Cécile Germain, fan de bandes dessinées, nous fait part de ses coups de coeur et coups de tête. Voici un florilège de ces lectures récentes… Album à trouver dans toutes les bonnes librairies…

Johnson m’a tué

Louis Theillier est employé chez John­son-Mathey, une entre­prise de fabri­ca­tion de pots d’é­chap­pe­ment. Un jour, en allant au tra­vail, tout semble dif­fé­rent. En effet, lorsque le direc­teur de l’u­sine les réunit, le cou­pe­ret tombe : le site va fer­mer au pro­fit d’une ouver­ture en Macé­doine. Sidé­rés, les uns et les autres vont devoir réflé­chir à la conduite à tenir face à une grosse entre­prise qui réa­lise des béné­fices mais qui en cherche tou­jours plus, met­tant à sac des vies entières.

Louis Theillier a réa­li­sé cette bande-des­si­née au fur et à mesure des évo­lu­tions de la situa­tion. Mal­gré l’im­mé­dia­te­té du pro­pos, il en pro­fite tout de même pour prendre du recul, notam­ment lors des échanges avec les col­lègues, et met en avant des réflexions bien­ve­nues sur la schi­zo­phré­nie de la socié­té moderne. Com­ment ne pas fris­son­ner en lisant la réac­tion du direc­teur, au cou­rant depuis des mois mais qui n’a pas mani­fes­té car « J’au­rais eu l’air de quoi ? ». Com­ment ne pas s’in­sur­ger face aux négo­cia­tions du plan social com­plè­te­ment cyniques ? Pas de héros, pas de bonnes fées dans cet ouvrage, mais un point de vue lucide et désa­bu­sé sur la réa­li­té de mil­liers de per­sonnes qui perdent leur emploi chaque année au nom de la course au pro­fit. Louis Theillier a vou­lu por­ter leurs voix d’une manière dif­fé­rente et nous offre un ouvrage authen­tique, à mettre dans toutes les mains !

Plogoff

Un couple décide de don­ner vie en BD au com­bat de Plo­goff, petit vil­lage bre­ton qui se voit impo­sé la construc­tion d’une cen­trale nucléaire sur leur ter­ri­toire. De 1973 à 1981 (date d’ar­rêt du pro­jet), les auteurs nous racontent une his­toire des luttes pour l’é­co­lo­gie et sur­tout, pour la démo­cra­tie. En lutte contre un pou­voir cen­tral auto­ri­taire et violent, les habitant.e.s de Plo­goff se dur­cissent et s’or­ga­nisent avec des sou­tiens dans toute la France. Étran­ge­ment, ce récit se fait l’é­cho de nos luttes actuelles, notam­ment de celle de Notre-Dame-des-Landes. Alors que le gou­ver­ne­ment semble avoir renon­cé sur le sujet pour des rai­sons offi­cielles de démo­cra­tie, c’est avant tout grâce à la résis­tance des locaux et à l’en­jeu natio­nal qu’est deve­nu la construc­tion de cet aéro­port que le pou­voir a été obli­gé de recu­ler. Les auteurs nous dévoilent aus­si une France mili­ta­ri­sée, dans laquelle la force légi­time de la police sert à faire taire les contra­dic­teurs. On pour­rait pen­ser que la situa­tion a évo­lué mais ce serait oublié la mort de Rémi Fraisse, les pour­suites judi­ciaires sur les militant.e.s de l’en­vi­ron­ne­ment ou des droits de l’homme et la répres­sion lors des mani­fes­ta­tions. Face aux vio­lences poli­cières et à l’im­pu­ni­té de l’é­tat, cette BD rap­pelle que c’est sur la durée et en res­tant ferme qu’on rem­porte des com­bats. Un joli pied de nez à toutes celles et ceux qui se sou­mettent avec cynisme aux injonc­tions de l’état.
A Sto­ca­mine contre l’en­fouis­se­ment irré­ver­sible des déchets, dans la val­lée de la Bruche contre le GCO, à Fes­sen­heim pour la fer­me­ture de la cen­trale nucléaire, à Bure contre la pou­belle radio­ac­tive et dans bien des vil­lages sou­mis à des petits pro­jets inutiles et des­truc­teurs, c’est par l’in­for­ma­tion, l’or­ga­ni­sa­tion et la résis­tance que nous pou­vons espé­rer un jour rem­por­ter ces combats.

Au pays des purs

Sarah Caron, pho­to-repor­ter pour de grands maga­zines inter­na­tio­naux, nous fait décou­vrir le Pakis­tan comme on ne l’a jamais vu. Prise pour cible par une foule en colère suite à l’as­sas­si­nat de Bena­zir But­tho, celle qui aurait pu deve­nir la pre­mière femme pré­si­dente du Pakis­tan, Sarah retrace sa décou­verte du « Pays des purs » entre anec­dotes et réflexions géo-poli­tiques. Au fil de ses ren­contres, la repor­ter dresse un por­trait riche et com­plexe du pays, nous offrant même une petite romance entre deux coups de feux ! On appré­cie­ra par­ti­cu­liè­re­ment le des­sin élé­gant d’Hu­bert Mau­ry et les pho­tos de Sarah au début de l’album.

La légende du Changeling – 5 tomes

Angle­terre, époque vic­to­rienne. L’in­dus­tria­li­sa­tion du pays bat son plein et chaque jour la terre engouffre son lot d’hommes et de femmes. Dans une famille pay­sanne de Cor­nouailles, un bébé est enle­vé par les fées qui rendent à la mère, en rem­pla­ce­ment, l’un de leurs enfants. Le petit Scrub­by gran­di entou­ré par la nature, éle­vé par son père, sa sœur et un vieil homme qui habite au cœur des forêts et qui raconte à Scrub­by l’his­toire du « petit peuple ». Un jour, le pro­prié­taire des terres décède et la famille doit quit­ter son petit coin de para­dis pour ten­ter sa chance en ville. Au milieu de la vio­lence, de la misère et d’un monde miné­ral bien éloi­gné de la nature qu’il côtoyait jus­qu’a­lors, Scrub­by va accom­plir sa destinée.
Sous cou­vert d’une bande-des­si­née fan­tas­tique pour enfant, Pierre Dubois trouve l’oc­ca­sion de rap­pro­cher deux thèmes éco­lo­gistes impor­tants : la lutte des classes avec des mou­ve­ments ouvriers répri­més dans le sang, la cruau­té et l’im­pu­ni­té des per­sonnes aisées tout comme la misère issue de l’in­dus­tria­li­sa­tion d’une part et le rap­port de l’homme à la nature comme sou­tien à son épa­nouis­se­ment d’autre part.
Aidée par un des­sin cha­leu­reux et agréable, cette bande des­si­née per­met de trans­mettre aux plus jeunes une petite connais­sance de la culture et l’his­toire ouvrière encore trop sou­vent mise de côté dans les manuels sco­laires. Le côté fan­tas­tique apporte une touche de poé­sie à l’en­semble et ravi­ra petits et grands !

Cher pays de notre enfance

Benoît Col­lom­bat, grand repor­ter au jour­nal « Le Monde », signe avec cette BD un docu­men­taire sai­sis­sant des années de plomb de la Vème répu­blique. Le titre, un brin nos­tal­gique, nous ren­voit à une image apai­sée de l’é­poque du « c’é­tait mieux avant » alors que l’i­mage, la pho­to pré­si­den­tielle du géné­ral De Gaulle écla­bous­sée de sang, inter­pelle les Français.es désireux.ses de mieux connaître leur histoire.
Pour les per­sonnes qui n’ont pas vécu cette époque ou qui n’y ont vu que ce que les médias de l’é­tat vou­laient bien en mon­trer, cet ouvrage sou­lève les secrets d’é­tat hon­teux de notre beau pays.
Avec Etienne Davo­deau et Benoît Col­lom­bat, plon­gez dans les magouilles de l’é­tat au tra­vers de nom­breux scan­dales. Assas­si­nat du juge Renaud, meurtre du ministre Roger Bou­lin, exac­tions du SAC (ser­vice d’ac­tion civique, un genre de milice à la solde des gaul­listes)… la liste des pra­tiques hon­teuses de la droite fran­çaise est longue et vio­lente. Les liens avec la Fran­ça­frique et le per­son­nage de Jacques Foc­cart appa­raissent comme une porte ouverte sur un monde tout aus­si obs­cur et mal­odo­rant (que vous pou­vez appré­hen­der grâce à l’ex­cellent documentaire «
Alors qu’on assiste à une sorte de bien­veillance à l’é­gard du géné­ral de Gaulle, repris par de nom­breux can­di­dats à la pré­si­den­tielle, on peut se poser la ques­tion de l’en­sei­gne­ment de l’his­toire dans notre pays et de la fas­ci­na­tion nau­séa­bonde pour des hommes forts.
« Cher pays de notre enfance » est un ouvrage incon­tour­nable pour com­prendre une page de notre his­toire qui, aujourd’­hui encore, est loin d’être com­plè­te­ment tournée.