Par Georges Yoram Feder­mann, psy­chiatre et mili­tant stras­bour­geois pour la paix

Depuis le pogrom du 7 octobre, le dra­peau israé­lien flotte, avec le dra­peau fran­çais, sur le mât de la Grande Syna­gogue de l’avenue de la Paix-Simone Veil.

Bien que le Droit local alsa­cien-mosel­lan ne consi­dère pas que le fait d’afficher un dra­peau étran­ger sur un édi­fice reli­gieux consti­tue une infrac­tion, je m’interroge sur le mes­sage envoyé par la syna­gogue, aux juifs et aux non-juifs.

Je com­prends bien qu’il s’agit d’un signe de soli­da­ri­té avec l’État d’Israël, dou­lou­reu­se­ment meur­tri le 7 octobre, et une prière pour la libé­ra­tion des otages israé­liens encore entre les mains du Hamas.

Mais ce sym­bole me semble aujourd’hui dom­ma­geable car il contri­bue à assi­mi­ler juifs et Israé­liens, et donc à entre­te­nir une confu­sion qui par­ti­cipe à la mon­tée de l’antisémitisme.

Pour­tant dans les débats publics, nom­breux sont celles et ceux qui s’efforcent de faire la dis­tinc­tion, par­ti­cu­liè­re­ment dans ce contexte si ten­du, et alors que des pour­suites pénales inter­na­tio­nales sont enga­gées à la fois contre le Pre­mier ministre d’Israël, M. Ben­ja­min Neta­nya­hou et contre trois lea­ders du Hamas (dont deux ont déjà été exé­cu­tés par Israël qui s’est fait jus­tice lui-même, une fois de plus).

Fran­çais juif, je ne me recon­nais en rien dans la jus­ti­fi­ca­tion des mas­sacres com­mis par l’armée israé­lienne depuis onze mois à Gaza. L’intervention de l’armée israé­lienne à Gaza a pro­vo­qué la mort de plu­sieurs dizaines de mil­liers de Pales­ti­niens, en grande majo­ri­té des femmes et des enfants. Elle a orga­ni­sé la des­truc­tion sys­té­ma­tique des habi­ta­tions et des infra­struc­tures, n’épargnant ni les écoles ni les hôpi­taux, elle a déli­bé­ré­ment conduit à affa­mer et à pri­ver de soins la popu­la­tion, tout en inter­di­sant l’accès du ter­ri­toire à la presse. Le cho­lé­ra, la polio et l’hépatite A ont réap­pa­ru. Il n’y a pas à hési­ter à par­ler de génocide.

L’indispensable lutte contre l’antisémitisme, recru­des­cent en France et en Europe, ne peut que pâtir de ces vio­lences inutiles. En tant que juif, je refuse d’y être un tant soit peu associé.

Comme je dénonce les amal­games gros­siers entre­te­nus par les ins­tances de repré­sen­ta­tion du judaïsme en France accu­sant d’antisémitisme celles et ceux qui cri­tiquent la poli­tique du gou­ver­ne­ment israé­lien, un amal­game dont LFI fait les frais chaque jour, avec comme objec­tif évident d’affaiblir le Nou­veau Front populaire.

Juif vivant en France, je sou­tiens les voix juives qui en Israël parlent de paix, condamnent la guerre de Gaza, dénoncent l’occupation, appellent à la recon­nais­sance des droits natio­naux du peuple pales­ti­nien et à une solu­tion paci­fique qui, seule, appor­te­ra la digni­té et la sécu­ri­té aux peuples pales­ti­nien et israélien.

J’affirme en par­ti­cu­lier ma soli­da­ri­té avec B’Tselem (Centre israé­lien d’information pour les droits de l’homme dans les Ter­ri­toires occu­pés), Brea­king the silence (regrou­pant des anciens sol­dats), Stan­ding toge­ther (mili­tant pour un ave­nir com­mun entre les deux peuples), les jeunes Israé­liens refu­sant d’aller com­battre à Gaza ou dans les Ter­ri­toires occu­pés et toutes celles et ceux qui s’opposent aux actes cri­mi­nels menés par Ben­ja­min Néta­nya­hou et ses ministres.

Israël n’assure pas la sécu­ri­té des Juifs du monde entier : en pré­ten­dant mener le géno­cide en cours en leur nom, il confisque leur parole, les met en dan­ger et génère de l’antisémitisme.

Tout le monde n’est pas en mesure de dis­tin­guer anti­sé­mi­tisme et anti­sio­nisme et la vio­lence d’Israël depuis un an entre­tient cet amal­game morbide.

D’une façon géné­rale, les lieux de culte n’ont pas à être pré­emp­tés par des nations, même si elles les financent en par­tie. Je trouve cette appro­pria­tion cri­ti­quable du point de vue du vivre ensemble et de la néces­si­té, au-delà de nos croyances dif­fé­rentes, d’affirmer que nous fai­sons société.

Et je me console en déchif­frant la suc­ces­sion des célé­bra­tions et des sym­boles spi­ri­tuels et reli­gieux pour la concorde et pour la paix, tout en m’interrogeant sur leurs détour­ne­ments constants et mortifères.

Puisqu’il s’agit bien de la « Syna­gogue de la Paix », je rap­pelle que la Paix est incon­di­tion­nelle pour chaque sœur et frère en huma­ni­té qui peuple la terre. Elle ne peut pas se faire aux condi­tions du plus fort incar­né par le dra­peau israé­lien, pour le moment. Et la devise au fron­ton : « Plus fort que le glaive est mon esprit » ne doit pas res­ter lettre morte.