Un vote pas si « nul » que ça !
Sans entrer ici dans le détail du débat sur les mérites respectifs du vote blanc et du vote nul(1) nous vous proposons un exemple de bulletin de vote utilisé dimanche 22 mars 2015 à Mulhouse à l’occasion du premier tour des élections départementales. Il soulève des questions portant sur l’état de notre démocratie et possède le mérite appréciable de poser un problème que presque tous les candidats ont soigneusement évité : celui de la dette publique du département.
Un citoyen bien cadré n’acceptera pas qu’on appelle ça « un bulletin de vote ». Puisqu’il s’agit d’un bulletin que les règles électorales de la « République » qualifient de « nul ». En le glissant dans une enveloppe et en le déposant dans l’urne, vous ferez partie des « votants », mais pas des « exprimés ». Alors que l’expression affichée sur ce bulletin sera examinée par l’ensemble du bureau de vote et même par la commission de contrôle à la Préfecture. Dans ces conditions, vu l’état de délabrement de notre démocratie élective et représentative (?!), qui pourrait démontrer que son impact politique est inférieur à celui d’un bulletin politiquement correct et soigneusement rangé dans la pile d’un candidat dûment enregistré ?…
Le glisser dans une urne « classique » n’exprime pas seulement une volonté de dépassement du droit de vote – un droit acquis chèrement, vous rappelleront certains, et ils ont raison -, ce que n’exprime pas l’abstention, que l’on peut soupçonner souvent de contenir une part de démission et de renoncement au droit chèrement acquis. Le bulletin, qui sera qualifié officiellement de « nul », peut exprimer par son contenu l’exigence d’une autre « offre » politique, pour reprendre l’expression utilisée dans un article récent « Elections départementales, tout le monde il est content » paru dans les colonnes de L’Alterpresse 68.
Jugez par vous-même. Le « bulletin de vote » pose le problème central de la dette du département en des termes qu’aucun candidat n’a osé utilisé :
BULLETIN DE VOTE
Département du Haut-Rhin :
une dette publique de près d’un demi-milliard d’€ gérée dans l’opacité.
Entre 15 et 20 millions d’€ d’intérêts annuels :
Tous les élus ont accepté de payer cette rançon exigée par les banques.
Ils ont sacrifié pour cela des besoins sociaux et des investissements vitaux.
Aucun élu n’a eu le courage de
demander un moratoire sur le paiement de ces intérêts.
Aucun candidat non plus.
Comment les prendre au sérieux ?
Une version PDF de deux exemplaires de ce « bulletin de vote » est accessible ici
Dans un contexte où il est sommé de choisir entre le FN et l’UMP, par exemple, l’électeur peut trouver dans l’usage du « bulletin de vote » ci-dessus un moyen d’échapper à un terrible dilemme.
Mais il faut reconnaître que son geste n’aura vraiment de sens et de cohérence que s’il est complété par un engagement politique ultérieur, seul moyen pour contrer le programme des candidats « officiels » et pour commencer à réaliser le programme implicitement indiqué sur le « bulletin de vote ». Voter de cette manière, c’est, en quelque sorte, s’efforcer de replacer la démocratie dans une dynamique d’actions collectives, seul moment où elle peut véritablement s’épanouir, d’ailleurs. Actions collectives ?… Pas très engageant pour une partie de ceux qui pourraient être tentés par ce genre de vote désigné comme étant « nul », mais qui soulève quelques questions politico-philosophiques dérangeantes : s’engager et agir dans la durée pour reprendre la main, c’est bien plus difficile que sacrifier quelques instants pour voter et déléguer passivement.
Bref, ce n’est pas parce que les limites et les tares du système sont de plus en plus évidentes qu’on trouvera du jour au lendemain un grand nombre de volontaires pour tenter de dépasser ledit système…
Politiquement correct exigé
A Mulhouse, comme dans toutes les villes où le vote électronique est imposé, le vote « nul » se heurte aux limites de l’ordinateur, bien incapable de prendre en compte certaines subtilités politiques(2). Seule « audace » : le vote blanc est possible (3). Le président et les assesseurs du bureau de vote ne disposent pas de davantage de marge d’appréciation que la machine face à un comportement politiquement incorrect. Se déroule alors un scénario comme celui-ci :
La première phase du rituel républicain s’effectue normalement : on vérifie l’identité, on tamponne la carte de l’électeur et on invite ce dernier à se rendre dans l’isoloir. Il se retrouve alors face à une machine qui a certes coûté cher, mais n’est néanmoins pas suffisamment sophistiquée pour assimiler toute la richesse d’un bulletin « nul ». En l’absence d’un procédé lui permettant d’exprimer complètement son choix, l’électeur se garde bien de valider le choix vote blanc (ou le choix le plus proche de sa sensibilité politique) qu’il avait quand même présélectionné. On lui en fait immédiatement le reproche dès qu’il sort de l’isoloir, car la machine attend la validation.
Une certaine forme de panique peut même s’ensuivre. Il se fait accuser de tout saboter : le travail et le moral des assesseurs, le bureau de vote, et même la démocratie qui s’étiole dans une file d’attente qui s’allonge. Le président finit par décrocher son téléphone. On lui explique à l’autre bout du fil qu’en tournant une clé (mécanique) de trois quarts de tour vers la gauche puis d’un quart dans l’autre sens, il peut intervenir sur la machine. Il s’exécute. Sans doute est-il un peu troublé, pensant peut-être naïvement, au départ, que toute immixtion dans le fonctionnement d’une machine réputée inflexible était impossible. Mais, sans avoir le temps de se demander jusqu’où pourrait aller ses capacités d’intervention et les effets exacts de son geste sur la mémoire de l’ordinateur, il est rapidement soulagé, car l’appareil réagit et se dit prêt à recevoir le vote du citoyen suivant. La démocratie reprend alors son essor.
Pendant ce temps l’assesseur chargé de la dernière phase – celle de l’émargement de la liste électorale – est sollicité. Nouvelle angoisse. Nouveau décrochage de téléphone. L’assesseur se fait alors expliquer que l’électeur n’a pas le droit d’émarger ! Si ce n’est pas une interdiction de vote, qu’est-ce que c’est ?! Silence gêné. On est resterait là si l’électeur privé de son droit n’exige pas de faire mention du problème dans un procès verbal auquel il joint le bulletin de vote qui ne respecte pas les bonnes normes politiques. Deux exemplaires des documents sont exigés pour transmission à la Préfecture (via la commission de contrôle ?). Qu’en est-il fait après lecture ?…
Le scénario décrit ci-dessus ne se répétera pas intégralement à l’élection suivante, celle du dimanche 22 mars 2015. Président et assesseurs avaient reçu une formation complémentaire qui accélère la procédure. L’ordinateur est désormais plus discrètement et efficacement maîtrisé. Même sans validation du vote, on sait le faire repartir immédiatement. Rassurant, non ? Tandis que l’électeur – interdit d’émargement et donc toujours privé de son droit de vote – doit demander une inscription de ses observations(4) au procès verbal(5) (en deux exemplaires) auquel est joint le bulletin « nul ». C’était celui qui figure ci-dessus.
Le 26 mars 2015
B. Schaeffer
Un débat dont vous trouverez quelques traces sur le site de la revue a Contre Courant (www.acontrecourant.org) qui, pendant de nombreuse années, s’est efforcé de populariser le vote nul en tant que première tentative de dépassement des contradictions et des limites de la démocratie électorale classique. Vous trouverez ici trois pages en format PDF contenant à la fois une réflexion et des propositions pratiques pour un vote nul qui refuse la résignation qui accompagne fréquemment l’abstention. Ces trois pages ont été publiées dans la revue « A Contre Courant » en 1993, 1997, 2000 et 2002.
Quoique… en utilisant des machines à voter (installées parallèlement aux urnes transparentes lors des élections), des mathématiciens strasbourgeois ont déjà fait quelques tests en imaginant des règles électorales plus fines qui pourraient être de nature à mieux prendre en compte les souhaits des électeurs. Les mises en garde de Condorcet (notamment par le biais de son fameux paradoxe) commenceraient-elles à être entendues plus de deux siècles plus tard ?
Personne ne l’a souligné et encore moins expliqué : dans les bureaux de vote mulhousiens les votes blancs représente plus du double des votes blancs + nuls des autres bureaux haut-rhinois. C’est particulièrement visible sur le canton de Mulhouse 3 où une partie des bureaux (à Illzach) sont équipés d’urnes transparentes pour un vote papier. Donc les mêmes candidats ne suscitent pas les mêmes réactions de la part de l’électeur suivant que le bureau est équipé ou non d’un ordinateur de vote !…
Vous trouverez ici en format PDF deux exemplaires de ces observations où sont dénoncés la privation du droit de vote et le non respect du secret du vote. Sur une page parue en 2007 dans la revue électronique Klap’68 vous découvrirez quelques indications supplémentaires sur la manière de réagir.
D’après le code électoral (art R52) rappelé dans une circulaire du 16/10/06 : « Pendant toute la durée des opérations de vote, le procès-verbal est tenu à la disposition des membres du bureau, des délégués des candidats, des électeurs du bureau et des personnes chargées du contrôle des opérations qui peuvent y porter leurs observations ou réclamations ». Usez-en !
L’histoire mulhousienne du vote électronique est narrée dans l’article précédent intitulé :
(1) Vote électronique : une sotte et coûteuse obstination