des argu­ments com­pré­hen­sibles pour l’électorat) le gou­ver­ne­ment, ne va pas ouvrir des pers­pec­tives pour l’avenir.

C’est essen­tiel­le­ment le Front natio­nal et ses can­di­dats par­fois fan­tômes et des par­tis régio­na­listes recueillent les suf­frages de ceux qui souffrent de la poli­tique libérale.

UNE ISSUE POSSIBLE ?

Il faut recon­naître qu’à l’heure actuelle aucune alter­na­tive de gauche ne semble cré­dible à nos conci­toyens qui, eux-mêmes, peinent à for­mu­ler clai­re­ment des exi­gences et hésitent à s’en­ga­ger dans la durée pour les faire valoir.  Les germes d’une alter­na­tive de gauche tentent pour­tant de s’exprimer. Ce sont les mili­tants d’Attac qui s’en prennent aux banques, les Fra­lib qui créent leur coopé­ra­tive, les fémi­nistes qui mettent des barbes ou les éco­los qui s’en prennent au bar­rage de Sivens. C’est le suc­cès pla­né­taire du « Capi­tal au XXIe siècle » de Tho­mas Piket­ty. De façon moins visible, il y a aus­si dans le déve­lop­pe­ment de l’habitat par­ta­gé ou des Amap, l’expression d’une volon­té de par­tage. Mais il est vrai, par ailleurs, que la pers­pec­tive de devoir redis­tri­buer les richesses en affron­tant vigou­reu­se­ment le sys­tème effraie beau­coup de « contestataires »…

Ce sont aus­si des mili­tants de gauche qui réfute les alliances de cir­cons­tance pré­co­ni­sées par leur par­ti, des élec­teurs qui ne refe­ront plus le pas de voter UMP en cas de bal­lo­tage avec le FN…

Le désastre de ces élec­tions dépar­te­men­tales devrait accé­lé­rer la construc­tion d’une alter­na­tive de gauche dépas­sant le cadre ins­ti­tu­tion­nel actuel des par­tis. Encore fau­drait-il que ces der­niers acceptent de consi­dé­rer ces résul­tats comme un vrai désastre pour eux. Pas gagné…

Michel Mul­ler

Une ana­lyse intel­li­gente et per­ti­nente de ces élec­tions sur

http://lewagges.fr/?p=5048