Les « élites » élues ne savent plus où elles vont, même en matière de trans­port. Comme à chaque ren­trée, la ques­tion du finan­ce­ment des trans­ports sco­laires res­sur­git. Cette année plus encore que les pré­cé­dentes, ça part dans tous les sens. Mais il n’y a pas grand monde, hélas, pour emprun­ter la voie du bon sens élé­men­taire qui consis­te­rait à ins­tau­rer la gratuité.

Les Mul­hou­siens ont nagé dans le bonheur

Il y a un an, en août 2015, « M+ », l’heb­do muni­ci­pal mul­hou­sien, s’é­mer­veillait : « Heu­reux col­lé­giens et lycéens mul­hou­siens ! Pour la deuxième année consé­cu­tive, la Ville prend en charge 60% du coût de l’a­bon­ne­ment annuel tram et bus Soléa pour les col­lé­giens et lycéens de moins de 22 ans ». « M+ » pré­ci­sait : « 5 000 jeunes ont béné­fi­cié l’an pas­sé de la mesure qui fait pas­ser l’a­bon­ne­ment total de 180€ à 72€ ».

Si on com­prend bien, le « bon­heur » des col­lé­giens et lycéens mul­hou­siens date de la ren­trée 2014. Leurs familles éco­no­mi­saient alors 108€ par enfant. Est-ce qu’elles payaient ces 108€ avant 2014 ?…

Et est-ce que la séance du conseil M2A (l’ag­glo­mé­ra­tion mul­hou­sienne) du 24 mars 2016 a mis fin à ces deux ans de « bon­heur » ? Oui, si on en croit Denis Ram­baud, char­gé des trans­ports de M2A, qui a affir­mé lors de cette séance : « les 11 000 jeunes de l’ag­glo­mé­ra­tion seront trai­tés de la même manière » (« L’Al­sace » du 26 mars 2016). imageSoleaOffi­ciel­le­ment, les conseillers M2A ont déci­dé d’ « homo­gé­néi­ser » les tarifs. Une « homo­gé­néi­sa­tion » en forme de régres­sion, puisque, pour 700 familles répar­ties dans plu­sieurs com­munes de M2A, il sera exi­gé le paie­ment d’un abon­ne­ment annuel de 183 euros (de 180€ on est pas­sé à 183€) pour chaque enfant. Alors que, jus­qu’i­ci, l’é­lève béné­fi­ciait de tickets gra­tuits pour se rendre dans son éta­blis­se­ment sco­laire. Ces nou­velles exi­gences – aux­quelles échap­pe­raient une qua­ran­taine de ces 700 familles – ont été sèche­ment noti­fiées aux inté­res­sées en juin der­nier par cour­rier. Et tant pis si cela doit faire des dégâts dans des bud­gets modestes.

Certes, cet abon­ne­ment annuel donne un droit de cir­cu­la­tion illi­mi­té sur tout le réseau Soléa pour le jeune qui en est titu­laire, qu’il se contente, ou non, de l’u­ti­li­ser en période sco­laire pour se rendre dans son éta­blis­se­ment. Mais il s’a­git là d’une forme de vente for­cée – peut-être aus­si un moyen pour ten­ter de réduire la fraude ? – qui per­met de ren­flouer un peu les caisses de Soléa d’un mon­tant d’en­vi­ron 110 000 euros au détri­ment de ces 700–40 = 660 familles.

À quand un abon­ne­ment Soléa « Pass Pou­pon » ?!

110 000 euros ?! Un mon­tant déri­soire au regard de la dette énorme du bud­get trans­port de M2A (plus de 120 mil­lions d’eu­ros) dont, bien sûr, les édiles mul­hou­siens évitent soi­gneu­se­ment de par­ler. Serait-ce cette dette qui les rend dingues ?ImagePoupon Il y a un an, ils se sont déjà cou­verts de ridi­cule en déci­dant de « [revoir] la gra­tui­té du trans­port pour les enfants [qui est pas­sée] de 6 à 4 ans ». (« M+ » du 27 août 2015)… A quand l’a­bon­ne­ment Soléa « Pass Pou­pon » exi­gible dès la sor­tie de la maternité ?!

Tout récem­ment, on vient de décou­vrir que contrai­re­ment à ce qu’a affir­mé Denis Ram­baud au conseil M2A de mars der­nier, l’ « homo­gé­néi­sa­tion » des tarifs pour les 11 000 jeunes concer­nés dans l’ag­glo s’ar­rê­te­rait en réa­li­té à la fron­tière de la ville cen­trale… C’est ce que laisse appa­raître un article paru dans « L’Al­sace » du 27 août 2016 où une mère d’é­lève de Mor­sch­willer-le-Bas se plaint de devoir payer plus de deux fois le tarif mulhousien.

Est-ce que, par ses pro­pos ambi­gus, l’é­lu res­pon­sable des trans­ports vou­lait cacher aux rési­dents des autres com­munes que seuls les jeunes de Mul­house conti­nuent de nager dans le « bon­heur » en ne payant que le tarif réduit de l’a­bon­ne­ment annuel ?… C’est à dire qu’ils ne paie­raient que 73,20€ (on est pas­sé de 72 à 73,20€) au lieu des 183€ exi­gés des non-Mulhousiens ?…

Et il n’y a pas que les élus de la ville de Mul­house qui font n’im­porte quoi : il faut savoir en effet que le 24 mars der­nier la tota­li­té (moins une abs­ten­tion, quand même) des conseillers M2A a voté cette mesure d’ « homo­gé­néi­sa­tion » qui n’en serait pas une. Y com­pris les repré­sen­tants des 15 com­munes où résident les 660 familles qui ont à y perdre. La liste de ces 15 com­munes (sur un total de 33) qui ont le sens du sacri­fice n’a évi­dem­ment pas été ren­due publique. Et il est pro­bable que lorsque des déci­sions allant dans le sens de la gra­tui­té ont été prises il y a quelques années, l’u­na­ni­mi­té requise par le Pré­sident de séance a aus­si été glo­ba­le­ment res­pec­tée… (voir à ce sujet les pro­pos de Pierre Frey­bur­ger décri­vant pour L’Alterpresse68 le fonc­tion­ne­ment de M2A et les méthodes de son pré­sident, J.M. Bockel).

Le Dépar­te­ment 68 serait un havre de gratuité

Mais réjouis­sez-vous braves gens : quand c’est le Dépar­te­ment du Haut-Rhin qui éta­blit les tarifs, miracle, c’est tota­le­ment gra­tuit pour les col­lé­giens qui ont recours aux trans­ports sco­laires. C’est du moins ce qu’on apprend à la lec­ture d’un article des « DNA » du 18 juin 2016. En dépit de la « crise », le CD 68 et son Pré­sident seraient par­ve­nus en effet à sau­ver l’es­sen­tiel : « Mal­gré les contraintes bud­gé­taires, le Dépar­te­ment a main­te­nu la gra­tui­té du trans­port sco­laire pour les col­lé­giens. Les familles de lycéens béné­fi­cient d’un sou­tien à hau­teur de 65% du mon­tant total [des frais enga­gés]. » Il suf­fit d’en faire la demande (de pré­fé­rence avant le 30 juillet) sur le site inter­net de la col­lec­ti­vi­té pré­si­dée par E. Straumann.

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Mais alors, quand on habite Mul­house et son agglo­mé­ra­tion, pour­quoi se col­ti­ner toutes les mes­qui­ne­ries, aug­men­ta­tions et excep­tions ima­gi­nées par le Pré­sident Bockel et ne pas pro­fi­ter des lar­gesses du Pré­sident Strau­mann ?… En fait, la géné­ro­si­té de ce der­nier ne s’é­tend pas sur tout le ter­ri­toire du Haut-Rhin : en bon com­mu­ni­cant, il a « oublié » de pré­ci­ser que votre demande de sou­tien finan­cier au Dépar­te­ment n’a­bou­ti­ra que si vous n’ha­bi­tez pas dans l’ag­glo­mé­ra­tion mul­hou­sienne ou col­ma­rienne. La rai­son : ces agglos ont exi­gé d’ob­te­nir la mai­trise du trans­port sco­laire qu’elles ont confié à leur socié­té spé­cia­li­sée res­pec­tive, Soléa et Trace (le même cas de figure se pré­sente dans le Bas-Rhin pour les agglos de Stras­bourg, Haguenau/Schweighouse et Sélestat).

En prin­cipe, au regard de la légis­la­tion, le trans­port des col­lé­giens et des lycéens est une charge qui incombe au Dépar­te­ment. Mais, joyeu­se­té d’une décen­tra­li­sa­tion inadap­tée, il a fal­lu léga­le­ment contour­ner la loi (!). Afin de pré­ve­nir d’é­ven­tuels conflits et régu­ler le dis­po­si­tif, le Dépar­te­ment et l’ag­glo mul­hou­sienne ont été invi­tés à signer une conven­tion en sep­tembre 1993. C’é­tait exi­gé par la régle­men­ta­tion : il fal­lait trans­po­ser loca­le­ment (c’est à dire sous le niveau dépar­te­men­tal d’a­bord envi­sa­gé par la loi) les termes du Code de l’E­du­ca­tion pour défi­nir les moda­li­tés et les mon­tants du sub­ven­tion­ne­ment trans­fé­rés à l’au­to­ri­té qui reçoit délé­ga­tion pour la ges­tion du trans­port sco­laire. En rai­son, notam­ment, des modi­fi­ca­tions inces­santes des péri­mètres de diverses baron­nies, cette conven­tion de 1993 pas­sée entre le Dépar­te­ment et l’ag­glo mul­hou­sienne a dû être cor­ri­gée plu­sieurs fois.

Au bout de 20 ans, en juillet 2013, on en est au 5ème ave­nant (ce docu­ment est ici). On y rap­pelle que : « le Conseil Géné­ral verse annuel­le­ment une dota­tion for­fai­taire à M2A qui per­met aux élèves de béné­fi­cier sur le réseau Soléa d’une carte de libre cir­cu­la­tion à tarif réduit (abon­ne­ment Pass Junior). Soléa conti­nue par ailleurs à appli­quer la gra­tui­té sur son réseau sco­laire Tri­bus aux col­lé­giens de moins de 16 ans domi­ci­liés à plus de trois kilo­mètres du col­lège ». Comme quoi, le « bon­heur » de cer­tains col­lé­giens mul­hou­siens pou­vait être anté­rieur à l’an­née 2014, contrai­re­ment à ce que laisse entendre le numé­ro d’août 2015 de « M+ ». Mieux : ce « bon­heur » a même débor­dé lar­ge­ment débor­dé dans le pas­sé le péri­mètre de la ville de Mul­house pour atteindre d’autres com­munes de M2A.

Une géné­ro­si­té ins­crite dans la règlementation

Un autre pas­sage de l’a­ve­nant de juillet 2013 mérite atten­tion : « Cette dota­tion [celle que verse annuel­le­ment le Dépar­te­ment à M2A] s’élevait à 1 084 313,49 €€ pour l’année 2012. Elle est indexée sur la popu­la­tion sco­laire urbaine et les taux d’actualisation des mar­chés dépar­te­men­taux. » Quelques lignes plus loin, on apprend que pour com­pen­ser la prise en charge (nou­velle) des sec­teurs de Lut­ter­bach, Hab­sheim et Bruns­tatt, M2A rece­vra annuel­le­ment près de 230 000 euros supplémentaires.

En 2013, M2A a donc encais­sé plus de 1,3 mil­lion d’eu­ros en pro­ve­nance du Dépar­te­ment pour finan­cer les dépla­ce­ments des col­lé­giens de l’ag­glo mul­hou­sienne. Mieux : les termes de la conven­tion de 1993 contraignent le Pré­sident Strau­mann à faire preuve, année après année, d’une géné­ro­si­té constante à l’é­gard du Pré­sident Bockel. En effet, le Code de l’E­du­ca­tion pré­voit que « soit assu­rée la com­pen­sa­tion inté­grale des moyens néces­saires à l’exercice de la com­pé­tence trans­fé­rée ». Le dis­po­si­tif pré­voit même une indexa­tion auto­ma­tique qui tient compte du nombre d’é­lèves, de l’in­fla­tion et de l’é­vo­lu­tion des coûts deman­dés par les entre­prises dépar­te­men­tales de transport.

Autre­ment dit – une fois trans­fé­rées – les sommes que le Dépar­te­ment consa­craient à assu­rer la gra­tui­té du trans­port pour les col­lé­giens dans un sec­teur don­né doivent suf­fire à assu­rer la même gra­tui­té dans le même sec­teur une fois que ce der­nier est pris en charge par M2A. Bref, le Code de l’E­du­ca­tion a été rédi­gé pour faire en sorte que les élèves et leur famille ne soient pas vic­times de dis­cri­mi­na­tions suite aux sautes d’hu­meur, choix arbi­traires et autres que­relles de pou­voir des petits barons de ter­ri­toires géné­rés par la décentralisation.

La digue n’est plus effi­cace. Pourquoi ?

Mais, sous la pres­sion idéo­lo­gique du sys­tème, ces petits barons se sont vus en concur­rents et ont agi comme tels, ren­for­çant ain­si les tares de la logique libé­rale. Tant et si bien qu’au­jourd’­hui, dans le Haut-Rhin comme dans d’autres dépar­te­ments en France, la fra­gile digue admi­nis­tra­tive bidouillée par le légis­la­teur ne joue pra­ti­que­ment plus son rôle.

Dans le 68, au point où on en est, des ques­tions concrètes se posent :

  • Est-ce que le Pré­sident Bockel favo­rise la ville dont il a été le maire au détri­ment d’autres com­munes de M2A ?…

  • Ne réus­sis­sant pas, néan­moins, à sau­ver la gra­tui­té pour les col­lé­giens de sa zone d’in­fluence, est-ce que ses talents de ges­tion­naire sont vrai­ment à la hau­teur de ceux du Pré­sident Strau­mann qui réus­sit, lui, avec des moyens équi­va­lents, à accor­der cette gra­tui­té sur son champ d’intervention ?…

  • Ou est-ce qu’il faut voir dans la manière très par­ti­cu­lière de déter­mi­ner les tarifs au sein de M2A un effet de la dette consi­dé­rable qui plombe le bud­get transport ?…

  • Ou est-ce que le Pré­sident du Dépar­te­ment ne verse plus à M2A toutes les sommes pré­vues par la conven­tion de 1993 et ses ave­nants ?… Le Dépar­te­ment reçoit-il tou­jours, d’ailleurs, ces sommes en pro­ve­nance de l’État dans le cadre de la dota­tion de décen­tra­li­sa­tion mise en place dans les années 80 ?…

  • Ou est-ce que les deux Pré­si­dents ont conve­nu de n’en faire qu’à leur tête en s’as­seyant sur les règles d’é­qui­té, certes adop­tées d’un com­mun accord, mais ter­ri­ble­ment désuètes pour des libé­raux for­ce­nés qui vou­draient « oublier » que « le ser­vice des trans­ports sco­laires consti­tue (…) un ser­vice public admi­nis­tra­tif dont l’accès est sou­mis au res­pect du prin­cipe d’égalité », comme le rap­pelle un texte officiel ?…

Il va fal­loir que ces ques­tions leur soient posées for­te­ment et col­lec­ti­ve­ment pour que les deux Pré­si­dents daignent y répondre…

Du Dépar­te­ment à la Région

Un pro de la com’ sait qu’il ne faut pas s’embarrasser de détails. « L’Al­sace » du 26 août 2016 cite E. Strau­mann : « Pas d’é­co­no­mie dans l’é­du­ca­tion ! » pro­clame-t-il fiè­re­ment, en ajou­tant crâ­ne­ment : [et ce] en dépit d’une baisse de dota­tion de l’État d’un mon­tant de 14 mil­lions d’eu­ros ».

LibEgaGraIl s’ex­pri­mait en pré­sence de la Rec­trice d’A­ca­dé­mie (celle de Stras­bourg), en visite média­tique de ren­trée, le 25 août, au col­lège de Lut­ter­bach. L’au­teur de l’ar­ticle de « L’Al­sace » entre­tient la confu­sion en ajou­tant : « la gra­tui­té des trans­ports sco­laires est main­te­nue dans le Haut-Rhin jus­qu’à ce que cette com­pé­tence passe à la nou­velle région Grand Est ». S’a­git-il là aus­si d’une cita­tion des pro­pos d’E. Strau­mann qui tien­drait à se pré­sen­ter comme le Pré­sident géné­reux de tous les élèves haut-rhi­nois, ceux des villes (qu’il n’aide plus) comme ceux des champs ; ceux des col­lèges comme ceux des lycées (qu’il aide moins) ? La rédac­tion de l’ar­ticle ne per­met pas de le savoir.

Tou­jours est-il qu’en ver­tu de l’ap­pli­ca­tion de la loi NOTRe, d’i­ci quelques mois, c’est le Pré­sident de la région Grand-Est qui va héri­ter de la ges­tion du trans­port de tous les col­lé­giens et de tous les lycéens. On n’ose pas ima­gi­ner qu’E­ric Strau­mann se réjouisse à l’i­dée de refi­ler le mis­ti­gri à P. Richert… En tout cas, voi­là le Roi du Grand-Est qua­si­ment contraint de pré­voir à son bud­get sco­laire de quoi faire aus­si bien que le baron du Dépar­te­ment du Haut-Rhin. Lequel a quand même réus­si à garan­tir pour l’an­née 2016–2017 la gra­tui­té com­plète du trans­port des col­lé­giens dans les zones rurales du 68 (mais pas celle des lycéens). Et il n’est pas le seul, dans le Grand-Est, à avoir réus­si cette performance.

Sachant que la gra­tui­té n’est plus garan­tie dans de nom­breuses agglos (comme la mul­hou­sienne et la col­ma­rienne). Sachant d’autre part que dans le domaine du trans­port des lycéens de fortes dis­pa­ri­tés existent d’un ter­ri­toire ou d’un dépar­te­ment à l’autre (mais en géné­ral sans gra­tui­té com­plète), com­ment s’y prendre pour faire pas­ser sous la res­pon­sa­bi­li­té du Grand-Est, sans accrocs, l’in­té­gra­li­té du dis­po­si­tif et ses incohérences ?

Com­bien de conven­tions va devoir signer P. Richert ? Va-t-il seule­ment en signer ? Et, si oui, va-t-il jouer les for­çats du sty­lo en les signant ter­ri­toire par ter­ri­toire, agglo par agglo, caté­go­rie d’é­lèves par caté­go­rie d’é­lèves ?! Pour l’ins­tant, il s’ac­croche comme il peut à ses pré­ceptes et méthodes cen­tristes en décla­rant mol­le­ment, à l’oc­ca­sion de la ren­trée qu’il a effec­tuée flan­qué de deux Recteurs(1) : « Pas d’har­mo­ni­sa­tion à marche for­cée ! »… Du moins pas tout de suite : il faut évi­ter de gêner son favo­ri Sar­ko­zy avant l’é­lec­tion de mai 2017.

F. Bier­ry, Pré­sident du CD du Bas-Rhin, est, lui, plus enclin que son homo­logue haut-rhi­nois à aller au-devant des desi­de­ra­ta inavouables du Pré­sident du Grand-Est. Sans état d’âme par­ti­cu­lier, F. Bier­ry vient en effet de déci­der de sup­pri­mer la gra­tui­té des trans­ports sco­laires pour les caté­go­ries d’é­lèves bas-rhi­nois où elle était encore en vigueur, col­lé­giens com­pris. Peu lui chaut les effets de sa déci­sion sur le bud­get déjà rata­ti­né de cer­taines familles, comme le sou­ligne un article paru début juillet 2016 sur le blog de l’U­nion des Etu­diants Com­mu­nistes Stras­bourg (UEC Stras­bourg) et repris par la « Feuille de chou » : « Trans­port sco­laire payant pour les col­lé­giens : une nou­velle attaque contre l’é­ga­li­té » (un autre article, paru dans « Rue89 Stras­bourg » donne des détails sur les consé­quences finan­cières de la mesure pour les familles).

La gra­tui­té ? C’est pas gagné !

En renon­çant pro­vi­soi­re­ment à « l’har­mo­ni­sa­tion à marche for­cée », P. Richert a concé­dé éga­le­ment que si la com­pé­tence des trans­ports sco­laires passe à la grande région au 1er jan­vier 2017 « les façons de fonc­tion­ner seront inté­gra­le­ment res­pec­tées » (« L’Al­sace » du 3 sep­tembre 2016).

S’il devait tenir sa pro­messe, le Pré­sident de la grande région assu­me­rait donc à par­tir du 1er jan­vier 2017 le sub­ven­tion­ne­ment de la gra­tui­té là où elle aura été main­te­nue jus­qu’à cette date par les anciens ges­tion­naires (en géné­ral des dépar­te­ments, des agglos ou des com­munes). Pour com­bien de temps ? Un an ou deux, laisse-t-il entendre, façon impli­cite de recon­naître qu’il est hors de ques­tion pour lui de péren­ni­ser la gra­tui­té là où elle est actuel­le­ment en vigueur (notam­ment dans deux dépar­te­ments sur les dix de la grande Région Alsace Cham­pagne-Ardenne Lorraine).

On ne peut pas s’en éton­ner quand on connaît le pro­fil idéo­lo­gique du per­son­nage, ses façons de faire et l’en­ca­dre­ment poli­tique strict dont il fait l’ob­jet : au sein du bureau exé­cu­tif du Grand Est qui contient 4 per­sonnes au total, et où qua­si­ment tout se décide, on lui a impo­sé la pré­sence de deux membres émi­nents de la garde rap­pro­chée de Nico­las Sar­ko­zy : Jean Rott­ner (Maire de Mul­house) et Valé­rie Debord (Porte parole des Répu­bli­cains). Il a inté­rêt à bien se tenir.

Le « Canard Enchaî­né » a signa­lé dans son édi­tion du 10 août 2016 que – sous la pres­sion de gou­ver­ne­ment et de la direc­tion de la SNCF qui limitent les moyens – P. Richert, en accord avec le Pre­mier ministre, a déci­dé d’ « anti­ci­per les direc­tives euro­péennes » et « d’ou­vrir les lignes régio­nales à la concur­rence ». Le Grand-Est va donc s’ef­for­cer de jouer un rôle d’a­vant-garde en matière de pri­va­ti­sa­tion du rail. Une ambi­tion, on en convien­dra, pas vrai­ment com­pa­tible avec la défense du concept de gra­tui­té des trans­ports en commun.

S’a­gis­sant de ce concept, il faut recon­naître qu’il est mal, mol­le­ment, ou pas du tout défen­du. Et pour­tant, dans le cas qui nous occupe ici, reven­di­quer la gra­tui­té totale relève autant du bon sens élé­men­taire que de l’ap­pli­ca­tion de valeurs fon­da­men­tales tou­chant à l’é­du­ca­tion et à l’a­ve­nir de la jeu­nesse. On note­ra, d’ailleurs, que même les poli­ti­ciens de droite ci-des­sus cités ont mau­vaise conscience : ils pré­sentent encore la gra­tui­té des trans­ports sco­laires plus ou moins comme une bonne chose. Peut-être que l’ar­ticle 13 de la consti­tu­tion de 1946 : « La nation garan­tit l’é­gal accès de l’en­fant et de l’a­dulte à l’ins­truc­tion, à la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle et à la culture » hante encore quelques esprits ?

transportsgratuitsEt, sou­li­gnons-le encore une fois, cette reven­di­ca­tion de gra­tui­té totale des trans­ports sco­laires relève du bon sens élé­men­taire quand on voit la pagaille qui règne actuel­le­ment et le cor­tège d’in­jus­tices qu’elle pro­voque. P. Richert – comme d’ailleurs ses homo­logues des autres régions fran­çaises – pour­rait pra­ti­quer « l’har­mo­ni­sa­tion à marche for­cée » dans des délais très brefs et pro­ba­ble­ment sans ren­con­trer de sérieuses résis­tances chez les usa­gers s’il décide d’ins­tau­rer la gra­tui­té com­plète de tous les trans­ports scolaires(2), dans tous les sec­teurs et pour toutes les caté­go­ries d’élèves.

Pour cela, il fau­drait, bien sûr, au mini­mum, une mobi­li­sa­tion d’une par­tie des plus concer­nés, à savoir les usa­gers et leur famille. Pra­ti­que­ment, cela ne semble pas très com­pli­qué : il suf­fi­rait que des familles s’or­ga­nisent pour refu­ser de payer. Idéo­lo­gi­que­ment, c’est moins évident, tant l’im­pré­gna­tion des croyances libé­rales est forte. Les valeurs qui dominent l’ar­ticle 13 de la consti­tu­tion de 1946, tout comme celles qui sous-tendent le Code de l’Éducation se sont estom­pées et ne pour­ront réap­pa­raître dans les esprits que sous l’ef­fet de luttes col­lec­tives. Des luttes qui ne pour­ront prendre de l’am­pleur que si les mys­ti­fi­ca­tions libé­rales sont for­te­ment et régu­liè­re­ment dénon­cées. Non ! L’aus­té­ri­té n’est pas une solu­tion et n’est pas néces­saire. Oui ! Les moyens existent(3).

imageLivreLEGChez les élus, majo­ri­tai­re­ment, une forte oppo­si­tion à la reven­di­ca­tion de gra­tui­té est pré­vi­sible : en « res­pon­sa­bi­li­té », dans leur fonc­tion, ils se sentent obli­gés de gérer l’aus­té­ri­té en hommes et femmes « res­pon­sables »… Sans comp­ter qu’i­déo­lo­gi­que­ment, au-delà de la reven­di­ca­tion de gra­tui­té de tous les trans­ports sco­laires, ils voient poindre, effrayés, les rouges et les par­ta­geux qui vont reven­di­quer l’ex­ten­sion du champ de la gra­tui­té à de nom­breux domaines. Ce qui, pour beau­coup d’é­lus (mais pas que), repré­sente un risque de fra­gi­li­sa­tion d’un sys­tème éco­no­mique auquel, fina­le­ment, ils tiennent beaucoup.

C’est si vrai que même les élus locaux ame­nés à suivre de près l’or­ga­ni­sa­tion des trans­ports en com­muns ne recon­naissent que rare­ment que le prix payé par l’u­sa­ger compte peu. C’est le finan­ce­ment public qui joue un rôle impor­tant. Par recherche d’une plus grande ratio­na­li­té dans la ges­tion, depuis tou­jours. Pour pré­ser­ver l’en­vi­ron­ne­ment, depuis quelques années.

Qui sait que le dépar­te­ment du Bas-Rhin, par exemple, a finan­cé jus­qu’i­ci 92% du coût du trans­port sco­laire ?(4) Qui sait que ce pour­cen­tage de finan­ce­ment public cor­res­pond à peu près à celui que consentent la plu­part des col­lec­ti­vi­tés qui ont pris en charge ce ser­vice public ?

Qui sait que le billet payé par l’u­sa­ger des trans­ports en com­mun locaux (dis­po­nible pour toute la popu­la­tion) ne finance en moyenne que 18% du coût glo­bal, hors région pari­sienne ? L’u­sa­ger d’Ile de France paie, lui, un peu plus en ache­tant son billet ou son abon­ne­ment, puisque cela per­met de cou­vrir envi­ron 25% du coût glo­bal de son transport.

Mais ne divul­guez pas trop ces don­nées, par com­pas­sion pour les élus qui espèrent, par leur grande dis­cré­tion sur le sujet, conju­rer le retour des soviets.

B. Schaef­fer

Le 5 sep­tembre 2016

Notes :

1) La Rec­trice de l’A­ca­dé­mie de Stras­bourg et le tout nou­veau Rec­teur du « Grand Est » sont sur la pho­to ; appa­rem­ment les deux autres rec­teurs man­quaient à l’ap­pel. Ont-ils au moins une excuse ?

2) Mas­se­ret, le can­di­dat socia­liste aux der­nières élec­tions régio­nales avait mis en avant dans son pro­gramme la gra­tui­té com­plète des trans­ports sco­laires dans le Grand-Est. Il a même chif­fré sa pro­messe : entre 45 et 60 mil­lions d’eu­ros sur la tota­li­té de la durée du man­dat. Élu au conseil régio­nal, il devrait donc bien accueillir les familles reven­di­quant la gra­tui­té qui lui deman­de­raient un sou­tien. Mais on sait ce que valent les pro­messes socia­listes… Pour citer deux exemples de plus : la pre­mière secré­taire du PS Haut-Rhi­nois, la mul­hou­sienne Cléo Schweit­zer, élue du Grand-Est sur la liste Mas­se­ret, est aus­si conseillère M2A. On ne l’a pas enten­due quand, le 24 mars 2016 (voir ci-des­sus), le conseil M2A a déci­dé une régres­sion en matière de trans­port sco­laire. Répé­tons-le : cette mesure a été votée à l’u­na­ni­mi­té moins une abs­ten­tion : celle d’un conseiller com­mu­nau­taire M2A de Wit­ten­heim (il n’est pas au PS et s’op­pose à son maire). Quant au maire de Wit­ten­heim, le socia­liste Antoine Homé, élu lui aus­si sur la liste Mas­se­ret à la grande région, vice-pré­sident de M2A, il a accep­té, comme Cléo Schweit­zer, la déci­sion d’aug­men­ta­tion des tarifs pour 660 familles.

3) Voir à ce sujet les actions conduites entres autres par le CP68 pour sug­gé­rer un finan­ce­ment de la gra­tui­té des trans­ports : Gra­tui­té = Très Haut Niveau de Ser­vice ! (sep­tembre 2013) ; Dettes publiques et gra­tui­té des trans­ports (mai 2013) ; Nou­velle atteinte à la gra­tui­té des trans­ports sco­laires (en 2012, le CG68, qui était alors pré­si­dé par Charles Butt­ner, avait envi­sa­gé de sup­pri­mer la gra­tui­té, mais y a fina­le­ment renon­cé). Ces articles sont parus dans la caté­go­rie « dette publique » de la revue A CONTRE COURANT. Un autre type de finan­ce­ment est à trou­ver dans la lutte contre la fraude fis­cale. Voir l’ar­ticle : En Alsace, des élus locaux téta­ni­sés face aux délin­quants fis­caux (paru récem­ment dans L’Alterpresse68).

4) Pour le Bas-Rhin, comme dit dans l’ar­ticle, cela vient de chan­ger, puisque F. Bier­ry va pré­le­ver 2,8 mil­lions d’eu­ros dans la poche des parents d’é­lèves pour l’an­née 2016–2017, abais­sant ain­si le pour­cen­tage en charge du Dépar­te­ment autour de 85%. Richert l’a sûre­ment remer­cié, tout comme il peut remer­cier d’autres col­lec­ti­vi­tés de la grande région qui viennent aus­si d’an­ti­ci­per ses souhaits.

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